Hillary Clinton n’est pas féministe : il suffit de regarder sa position sur la Palestine
Avec Hillary Clinton désormais candidate officielle des démocrates, on a beaucoup parlé du plafond de verre qui se brise enfin maintenant qu’une femme est, pour la première fois dans l’histoire des États-Unis, candidate à la présidentielle pour un grand parti.
« Je n’arrive pas à croire que nous venons de fissurer comme jamais le plafond de verre », a-t-elle déclaré à la foule présente à la convention de Philadelphie le mois dernier après son entrée sur des effets sonores de verre qui se brise.
Toutefois, cette distinction doit être nuancée sur un certain nombre de niveaux.
Tout d’abord, la sénatrice Margaret Chase Smith fut la première femme à être désignée candidate à l’élection présidentielle, lors de la Convention nationale républicaine de 1964 (elle a finalement perdu face à Barry Goldwater).
Puis en 1972, la députée Shirley Chisholm est devenue la première femme à briguer l’investiture démocrate. Elle a également surmonté un autre obstacle, celui d’être la première femme politique noire à l’élection présidentielle pour un parti politique majeur.
Les allusions répétées au succès de Clinton rappellent au monde à quel point le patriarcat est encore important aux États-Unis
Les allusions répétées au succès de Clinton rappellent au monde à quel point le patriarcat est encore important aux États-Unis. Après tout, il y a actuellement 21 femmes élues chefs d’État dans le monde et il y en a eu bien plus dans l’histoire récente.
Ces 21 femmes ne comprennent pas la royauté, où les femmes peuvent diriger sans « être candidates » à ces fonctions et sont simplement nées, ou se sont mariées, pour y accéder. Les pays actuellement dirigés par des femmes élues vont du Chili à la Croatie, du Bangladesh à l’Allemagne, du Sénégal à la République centrafricaine. Cela montre à quel point les États-Unis se font honteusement distancer par la plupart des régions du monde en la matière.
Enfin, au cours des dernières décennies, il y a eu neuf femmes chefs d’État musulmans, dirigeant la Turquie, le Kosovo et l’Indonésie, entre autres. Le Bangladesh n’a pas connu une, mais deux femmes chefs d’État. Au Pakistan, Benazir Bhutto a obtenu deux mandats non consécutifs et faisait campagne pour un troisième mandat quand elle a été assassinée.
Hillary Clinton dilue le terme « féministe »
Il est facile, alors, d’être d’accord avec l’affirmation de Clinton selon laquelle il est temps qu’une femme devienne présidente des États-Unis.
Il est néanmoins certainement plus problématique de prétendre que sa nomination est un accomplissement féministe. En effet, le passif de Clinton, ses politiques documentées et ses références diluent le terme « féministe » au point de le rendre pratiquement dénué de sens.
J’ai vraiment peur que ma critique puisse être utilisée pour rejeter ou minimiser les qualifications de Hillary Clinton. Cependant, je maintiens que, qu’importent les divergences que l’on peut avoir avec Clinton, elle est très intelligente, ainsi que hautement qualifiée pour ce poste particulier, à savoir commandant en chef d’une puissance impérialiste hyper-militarisée. Les attaques au vitriol à son encontre révèlent un sexisme omniprésent auquel aucun candidat masculin ne sera jamais soumis.
Je grimace aux mots utilisés par ses détracteurs misogynes pour la décrire. Imaginez si, comme c’est le cas de son rival républicain Donald Trump, elle se tenait sur une estrade à côté de son troisième conjoint, un mari beaucoup plus âgé ou plus jeune, avec des enfants de trois hommes différents.
Les attaques au vitriol à son encontre révèlent un sexisme omniprésent auquel aucun candidat masculin ne sera jamais soumis
Les insultes lancées à son encontre sont tout sauf non sexistes, révélant à nouveau la misogynie d’une société où le sexisme est la norme. Tout comme le brillant, hautement qualifié et charismatique candidat à la présidentielle qu’était Barack Obama a dû faire face à la haine raciste intense et vile, Hillary Clinton endure la pure misogynie. Au sein du système, elle est une victime alors que son adversaire, comme la pourriture, est soutenu par la vulgarité crasse et se hisse au sommet.
Non, je critique Hillary Clinton non pas parce qu’elle est une femme, mais parce qu’elle prétend être féministe. Elle a montré à plusieurs reprises un mépris total pour les conditions des communautés marginalisées et privées de leurs droits.
Le déni de l’occupation israélienne
Ses opinions sur la Palestine, laquelle s’est historiquement révélée être le test décisif qui sépare les politiciens racistes de ceux qui croient en la pleine égalité pour tous, en sont la preuve.
Le sionisme de Clinton ne date pas d’hier, il est sans faille et j’ajouterais même que, sur le spectre qui va de « sionisme libéral » à « sionisme belliciste », c’est ce dernier qui l’emporte.
Alors que d’autres politiciens américains ont en partie reconnu les circonstances malheureuses du peuple palestinien, les partisans de Clinton ont le mois dernier fait la sourde oreille à ce sujet, bien que ce soit une réalité depuis 50 ans qui est reconnue par le reste du monde, y compris Israël lui-même.
Cette censure est conforme à la déshumanisation complète des Palestiniens qu’a exprimée Hillary Clinton chaque fois qu’Israël a fait la une. L’an dernier, pendant la vague d’attaques au couteau contre des Israéliens, Clinton a de nouveau complètement ignoré l’oppression des Palestiniens.
