La loi égyptienne sur la construction d’églises anéantit les espoirs d’égalité des chrétiens
Après 160 ans de restrictions considérables sur la construction d’églises en Égypte, une nouvelle loi très attendue à ce sujet a été adoptée le 30 août 2016.
Cependant, de nombreux chrétiens coptes et organisations de défense des droits affirment que cette loi n’aura qu’un effet limité, si tant est qu’elle en ait un, sur les discriminations envers les chrétiens, qui représentent 10 % de la population égyptienne (90 millions d’habitants), concentrés pour la plupart en Haute-Égypte.
Les partisans de cette loi croyaient qu’elle donnerait aux chrétiens coptes la liberté d’ériger des lieux de culte sous la protection de la loi et de l’État dans un climat de tensions et de violences sectaires. De nombreux chrétiens avaient donc salué ouvertement cette nouvelle loi.
« Cette loi a été adoptée pour apaiser les chrétiens coptes en Égypte, tout simplement. S’ils voulaient faire une loi correcte, ils auraient élaboré une loi unifiée sur la construction de lieux de culte », a déclaré à Middle East Eye Ramy Kamal, directeur marketing et chrétien copte.
Ce dernier a ajouté que les chrétiens sont des citoyens égyptiens au même titre que les musulmans, et que le gouvernement devait les traiter de la même façon et régler leurs problèmes, plutôt que de voter une loi qui les isole du reste du pays.
Depuis la révolution de janvier 2011, des dizaines de cas de tensions et de violences entre les communautés ont été signalés dans ce pays majoritairement musulman.
Un incident choquant s’est déroulé en mai dans le village d’al-Karm (province de Minya) : une chrétienne de 70 ans a été sortie de force de chez elle et traînée dans la boue, battue, et déshabillée par la foule suite à des rumeurs selon lesquelles son fils, chrétien lui aussi, aurait une liaison avec une femme mariée de confession musulmane.
Souad Thabet a été exhibée nue dans les rues devant ses voisins qui la connaissaient depuis des années pendant que la foule scandait « Dieu est grand », selon des témoins oculaires. Après avoir réussi à échapper à ce supplice humiliant grâce à l’aide d’un de ses voisins musulmans, cette grand-mère a voulu rentrer chez elle mais a retrouvé sa maison en cendres.
Plusieurs hommes soupçonnés d’être impliqués dans cette affaire ont depuis été arrêtés. L’incident a été largement condamné par les responsables politiques et religieux égyptiens ainsi que par la société.
Les relations amoureuses entre chrétiens et musulmans sont parfois mal vues par les ultra-conservateurs. Selon la tradition musulmane, des musulmans peuvent épouser des chrétiennes mais le contraire est encore tabou et parfois considéré comme un déshonneur pouvant conduire à des disputes et même à des violences.
Les nouvelles églises ne sont pas toujours bien accueillies
La construction de nouvelles églises a également été au centre de conflits sectaires.
Ces derniers mois, des propriétés chrétiennes ont été attaquées, incendiées et pillées en raison de soupçons relatifs à la construction, supposée ou non, d’une église. Certaines familles prétendent même avoir reçu des menaces de mort, les contraignant à fuir leurs maisons et leurs villages.
Certaines familles prétendent même avoir reçu des menaces de mort, les contraignant à fuir leurs maisons et leurs villages
En juillet, le cousin d’un prêtre a été poignardé à mort et trois autres personnes ont été blessées par la foule pendant une rixe dans un village du gouvernorat de Minya, en Haute-Égypte, où près d’un tiers de la population est chrétienne.
Fam Mary Khalaf (27 ans) a été poignardé en plein cœur et est décédé sur le coup, selon l’évêque local. Cette agression est survenue alors que les tensions étaient à leur comble, deux jours après l’incendie de cinq maisons chrétiennes suite aux rumeurs concernant la construction d’une église dans le village.
En octobre 2011, une manifestation de chrétiens coptes au Caire contre la démolition d’une église dans le village d’el-Marinab, dans la province d’Assouan, a conduit à l’un des massacres les plus meurtriers contre les chrétiens. Plus de vingt manifestants ont été tués par les forces armées devant les locaux de la télévision d’État du Caire, connus sous le nom de Maspero.
L’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR) a documenté dix affaires d’attaques sectaires entre janvier et juillet de cette année et 77 depuis 2011 dans la province de Minya.
Le pope Théodore II salue la nouvelle loi
Les principales Églises égyptiennes et le cabinet des ministres ont été impliqués dans l’élaboration de cette nouvelle loi, avant qu’elle ne soit approuvée par le parlement puis par le président Abdel Fattah al-Sissi, qui l’a ratifiée le 28 septembre dernier.
