Les alliés occidentaux de la Turquie ne se joindront pas à sa guerre contre les militants kurdes
Au cours des trois dernières années, la Turquie et son peuple ont subi une série d’explosions majeures, dont chacune a déclenché une spirale de violence ne faisant qu’empirer et des tensions politiques qui ressemblent à une guerre interne multiple.
Depuis le début de l’année, plusieurs centaines de personnes (soldats, policiers, civils locaux et membres de milices terroristes) sont morts dans des affrontements dans l’est de la Turquie. Le bilan quotidien est terriblement élevé.
Ces morts sont le résultat de la rupture du processus de paix, qui a duré deux ans, et du dialogue entre les autorités turques et le PKK kurde (Parti des travailleurs du Kurdistan), en juillet dernier. Cette rupture a eu lieu à la suite d’un attentat à la bombe survenu plus tôt à Suruç, près de la frontière syrienne, et perpétré par des inconnus, qui étaient peut-être mais pas forcément des militants de l’État islamique. Depuis lors, de plus en plus de sang a coulé, jusqu’aux explosions qui ont touché récemment le cœur de la Turquie métropolitaine ainsi que le sud-est à majorité kurdophone.
Mais l’explosion survenue le 17 février dernier à Ankara, à des feux de circulation situés à seulement 300 mètres du parlement du pays, pendant l’heure de pointe, et qui a tué 28 personnes, menace de prendre une tournure encore plus dramatique, à savoir l’intervention directe de la Turquie dans la guerre civile en Syrie, qui ferait sans doute entrer ses forces rapidement en conflit avec le régime syrien et son allié russe. En d’autres termes, une crise internationale de premier ordre se dessinerait, en particulier si l’OTAN décidait, comme l’espère la Turquie, d’agir en solidarité avec elle.
Les dirigeants turcs veulent suivre cette voie parce qu’ils soutiennent que l’attentat était l’œuvre de la milice kurde syrienne, les YPG (Unités de protection du peuple), un groupe idéologiquement lié au PKK en Turquie et qui serait soutenu par de nombreux combattants kurdes de Turquie ainsi que de Syrie.
Les YPG et leur organisation mère, le Parti de l’union démocratique (PYD), se sont avérés être le groupe le plus efficace sur le plan militaire dans les combats en Syrie et dans le nord de l’Irak au cours des deux dernières années, repoussant l’État islamique en collaboration étroite avec le soutien aérien des États-Unis. Les États-Unis et la coalition anti-État islamique ont frappé des positions de l’État islamique depuis les airs, tandis que les Kurdes et certains alliés arabes au sein de l’armée syrienne ont avancé sur le terrain.
Cette combinaison d’éléments a créé une situation tout à fait inimaginable pour Ankara : une ligne d’enclaves kurdes autonomes longeant une grande partie de la frontière entre la Syrie et la Turquie. Actuellement, ils sont prêts à prendre le contrôle de positions clés dans le couloir Azaz-Jarablus, large de 98 km, et à bloquer ainsi l’accès de la Turquie à ses alliés au sein de l’opposition syrienne, tout en établissant un lien avec une autre enclave kurde située à l’ouest, à Afrin.
L’espoir de la Turquie de renverser le président Bachar al-Assad et de créer une nouvelle administration syrienne sous domination sunnite a disparu depuis longtemps, bien que le président Recep Tayyip Erdoğan refuse de le reconnaître. En conséquence, Ankara est actuellement opposé simultanément aux États-Unis et aux Russes au sujet de la Syrie : aux Américains, parce qu’ils soutiennent les Kurdes syriens et refusent de les condamner en tant que terroristes, et aux Russes, parce qu’ils ont lancé leur intervention en Syrie, bombardant des cibles de l’opposition syrienne et œuvrant apparemment à garantir la survie d’Assad et de son administration.
La Turquie et la Russie sont déjà en très mauvais termes sur le plan politique en raison de la décision prise par la Turquie d’abattre un avion de chasse russe qui avait violé son espace aérien pendant 17 secondes près de la frontière syrienne le 24 novembre.
