Le moissonnage de brouillard approvisionne en eau les communautés rurales du Maroc
Une solution à la pénurie d’eau dont souffrent certaines des communautés rurales les plus isolées du sud-ouest du Maroc pourrait se jucher ici, à 1 225 mètres au-dessus du niveau de la mer, sur un sommet de la chaîne montagneuse de l’Anti-Atlas.
« Grâce à ce projet, les gens reviennent dans la région de plus en plus nombreux parce que, maintenant, ils ont l’eau courante chez eux », indique Marouane Smaili, responsable administratif de Dar Si Hmad, une organisation marocaine spécialisée dans le développement durable et le patrimoine culturel.
Cependant, le système qui apporte désormais de l’eau à cinq villages – directement au domicile des habitants, dans deux écoles et dans une mosquée – a suscité au départ le scepticisme des résidents de la région d’Aït Baamrane, au Maroc.
« Ça leur semblait très simpliste et réductionniste. Ils pensaient que c’était impossible. Ils ont commencé à faire des blagues, certains pensaient que nous étions à la recherche de diamants… Mais quand ils ont vu l’eau, ils y ont cru », ajoute Smaili.
Que se passe-t-il donc exactement au sommet des montagnes de l’Anti-Atlas ?
À l’aide de panneaux grillagés et de poteaux en acier, l’association attrape le brouillard – et le transforme en eau.
Le processus est connu sous le nom de « moissonnage de brouillard » : si on lui donne le temps de se condenser, le brouillard se transforme en gouttes d’eau, lesquelles sont ensuite recueillies dans des bassins souterrains, purifiées, puis pompées jusqu’aux habitations.
Au Maroc, chaque unité de moissonnage de brouillard mesure 30 m² – deux morceaux de grillage de polypropylène juxtaposés de 15 m² chacun – et sa fabrication coûte 1 000 dollars, précise Smaili.
Quelque 400 personnes utilisent désormais l’eau générée par les collecteurs de brouillard.
« La montagne sert de barrière ; le brouillard monte de plus en plus haut jusqu’à ce qu’il atteigne le sommet de la montagne. C’est là que nous avons mis les grillages. Donc ensuite on attrape simplement le brouillard et on en recueille l’eau », explique-t-il.
Étendre le projet
Marouane Smaili indique qu’une recherche importante a été nécessaire pour comprendre comment – et où – la moisson du brouillard pourrait produire le plus d’eau au Maroc. Plusieurs facteurs sont cruciaux, notamment la densité du brouillard et la force du vent.
Plus le brouillard est dense, plus les gouttes d’eau sont grosses, poursuit Smaili, et des vents forts aident à propulser le brouillard dans les grillages.
Avec le système actuel, les gouttes d’eau tombent dans un premier réservoir, où le sable et d’autres polluants sont filtrés et retirés. Dans un deuxième bassin, l’eau est mélangée à de l’eau de puits pour faire en sorte qu’elle contienne les minéraux qui la rendent propre à la consommation humaine.
« L’eau de brouillard est pure, elle n’a pas de minéraux. Vous pouvez la boire, mais avec le temps, elle est susceptible de causer des maladies comme le goitre. Donc pour ajouter des minéraux, nous la mélangeons à de l’eau de puits. »
Un habitant de la région a été employé par Dar Si Hmad pour réparer les déchirures des grillages ou tout autre dégât causé au système par les vents forts qui soufflent dans la zone, pouvant atteindre jusqu’à 120 km/heure, précise Smaili.
L’organisation espère remplacer le système existant par un nouveau modèle d’attrapeur de brouillard, plus adapté aux fortes rafales de vent et capable de générer plus d’eau.
Smaili dit espérer que cette mise-à-jour, lancée en coopération avec un groupe allemand spécialisé dans la question de l’eau, WasserStiftung, approvisionnera en eau trois nouveaux villages dans un avenir proche et sera totalement opérationnelle début 2019.