Le pope Théodore II, chef de l’Église copte orthodoxe, a salué cette loi au cours de son sermon hebdomadaire suite à l’approbation du parlement en août.
« [Cette loi va] remédier à une injustice qui dure depuis 160 ans », a-t-il déclaré selon un journal local, ajoutant qu’elle guérissait des blessures qui saignaient depuis longtemps.
Le pope faisait référence au décret ottoman de 1856 qui a été interprété par les tribunaux égyptiens comme donnant tout pouvoir au dirigeant concernant la construction des églises.
En 1934, le ministre de l’Intérieur a édicté des règles restrictives pour la construction d’églises, notamment celle de prendre en compte l’autorisation des voisins musulmans et la proximité d’églises existantes.
La loi est handicapante et discriminatoire
En dépit de l’approbation de l’Église, de nombreux chrétiens coptes se sont dits déçus par cette nouvelle loi qui change peu les anciennes pratiques.
L’activiste copte Abraham Louis – membre du Syndicat de la jeunesse Maspero qui demande le respect des droits des chrétiens coptes ainsi que la justice pour ceux qui sont morts pendant les manifestations de 2011 – est né à Assiout, en Haute-Égypte.
En grandissant là-bas, il a été un témoin de premier plan des tensions et des violences sectaires nées de la construction d’églises, et a jugé la loi « handicapante ».
Il estime qu’elle impose davantage de restrictions sur la construction d’églises alors que des mosquées sont érigées à chaque coin de rue dans le pays sans aucune résistance du gouvernement.
« Il devrait y avoir une loi unifiée concernant la construction de lieux de culte en Égypte, et non une loi spécifique pour les chrétiens », a-t-il déclaré à Middle East Eye.
On dénombre 2 869 églises en Égypte contre 108 000 mosquées, selon certaines estimations.
« Il devrait y avoir une loi unifiée concernant la construction de lieux de culte en Égypte, et non une loi spécifique pour les chrétiens »
La nouvelle loi, qui a été publiée au journal officiel, stipule que le gouverneur doit approuver toute requête relative à la construction ou à la rénovation d’une église, dans un délai maximal de quatre mois, précisant que tout rejet doit être motivé.
Avant cette loi, la redoutée Agence de sécurité de l’État, qui a été accusée d’avoir torturé, kidnappé et même tué des manifestants, était impliquée dans le rejet de la construction de nouvelles églises pour éviter les violences sectaires.
L’agence a été démantelée en 2011, suite à la révolution du 25 janvier qui a renversé le président Hosni Moubarak, mais elle a été remplacée par l’Agence de sécurité nationale qui a été largement accusée des mêmes violations.
Abraham Louis a fait valoir que cette loi semblait être une amélioration sur le papier mais qu’il n’y avait en fait aucune garantie contre la possibilité pour le gouverneur de citer des « craintes relatives à la sécurité » pour motiver le rejet de demandes de construction d’églises, comme par le passé.
Protéger qui ?
De fait, un exposé des motifs de rejet des demandes de construction ou de rénovation d’églises, annexé à la loi, énonce notamment « la protection de la sécurité publique », selon une déclaration de l’EIPR.
Un autre point de controverse est l’article 2 de la loi, qui stipule que la taille de l’église doit être proportionnelle au nombre et au besoin des chrétiens vivant dans la région.
Cependant, Abraham Louis a indiqué que le nombre de chrétiens dans chaque région n’a pas été exactement ou officiellement documenté en Égypte.
La loi ne précise pas non plus comment déterminer le « besoin » de construire une église, ce qui le laisse au jugement et aux préjugés des fonctionnaires, selon l’EIPR.
La loi ne précise pas non plus comment déterminer le « besoin » de construire une église, ce qui le laisse au jugement et aux préjugés des fonctionnaires
« [Cette] loi est une nouvelle étape vers le renforcement de la discrimination [contre les chrétiens], au lieu de résoudre les problèmes de violence et de tensions sectaires qui entourent la construction des églises », a déclaré à MEE Ishaq Ibrahim, chrétien copte et chercheur en libertés religieuses à l’EIPR.
La loi prévoit toutefois des procédures pour délivrer des permis aux églises qui ont été construites sans permis en raison de règlementations strictes.