Lorsque les Kurdes syriens ont commencé à menacer la ville d’Azaz et une base aérienne syrienne à proximité, Ankara s’est senti obligé d’agir et a lancé le 13 février de lourds bombardements transfrontaliers contre des positions des YPG, ignorant les appels des États-Unis pour que ceux-ci cessent. Dans le même temps, des discours enthousiastes ont commencé à affluer au sujet d’une opération transfrontalière des forces armées turques, entrant en Syrie par le couloir Azaz-Jarablus.
Pour les observateurs extérieurs, les risques d’une telle intervention semblent pour le moins prohibitifs, étant donné la puissance aérienne syrienne et russe et l’expérience des combattants des YPG sur le terrain. Les dirigeants à Ankara semblent avoir mis sur pause l’idée d’intervenir, sans pour autant l’avoir abandonnée.
Pour minimiser le risque, la Turquie souhaite créer une zone d’exclusion aérienne près de la frontière, ce pour quoi la Turquie n’a cessé de faire pression depuis que la guerre civile syrienne a commencé, il y a quatre ans. Il se pourrait qu’Ankara soit même en train de chercher à dissuader les réfugiés syriens d’entrer en Turquie afin de créer les conditions préalables sur le terrain pour une zone d’exclusion aérienne.
Les arguments en faveur d’une intervention gagneraient considérablement en force si Ankara pouvait montrer que les YPG, en plus d’être une organisation terroriste, comme il le martèle, attaquent également la Turquie. Selon le président Erdoğan, mais aussi selon le Premier ministre Ahmet Davutoğlu, l’explosion du 17 février à Ankara était précisément ce type d’attaque. Le kamikaze a été rapidement identifié comme étant Salih Necar, un Kurde syrien de 23 ans originaire d’Hassaké : comme le kamikaze du récent attentat d’Istanbul, il était entré en Turquie et s’était même fait prélever ses empreintes digitales.
L’opposition en Turquie condamne ce qu’elle considère comme un deuxième échec majeur des services de sécurité, incapables de prévenir un nouvel attentat à la bombe seulement quatre mois après un attentat précédent, désormais attribué à des disciples locaux de l’État islamique, et lors duquel 107 personnes ont perdu la vie dans le cœur de la ville.
La question clé est de savoir si Salih Necar a bel et bien perpétré cet attentat au nom des YPG, qui ne sont pas connus pour avoir mené des actions de ce genre en Turquie auparavant.
Bien que de nombreux Kurdes syriens combattent pour d’autres mouvements, dont l’État islamique, les dirigeants turcs soutiennent catégoriquement que l’attentat à la bombe était une opération des YPG.
Les PYD et les YPG nient toute connexion. Un porte-parole américain a refusé de confirmer ce lien, en dépit du fait que le gouvernement turc a immédiatement confié aux ambassadeurs étrangers ses éléments de preuve permettant d’appuyer ses dires. S’il devait y avoir une opération au sol en Syrie, la Turquie voudrait voir ses alliés de l’OTAN de son côté lorsqu’elle y entrerait.
Le soutien de l’OTAN pour la Turquie semble actuellement très peu probable en raison du risque que cette situation puisse précipiter un conflit mondial. Au lieu de cela, la Turquie a commencé vendredi 19 février à bombarder Afrin, l’enclave kurde syrienne la plus à l’ouest, depuis sa province côtière de Hatay, alors que ses conflits internes continuent de bouillonner douloureusement.
- David Barchard a travaillé en Turquie comme journaliste, consultant et professeur d’université. Il écrit régulièrement sur la société, la politique et l’histoire turques, et termine actuellement un livre sur l’Empire ottoman au XIXe siècle.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le président turc Recep Tayyip Erdoğan rend visite à une victime des attentats terroristes d’Ankara à l’Académie médicale militaire Gulhane (GATA), à Ankara, le 18 février 2016 (AFP/service de presse du Premier ministre turc).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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