Les meurtres de femmes révèlent la différence de traitement entre communautés en Israël
JAFFA, Israël – « Le meurtre n’a rien de romantique ! » Cette phrase a résonné dans le centre de Jaffa vendredi 28 octobre, tandis que des centaines de manifestants brandissant des pancartes rédigées en arabe, en hébreu et en anglais étaient descendus dans les rues du sud de Tel Aviv avec un message : les violences contre les femmes doivent cesser.
Plus tôt dans la semaine, la communauté palestinienne de Jaffa avait été ébranlée par le meurtre de deux habitantes : Hawida Shawa (44 ans) et Huda Abu Sarari (37 ans).
Ces décès sont survenus à trois jours d’intervalle ; Hawida Shawa a été retrouvée battue à mort dans une voiture dans le nord de la Cisjordanie et Huda Abu Sarari a été poignardée devant sa famille à Jaffa. La police soupçonne que des proches des victimes étaient impliqués dans chacun des meurtres, leur nom venant s’ajouter à la liste sans cesse plus longue de Palestiniennes qui ont été tuées dans des circonstances similaires en Israël.
Depuis janvier 2016, quinze femmes – huit Palestiniennes et sept Israéliennes – ont été tuées dans des violences domestiques en Israël. Ces chiffres montrent le nombre disproportionné de victimes palestiniennes, les Palestiniens ne représentant que 20 % de la population israélienne. Dans de nombreux cas, des membres de la famille (frères, maris, ex-maris ou proches) ont été accusés des crimes ou de complicité.
Se battre pour l’égalité sur deux fronts
Les violences sont devenues si courantes que le 6 octobre, la députée Aida Touma-Sliman (Liste unifiée), directrice de la Commission sur le statut des femmes et l’égalité des sexes, s’est exprimée contre l’inaction de la police lors d’une session d’urgence de la Knesset. Touma-Sliman a déclaré à Middle East Eye que les crimes contre les Palestiniennes ne sont pas traités de la même façon que les crimes contre les Israéliennes.
« Les crimes contre les Palestiniennes ne sont pas traités de la même façon que les crimes contre les Israéliennes »
« Les crimes contre les femmes sont un problème existant au sein de toutes les sociétés », a déclaré Touma-Sliman peu de temps avant la marche à Jaffa. « Ce qui est terrible pour les femmes arabes, c’est qu’aucun effort sérieux n’est entrepris pour mettre un terme à ces crimes et à l’escalade à laquelle on assiste. »
Selon Aida Touma-Sliman, lorsque des crimes contre les femmes se produisent dans une communauté palestinienne en Israël, ils sont souvent considérés comme inhérents à cette communauté et reçoivent moins d’attention que les crimes se produisant dans les communautés israéliennes.
Touma-Sliman a expliqué : « Lorsqu’une Juive-Israélienne est tuée, les questions qui se posent généralement immédiatement sont : ‘‘S’était-elle plainte de violences à la police ?’’ ; ‘‘Est-ce que la police ou les services sociaux étaient au courant de sa situation ?’’ ; ‘‘Ont-ils géré cela avec elle, et le cas échéant, ont-ils fait tout ce qui était en leur pouvoir pour l’aider ?’’ »
« Ainsi, c’est tout de suite la faute des autorités. Lorsqu’une femme arabe est tuée, les médias demandent ce que font les dirigeants arabes à ce sujet, comme s’il s’agissait d’un problème interne qui devrait être réglé au sein de la communauté, comme s’il s’agissait d’un problème ‘‘culturel’’ lorsque des Arabes tuent leurs femmes. C’est une façon de se dédouaner de la responsabilité envers des femmes qui sont citoyennes de l’État », a-t-elle ajouté.
Tout comme Touma-Sliman, Samah Samaile tente de changer la façon dont la police et les autorités traitent les crimes contre les Palestiniennes. Samaile est la fondatrice de Na’am, un centre pour les Palestinienne à Lod, à environ 25 km au sud-est de Tel Aviv. Elle affirme que si les femmes se battent pour l’égalité au sein de leur propre communauté patriarcale, elles se battent également pour l’égalité de traitement des Palestiniens comme citoyens d’Israël.