Pour que ces églises soient approuvées officiellement, elles doivent satisfaire à certains critères, comme le respect des exigences de construction agréées par l’État, ce qui n’est pas le cas de nombreuses églises construites dans des bidonvilles ou des maisons en milieu rural, selon l’EIPR. Il existe des centaines d’églises sans licence en Égypte, selon Human Rights Watch.
Une farce ou une étape positive ?
La loi a suscité de nombreux débats lorsqu’elle a été discutée au parlement avant d’être adoptée à la majorité des deux tiers par les députés.
De nombreux députés coptes l’ont publiquement critiquée et rejetée, à l’instar de la députée Nadia Henry, qui l’a qualifiée de « farce politique » qui a été « imposée aux chrétiens » par Sissi, selon Ahram online.
De nombreux députés coptes ont publiquement critiqué et rejeté cette loi, à l’instar de la députée Nadia Henry, qui l’a qualifiée de « farce politique » qui a été « imposée aux chrétiens »
Elle a souligné que même s’il n’y a qu’un chrétien dans un quartier donné, cette personne devrait avoir le droit de construire et de prier dans une église.
Le ministre des Affaires parlementaires, Magdi el-Agati, a exprimé son désaccord, affirmant que « l’article 2 n’impose aucune restriction, mais énonce simplement que nous ne pouvons pas construire une cathédrale dans un petit village ».
D’autres, comme la députée Margaret Aazer, ont affirmé que, malgré les aspects négatifs de la loi, c’était une mesure positive.
Les principales Églises égyptiennes ont approuvé la loi avant qu’elle ne soit examinée par le parlement, après des mois de va-et-vient avec le gouvernement. Le communiqué de l’Église orthodoxe copte, qui annonçait son approbation du projet de loi, semblait un peu sceptique quant à son efficacité effective.
« Nous prions pour que l’application de la loi, après son approbation, soit un pas en avant dans la construction de notre nouvelle Égypte. Nous savons que les premières années de la mise en œuvre de la loi montreront son efficacité, sa validité et son respect des autres et nous espérons que [cela ne causera aucun] problème sur le terrain », a déclaré le Saint Synode de l’Église copte orthodoxe dans un communiqué.
Ishaq Ibrahim, de l’EIPR, pense que l’Église copte a suivi le dicton « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », indiquant que l’Église considère la loi comme un pas en avant et a foi dans les fonctionnaires et leur application de la loi.
Il est lui-même moins optimiste. « Bien sûr, [c’est] naïf et le résultat de leur manque d’expérience politique », a-t-il ajouté, affirmant que l’Église n’aurait pas dû être responsable de la discussion et de la rédaction de la loi, mais plutôt les organisations de la société civile qui représentent un spectre plus large de la population.
Appels à la séparation de l’Église et de l’État
En juillet 2013, le pope Théodore II se tenait derrière Sissi alors que celui-ci annonçait la fin du mandat du président Mohamed Morsi, ce qui constituait fondamentalement une destitution des Frères musulmans alors au pouvoir. Cela fut la première des nombreuses positions publiques de l’Église en faveur de Sissi.
Beaucoup de chrétiens coptes, suivant la direction du pope Théodore II, ont cherché à échapper au règne des Frères musulmans en votant pour Sissi.
Cependant, alors que les violences sectaires ont continué et que le gouvernement a remis au goût du jour de vieilles politiques déplaisant aux chrétiens, plus de 800 personnalités coptes ont signé une déclaration contre l’implication de l’Église en politique, affirmant que cela nuisait aux chrétiens vivant dans le pays.
Plus de 800 personnalités coptes ont signé une déclaration contre l’implication de l’Église en politique, affirmant que cela nuisait aux chrétiens vivant dans le pays
Selon la déclaration, publiée en septembre, l’alliance politique de l’Église copte avec Sissi n’a pas amélioré significativement les politiques de l’État envers les communautés coptes.
« Nous mettons en garde contre les dangers de l’implication en politique des institutions religieuses en général, et de l’Église en particulier, dans une société qui souffre déjà d’une crise sectaire ».
Ces mots sont survenus après que l’Église a mobilisé les chrétiens pour soutenir Sissi lors de sa visite à New York pour la réunion de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre.
« L’État et l’Église ont tous deux tendance à traiter les coptes comme une secte religieuse plutôt que comme des citoyens pourvus de tous leurs droits », a déclaré Ishaq Ibrahim, l’un des signataires de la déclaration. Selon lui, le fait que les coptes soient désignés dans la loi comme une « secte religieuse » au lieu de citoyens de l’État est un indicateur regrettable de la mentalité de certains Égyptiens à l’égard des chrétiens coptes aujourd’hui.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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