Au lieu de cela, elle a exprimé son inquiétude pour les Israéliens, qui doivent constamment surveiller les terroristes palestiniens « qui rôdent ». Elle ne s’est pas demandé pourquoi de jeunes Palestiniens, dont une fille de 12 ans, voudraient manier des couteaux ; et elle n’admet pas que 70 % des attaques se sont produites en Cisjordanie, c’est-à-dire en territoire occupé, contre l’occupant. Ceci est conforme à son déni de l’occupation israélienne.
Le sionisme de Hillary Clinton ne date pas d’hier, il est sans faille
Une jeune étudiante palestinienne, Layali Awwad, a envoyé une lettre à Clinton dénonçant cette partialité. « En tant que première dame, vous aviez déclaré : ‘’Les droits des femmes sont les droits de l’homme.’’ C’est une chose à laquelle je crois fermement aussi », a écrit Awwad.
« Quand vous avez choisi de parler de mon pays natal, vous n’avez pas mentionné une seule fois les violations des droits de l’homme par Israël à l’égard des femmes et des enfants palestiniens. Pire encore, vous nous avez décrits comme des terroristes rôdant motivés uniquement par la ‘’provocation’’, comme si l’occupation militaire israélienne n’existait pas. »
En 2014, Hillary Clinton a de nouveau exprimé son soutien total envers Israël lorsqu’il s’est engagé dans un grand assaut militaire contre Gaza. Au cours de cette opération, même les grands médias américains, bien qu’en faveur d’Israël en général, ont commenté à plusieurs reprises le nombre disproportionné de femmes et d’enfants tués par des tirs israéliens.
Néanmoins Clinton, supposée féministe, a une fois encore exprimé sa sympathie pour la puissance attaquante. Répondant à la question d’un journaliste concernant le bombardement par Israël d’une école de l’ONU où des civils sans-abri avaient trouvé refuge, elle a naturellement sorti sa formule « Israël a le droit de se défendre ».
Quinze personnes ont été tuées dans ce bombardement et plus de cent autres ont été blessées – mais pour elle, les « femmes et les enfants » n’étaient qu’une complication.
Nous pouvons revenir sur tous les cas de violations par Israël du droit international et des droits de l’homme des Palestiniens : Clinton sera toujours du côté de l’oppresseur, l’occupant illégal, le régime raciste. Ce n’est pas ce que défend le féminisme.
Le féminisme ? Ce n’est pas obtenir un plus gros morceau d’une tarte toxique
Le féminisme ne concerne pas seulement les femmes et les enfants, mais cherche également à éliminer les divers systèmes de violence structurelle. Et tandis que les exemples ci-dessus concernent la Palestine, nous pouvons regarder ailleurs, dans le monde entier, pour voir à quel point ses interventions politiques bellicistes se sont avérées préjudiciables, du Pakistan à la Libye, au Honduras et au-delà.
Peu de temps avant d’être assassinée dans sa propre maison, l’activiste indigène Berta Caseres a dénoncé Hillary Clinton pour son rôle dans l’éviction du président démocratiquement élu du pays dans un coup d’État qui a transformé le Honduras en un des endroits les plus violents au monde. Pour Clinton, cette éviction, ce rejet de la vie des populations autochtones qui ont souffert du coup d’État, est un exemple de « pragmatisme lucide ».
Hillary Clinton se pose fièrement dans le camp d’Israël, du côté du racisme et de l’injustice
En fin de compte, il faut obliger Clinton à honorer les normes et valeurs élevées auxquelles elle prétend aspirer. Oui, il est grand temps que les États-Unis rejoignent le reste du monde en élisant une femme à la tête de l’État. Politicienne chevronnée protégée par des privilèges extrêmes, Clinton a la peau dure nécessaire pour prendre les coups à venir de toutes les directions.
Cependant, même si elle devient la première présidente américaine, elle ne sera malheureusement pas une présidente « féministe ». Le féminisme ne consiste pas à obtenir un plus gros morceau d’une tarte toxique : il consiste à changer les ingrédients de cette tarte. Le féminisme est incompatible avec le racisme : rejeter la vie et l’humanité de certaines personnes, pour sécuriser le privilège des autres, est raciste.
La question de la Palestine clarifie la distinction entre les libéraux et les progressistes, les « pragmatiques » et les radicaux. Soutenir Israël alors qu’il viole les droits de l’homme de tout un peuple révèle une acceptation et une aisance inconditionnelles vis-à-vis de l’idée que puissent être sacrifiés certains groupes de personnes – les indigènes, les dépossédés, les colonisés, les bruns et les noirs – de manière à accommoder à l’échelle mondiale les riches, les colonisateurs, l’élite.
Hillary Clinton se pose fièrement dans le camp d’Israël, du côté du racisme et de l’injustice. Qu’est-ce que le féminisme a à voir avec cela ?
- Nada Elia est une écrivaine et commentatrice politique issue de la diaspora palestinienne. Elle travaille actuellement sur son deuxième livre, Who You Callin’ "Demographic Threat"? Notes from the Global Intifada. Professeure (retraitée) d’études sur le genre et la mondialisation, elle est membre du collectif de pilotage de la Campagne américaine pour le boycott universitaire et culturel d’Israël (USACBI).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Hillary Clinton prononce une allocution lors de la séance du soir, au deuxième jour de la Convention nationale des démocrates, le 26 juillet 2016 à Philadelphie (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].