« Lorsque je discute avec des policiers qui affirment que c’est notre culture, notre identité, notre tradition, je réponds ‘‘Non, ce n’est pas notre tradition’’ », a déclaré Samaile. « Des hommes violents veulent contrôler les femmes de leur entourage et ils utilisent cette ‘‘tradition’’ pour se sentir bien vis-à-vis de leurs actes. Et vous [la police] êtes complices. »
Samah Samaile a expliqué à Middle East Eye que Na’am s’occupe de divers problèmes de violences domestiques résultant de l’inégalité entre les hommes et les femmes dans la communauté palestinienne, aidant notamment les jeunes filles qui pourraient être contraintes à des mariages précoces, aidant les femmes à finir leurs études ou à trouver du travail. Cependant, ces problèmes sont souvent exacerbés par les violences incontrôlées dans les communautés mixes dans le centre d’Israël.
« Lod et Ramle sont connues pour être des villes israéliennes très violentes, ce n’est donc pas une surprise si les femmes arabes tombent dans la spirale de la violence », a-t-elle poursuivi. « Nous luttons sur deux fronts – mais dans notre bataille au sein de notre société, nous faisons bien plus de progrès que dans notre lutte contre les autorités israéliennes. »
Lors d’une session d’urgence de la Knesset, le responsable des services d’enquête s’est exprimé au nom de la police israélienne. Il a démenti les allégations des députés de la Liste unifiée selon lesquelles la police ne mène pas à bien les enquêtes et a signalé que 40 des 50 plaintes relatives à des violences domestiques déposées à Lod l’année dernière avaient conduit à des inculpations. Il a également déclaré que dans de nombreux cas, malgré les informations permettant d’identifier les auteurs, les preuves étaient insuffisantes pour étayer une inculpation pour meurtre.
« Il n’y a pas d’honneur dans le crime »
Samah Samaile et Aida Touma-Sliman contribuent toutes deux grandement à galvaniser le soutien de la communauté vis-à-vis des violences contre les femmes, qui se sont accrues rapidement depuis septembre. Après le meurtre de Dua’a Abu Sharkh, une mère âgée de 32 ans de Lod, Samaile a contribué à organiser le 30 septembre l’une des plus grandes marches féministes dans l’histoire d’Israël.
Plus de 500 hommes et femmes se sont rassemblés pour protester contre les violences continuelles et le manque d’intervention de la police.
Dua’a Abu Sharkh Sharkh était séparée de son mari et finissait une visite arrangée avec ses enfants, qui habitaient avec leur père, lorsqu’un homme masqué l’a abattue. La police israélienne a signalé que quatre hommes, dont trois proches de Sharkh, avaient été arrêtés suite au meurtre. Après son décès, la famille de Dua’a Abu Sharkh a rapporté qu’elle subissait des menaces de son mari depuis des années et avait fait part de ses inquiétudes à la police.
Entre 2006 et 2016, sur quinze affaires de meurtres dans la région de Lod et Ramle concernant des Palestiniennes, trois seulement se sont soldées par l’arrestation et la poursuite de leurs auteurs, selon Aida Touma-Sliman. Les législateurs et les membres de la communauté commencent à percevoir un manque d’enquête et de sanction, ce qui établit un dangereux précédent pour ceux qui commettraient de tels crimes à l’avenir.
« Dans cette situation, les hommes violents envers les femmes, qui mettent en danger la vie des femmes, ont l’impression qu’ils peuvent se le permettre et continuer à vivre comme si de rien n’était », a affirmé Touma-Sliman. « Et nous savons très bien que la sanction est un des éléments qui contribuent à prévenir le prochain meurtre. »
Depuis des années, les autorités et les médias israéliens traitent ces crimes comme des « crimes d’honneur » ou des « crimes passionnels », des termes généralement utilisés pour décrire le meurtre d’une femme par un proche en raison d’une supposée inconduite sexuelle. En 2010, le député de la Liste unifiée Ahmad Tibi a proposé une loi qui interdirait l’utilisation de ce terme, lequel décrit le meurtre de façon positive selon lui. Le projet n’a pas été mis au vote mais ces dernières années, les autorités ont diminué leur usage du terme.
