Élection américaine : une présidence Biden entraînerait-elle un changement de cap vis-à-vis de l’Iran ?
Alors que l’élection présidentielle américaine de novembre 2020 s’approche à grands pas, l’une des questions les plus vivement débattues par le président Donald Trump et son principal rival le démocrate Joe Biden est l’avenir de la politique américaine à l’égard de l’Iran et du Moyen-Orient.
Soulignant le contraste saisissant entre les deux prétendants au Bureau ovale, Biden a déclaré qu’il avait l’intention d’annuler le dénommé « Muslim ban », interdiction de se rendre aux États-Unis prononcée à l’encontre de pays à majorité musulmane par Trump au premier jour de sa présidence. Le Muslim ban, appliqué notamment à l’Iran, a donné lieu à des accusations d’islamophobie envers l’administration américaine.
L’engagement de Biden, s’il est tenu, contribuerait à restaurer l’image ternie des États-Unis dans le monde musulman et au-delà.
Failles transatlantiques
Le programme démocrate appelle par ailleurs au retour des États-Unis à l’accord sur le nucléaire iranien – un important revirement qui pourrait remédier aux divisions transatlantiques provoquées par la décision de Trump de se retirer unilatéralement de cet accord multilatéral il y a deux ans.
Mais avant d’en conclure qu’il y aurait une rupture politique claire avec Trump si Biden était élu président, il est important d’examiner les nuances subtiles des positions de politique étrangère de Joe Biden. Sa colistière, Kamala Harris, sera également un facteur.
S’attendre à une réadoption directe de l’accord sur le nucléaire sous une présidence Biden, qui mettrait les États-Unis sur la voie de la détente avec l’Iran, est simpliste et ne tient pas compte d’obstacles majeurs
Cette dernière est connue pour avoir fustigé la décision de Trump de se retirer de l’accord sur le nucléaire et a également déclaré qu’elle était favorable à l’élargissement de ce dernier de manière à ce qu’il couvre les missiles balistiques de l’Iran. Elle est aussi une fervente partisane d’Israël et soutiendra probablement la politique hostile de ce pays à l’encontre de Téhéran.
Un autre indice important concernant l’approche de Biden envers l’Iran a été donné par son principal conseiller en matière de politique étrangère, Tony Blinken, qui a formulé une position nuancée sur l’accord sur le nucléaire iranien. L’équipe de politique étrangère de Biden est favorable à la renégociation de l’accord afin d’inclure de nouvelles restrictions sur l’Iran.
Mais cela sous-estime la vive méfiance des Iraniens à l’égard des États-Unis après qu’ils ont manqué à leurs obligations au titre de l’accord sur le nucléaire de 2015. Dans l’ensemble, le programme de Biden suggère une continuité politique avec l’administration Trump, laquelle a lié ses attentes d’un retour de l’Iran aux négociations à des sanctions sévères imposées sous la rubrique « stratégie de pression maximale ».
Contrecarrer tout rapprochement
Les conseillers américains en politique étrangère doivent certainement être conscients de la quasi-impossibilité pour l’Iran de renouer le dialogue avec les États-Unis sans promesse d’allégement des sanctions. Ces dernières ont ravagé l’économie iranienne, et seule la promesse de leur affaiblissement pourrait donner des résultats.
Néanmoins, le Congrès américain – qui a essentiellement institutionnalisé les sanctions contre l’Iran à travers une liste complète de robustes lois anti-Iran – est peu susceptible de satisfaire toute demande de révision de cette politique éventuellement soumise par une administration Biden.
En effet, sous la pression intense des rivaux régionaux de l’Iran, à savoir Israël et l’Arabie saoudite, le Congrès s’est révélé être un rempart majeur contre la normalisation des relations avec Téhéran. Cela contrecarrerait probablement tout rapprochement potentiel de Biden envers l’Iran.
