Les footballeuses gazaouies de retour sur le terrain
BANDE DE GAZA - Quand Hadeel Eid, 14 ans, reçut, à quatre ans, un ballon de football pour son anniversaire, elle ne se doutait pas du tout que, dix ans plus tard, elle marquerait le but qui permettrait à son équipe de remporter un tournoi de football.
Des dizaines de jeunes femmes et journalistes se sont rassemblées, samedi, 18 février, pour regarder un match de foot exclusivement féminin entre les clubs de Shabab Rafah et Khadamat al-Nosirat au YMCA de la ville de Gaza.
Les deux équipes s’échauffaient pendant que les entraîneurs dispensaient leurs derniers conseils et instructions aux joueurs. Pendant ce temps, le public n’arrêtait pas d’encourager les joueuses aux cris de « Allez Khadamat » et « Nous sommes tous Shabab ».
Des quatre coins de la bande de Gaza sont arrivés des bus transportant surtout des filles et des journalistes, venus assister à l’événement sportif – le premier tournoi féminin de ce genre depuis 2007, année où le Hamas accéda au pouvoir.
« Nous organisions des tournois de football féminin à Gaza, et nous avions aussi une équipe féminine de foot. Mais tout cela s’est terminé en 2007, parce que le Hamas a pris le contrôle de Gaza et imposé des pressions religieuses extrêmement fortes », a déclaré Mohammed Hajjaj, du service d’informations du Comité Olympique palestinien.
Quand le Hamas a pris le contrôle de Gaza, nombre d’institutions – surtout celles liées à l’Autorité Nationale Palestinienne – ont suspendu leurs activités, par crainte des réactions des ultras-conservateurs du Hamas. Aujourd’hui, la poussière est retombée et le Hamas tolère les activités sportives féminines, à condition de limiter la mixité entre garçons et filles.
Les participantes sont de jeunes filles entre 12 et 18 ans ; elles travaillent avec des organisations respectées.
Ce tournoi de football féminin junior fait partie d’un projet appelé « Sports pour le Développement », financé par le gouvernement japonais et mis en œuvre par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) et le Centre Ma’an pour le développement.
« Nous devons contribuer à leur offrir plus d’occasions de s’exprimer et à améliorer leurs capacités », suggère Majd Majdalawy, coordinateur de projet à Ma'an.
Cinq clubs ont pris part au tournoi et rivalisé sur trois terrains. « Nous espérons qu’à l’avenir participeront un plus grand nombre de joueuses », a dit Majd Majdalawy.
Le match a commencé dans l’enthousiasme et chaque joueuse tentait de monter vers les buts de l’adversaire. Quelques minutes plus tard, alors que les deux côtés avaient en vain lancé des attaques, Hadeel Eid a marqué en faveur de Khadamat al-Nosirat – le seul but du match – apportant ainsi la victoire à son équipe.
Talent prometteur
Hadeel Eid est incontestablement la star de l’équipe. C’est une cheffe née, qui n’hésite pas à donner des instructions à ses coéquipières. Elle a appris à jouer grâce à son père et en s’entrainant sur l’exploitation familiale. « Mon père m’a acheté un ballon pour mon anniversaire. Il jouait au foot dans sa jeunesse », explique Hadeel. « Je joue au foot sur notre ferme, avec mes frères et nos cousins », a-t-elle ajouté
Elle est issue d’un bourg, al-Zawayda, situé près d’une grande ville au centre de la bande de Gaza, Deir el-Ballah, d’environ 22 500 âmes. Par rapport à d’autres régions plus conservatrices de Gaza, al-Zawayda est plus ouverte et favorable aux droits des femmes, sans négliger de développer leurs talents et la pratique sportive. Le plus souvent, les femmes participent avec les hommes aux récoltes et à la bonne marche de la ferme, et elles les aident aussi aux tâches physiquement pénibles.