« Nous affirmons qu’il n’y a pas d’excuses au meurtre – que ce soit l’honneur ou quoi que ce soit d’autre »
« Il n’y a pas d’honneur dans le crime », a déclaré Touma-Sliman. « Nous ne refusons pas seulement ce terme parce qu’il est utilisé pour excuser le manque d’action des autorités mais aussi parce qu’il justifie en un sens le meurtre lui-même, comme si le meurtre servait une cause plus noble. Nous affirmons qu’il n’y a pas d’excuses au meurtre – que ce soit l’honneur ou quoi que ce soit d’autre. »
Prévenir le prochain meurtre
Na’am est l’une des rares organisations en Israël qui se consacre à protéger, éduquer et aider les Palestiniennes qui souffrent de tout type d’abus. Samah Salaime plaide pour une approche holistique de son travail social, créant des réseaux parmi les familles élargies, les quartiers et les communautés pour former un plus grand système de soutien. Elle sait également que de nombreuses Palestiniennes hésitent à signaler les violences aux autorités israéliennes ou aux travailleurs sociaux, lesquels forment la base principale de la protection sociale.
« Notre lutte est la même pour toutes les autres femmes au Moyen-Orient », a déclaré Salaime. « Les femmes arabes [en Israël] sont piégées entre leurs communautés et, de l’autre côté, les autorités israéliennes, et si nous cherchons de l’aide auprès d’elles, nous serions comme des traîtres. Parce que nous sommes une minorité palestinienne, nous devons gérer nos affaires entre nous et ne pas aller voir les policiers israéliens. Il s’agit d’une ligne rouge à franchir, et généralement les femmes traversent cette ligne seulement quand elles sont vraiment, vraiment en danger. »
Quelques jours seulement après la marche de Jaffa, des membres de Sadaka-Reut, l’association palestino-israélienne pour la jeunesse de la ville, se préparaient déjà pour leur prochaine manifestation publique. Rawan Bisharat, codirectrice de l’organisation, avait contribué à réunir des militants locaux tout de suite après le meurtre de Huda Abu Sarari la semaine précédente. Elle a confié à Middle East Eye que leur but était de poursuivre le dialogue actif sur la violence dans leur communauté.
« Quand nous disons ‘’pas de violence’’, nous entendons toutes les violences, pas seulement le meurtre »
« Quand nous disons ‘’pas de violence’’, nous entendons toutes les violences, pas seulement le meurtre », a expliqué Bisharat. « Il y a beaucoup de femmes, peut-être dans la manifestation ou dans leurs maisons, qui font face à la violence, mais elles ne parlent pas. Ce n’est pas seulement le meurtre, c’est toutes les violences. Nous voulons que les femmes vivent. Pas de violence signifie ‘’avoir le droit de vivre’’ ».
Rawan Bisharat travaille avec des adolescents israéliens et palestiniens à travers divers ateliers et programmes de leadership pour discuter des problèmes au sein de la communauté palestinienne, de la communauté israélienne, et des façons dont ils peuvent travailler individuellement et ensemble pour apporter des changements positifs. Mais la clé, dit-elle, est d’étendre cette ouverture à travers différentes ressources communautaires.
« La semaine dernière, ce que j’ai vu ici à Jaffa, c’est que, pour la première fois, beaucoup d’organisations et d’écoles ainsi que le peuple juif de la municipalité se sont réunis pour une chose », a déclaré Bisharat. « Ils veulent tous faire quelque chose, parce que ce n’est pas seulement notre problème [palestinien], c’est un problème pour toute notre société. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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