Néanmoins, si Biden était élu président et se montrait enclin à ressusciter l’accord sur le nucléaire, il pourrait utiliser le mécanisme de règlement des différends prévu par celui-ci pour lancer un nouveau cycle diplomatique américano-iranien – à condition que Téhéran consente à un nouveau dialogue avec les États-Unis. Or, le guide suprême iranien a réitéré à maintes reprises que l’Iran ne négocierait pas avec les États-Unis.
Sous la pression intense des rivaux régionaux de l’Iran, à savoir Israël et l’Arabie saoudite, le Congrès s’est révélé être un rempart majeur contre la normalisation des relations avec Téhéran
Un changement de garde à la Maison-Blanche et la montée en puissance d’un président « à la Obama » inciteraient-ils Ali Khamenei à revoir cette position ? Cela reste à voir.
Ce qui est certain, cependant, c’est que Trump a fait tant de tort à la cause des relations diplomatiques américano-iraniennes – amenant les deux nations au bord de la guerre en janvier en ordonnant l’assassinat du général iranien Qasem Soleimani – qu’il faudrait beaucoup d’efforts des deux côtés pour se reconnecter sur le plan diplomatique.
Ce processus pourrait être facilité par des intermédiaires, à l’instar du président français Emmanuel Macron, qui a tenté à plusieurs reprises d’influencer Trump sur le dossier iranien, en vain.
Cela dit, aucun président américain n’aime laisser les décisions importantes de politique étrangère entre des mains étrangères, et Biden ne ferait pas exception.
Leçons apprises
S’il était élu président, Joe Biden utiliserait probablement certaines des précieuses leçons apprises pendant l’ère Obama, qui s’est appuyé sur des canaux bilatéraux secrets avec l’Iran et a adopté une approche hybride, mêlant hard et soft power (ainsi que l’illustre la cyber-guerre ciblant l’infrastructure nucléaire iranienne).
En d’autres termes, s’attendre à une réadoption directe de l’accord sur le nucléaire sous une présidence Biden, qui mettrait les États-Unis sur la voie de la détente avec l’Iran, est simpliste et ne tient pas compte d’obstacles majeurs, lesquels suggèrent à la fois une continuité et une discontinuité avec la politique agressive de Trump vis-à-vis de Téhéran.
Quel camp aura le dessus est une question en suspens. L’Iran aussi doit tenir une élection présidentielle l’année prochaine, et celle-ci pourrait être directement affectée par les résultats du scrutin américain, car une victoire de Biden serait une aubaine certaine pour le camp réformiste iranien.
En attendant, les deux pays devront faire face au risque continu de détérioration des relations pendant le reste de la présidence Trump, alors que les tensions s’intensifient dans la région et que le président américain a nommé un fervent faucon anti-iranien, Elliott Abrams, au poste d’envoyé spécial des États-Unis pour l’Iran.
Dans l’ensemble, si la présidence Obama devait être dupliquée par Biden, comme l’espèrent de nombreux modérés et réformistes en Iran, alors un optimisme prudent quant à l’avenir des relations américano-iraniennes serait permis.
- Kaveh Afrasiabi est un ancien professeur de sciences politiques à l’Université de Téhéran et l’auteur de plusieurs ouvrages sur les relations internationales et la politique étrangère de l’Iran. Ses écrits ont paru dans plusieurs publications en ligne et sur papier dont, entre autres, UN Chronicle, The New York Times, Der Tagesspiegel, The Middle East Journal, Harvard International Review, Bulletin of Atomic Scientists et The Guardian. Il s’apprête à publier un nouvel ouvrage, intitulé Forever Enemies? Future of US-Iran Relations.
- Nader Entessar est professeur émérite au département de sciences politiques et de justice pénale de l’Université de l’Alabama du Sud. Il s’apprête à publier un nouvel ouvrage, intitulé Forever Enemies? Future of US-Iran Relations.
Traduit de l’anglais (original).
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].