« Pour le moment, nous avons 600 m² de système de moissonnage du brouillard standard, mais nous allons construire 1 600 m² selon le nouveau modèle, le cloud fishers », précise-t-il. « Nous aurons donc plus d’eau et moins d’entretien, grâce à sa robustesse. »
Un approvisionnement non conventionnel
Le système de récolte du brouillard utilisé au Maroc a été conçu par Fog Quest, une association canadienne fondée en 2000 pour approvisionner en eau les communautés frappées par la sécheresse à travers le monde.
Fog Quest a installé des systèmes de moissonnage de brouillard en Amérique centrale et méridionale, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Bien qu’il ne gère plus de système au Yémen, le groupe a récemment reçu une demande de l’Arabie saoudite, a déclaré à MEE son fondateur, Bob Schemenauer.
« L’intérêt le plus fort provient généralement des zones situées le long de la côte occidentale, la côte de la mer Rouge, où il y a beaucoup de falaises élevées et une quantité non négligeable de brouillard pendant une bonne partie de l’année », commente Schemenauer.
Selon lui, la ville de Salalah, au sud d’Oman, est aussi particulièrement bien adaptée pour le moissonnage du brouillard en raison de la forte densité de bouillard présent dans la zone et des vents puissants venant de l’océan. Mais ces conditions ne durent que deux ou trois mois par an.
« Cela signifie que quelle que soit l’application, vous devez être capable de recueillir de grandes quantités d’eau et de la conserver pour pouvoir l’utiliser à d’autres moments de l’année. Chaque lieu est différent à cet égard. »
Schemenauer insiste toutefois sur le fait que le moissonnage de brouillard ne produit que de petites quantités d’eau, ce qui signifie que des sources complémentaires sont souvent nécessaires pour fournir un accès à l’eau à longueur d’année.
« Cela ne sera jamais une source d’eau adéquate pour des villes ou des populations très importantes. Ce n’est tout simplement pas conçu pour ça et il devra y avoir à l’avenir un accès à d’autres sources d’eau pour les villes », prévient-il.
« C’est un outil que vous utilisez quand vous ne disposez pas d’autres sources conventionnelles d’approvisionnement en eau. »
Impact du changement climatique
Au Maroc, explique Marouane Smaili, le caractère imprévisible des saisons propices au moissonnage du brouillard fait de la durabilité un défi.
« Ça empire avec le changement climatique. Il devient de plus en plus dur de prédire quand nous aurons du brouillard », dit-il, expliquant que la saison du brouillard dure habituellement de décembre à juillet. « Nous allons aussi la mélanger avec de l’eau de puits pour avoir de l’eau toute l’année. »
Transporter le matériel nécessaire pour le recueil du brouillard jusqu’à une zone isolée en haute altitude – à environ une heure et demie ou deux heures de la ville la plus proche – implique également un déplacement difficile et chronophage, poursuit Smaili.
Mais selon lui, l’accès à l’eau 24 heures sur 24 a eu un impact important sur le quotidien des habitants d’Aït Baamrane, une région traditionnellement berbère composée de villages isolés.
Au cours des dernières années, une sècheresse alimentée par le changement climatique a poussé de nombreuses familles de la région à émigrer vers de plus grandes zones urbaines, voire à l’étranger, à la recherche d’opportunités de travail et d’un meilleur niveau de vie.
« Maintenant qu’elles ont l’eau chez elles, de plus en plus de familles se convainquent de rester. Ça aide aussi l’économie locale. »
Traditionnellement, les femmes et les filles de la région sont chargées d’aller chercher de l’eau aux puits locaux – une tâche qui prend au moins trois heures par jour et qui les empêche d’aller à l’école ou de travailler, ajoute Smaili.
« Il y a un proverbe, selon lequel la nécessité est la mère de l’invention. Et nous croyons vraiment en ce proverbe parce que ça marche vraiment », conclut Smaili. « Si nous avions cru [les populations locales] quand elles ont dit que c’était impossible, ça ne serait jamais arrivé… et le problème continuerait. »
Traduit de l’anglais (original).
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