‘Je ne fais rien mal quand je joue au foot. En fait, je me sens libre, heureuse’
Hadeel tient à dire qu’elle n’avait jamais trouvé bizarre de jouer au football – sport masculin aux yeux de la majorité des Gazaouis, cependant. « Ma famille m’encourage. Même dans mon quartier, personne ne se moque de moi. Je ne fais rien de mal quand je joue au foot. En fait, je me sens libre, heureuse », a-t-elle déclaré.
Sans être la plus grande ni la plus forte de ses coéquipières, Hadeel a offert une belle performance pendant la finale – fruit de l’alliance entre un talent naturel et beaucoup d’entraînement.
« Elle s’est comportée en chef à l’entraînement et même pendant les matches. Je suis convaincu qu’elle peut tutoyer l’excellence avec son talent », a déclaré à MEE Mohammed Abu Yousef, 25 ans, entraîneur de l’équipe Khadamat al-Nosirat.
Et d’ajouter : « Au début, les filles [de l’équipe] étaient timides, mais nous sommes vite devenus une famille et avons gagné le tournoi ».
D’après Majd Majdalawy, les filles apprécient des choses toutes simples, qui rendent leurs expériences inoubliables : porter un uniforme ; s’échauffer avec les entraîneurs ; les réactions du public chaque fois qu’elles tapent dans le ballon et prennent l’initiative pendant les matchs ; les arbitres professionnels ; et surtout, les médailles et la coupe en fin de tournoi.
Malheureusement, à cause du siège de Gaza par Israël, Hadeel et des milliers de talents comme elle, n’ont aucune chance de recevoir un entraînement de classe internationale.
Ambitieuses en dépit des préjugés
Pour Reem al-Najar, 15 ans, qui joue avec Shabab Rafah, jouer au football s’avère plus difficile, car elle ne peut pratiquer le foot qu’au sein de son club.
À l’école, Les filles ne sont pas autorisées à pratiquer le moindre sport pendant les cours d’éducation physique. « Nous en sommes réduites à rester assises dans la cour de l’école parce que les enseignants trouvent malséant de voir des jeunes filles courir et faire des sauts ».
« Nous en sommes réduites à rester assises dans la cour de l’école parce que les enseignants trouvent malséant de voir des jeunes filles courir et faire des sauts »
Mostafa Hasaballah, 26 ans, entraîneur de Shabab Rafah, confie que, pour des raisons sociales, il est très difficile d’entrainer les filles.
« Les filles ne peuvent pas être en retard à l’entraînement et ne sont pas tout le temps disponibles. Elles ne peuvent pas jouer au foot n’importe où, au contraire des garçons, qui jouent dans les rues et les terrains publics », a-t-il déploré
« J’ai fait de mon mieux pour leur enseigner les principes fondamentaux du football. Je leur ai enseigné les règles et comment contrôler le ballon, mais ça ne sert à rien sans entrainement à l’école et à la maison », a-t-il averti. « Cela n’a rien à voir avec leurs compétences ou professionnalisme. Ces filles sont pleines d’énergie et d’ambition. Elles méritent vraiment d’être encouragées. «
Voir des filles jouer au foot n’est pas courant à Gaza, et cet événement suscite donc un grand intérêt.
« Je viens ici depuis des années. C’est la première fois que je vois des filles jouer au foot. D’habitude, j’en vois jouer plutôt au tennis ou au basket-ball », dit Ali Abu Najeeb, 57 ans, qui se rend régulièrement au YMCA à Gaza. « C’est réconfortant de voir ces filles faire fi des stéréotypes sociaux partout dans la bande de Gaza. Nous devons rendre hommage à tant de volonté et détermination ».
« Nous croyons que filles et garçons sont égaux et que nous devrions tous pouvoir pratiquer les sports qu’on aime »
Leurs camarades de classe n’étaient pas en reste pour les soutenir. « Je suis venu de Rafah pour regarder le match ici et encourager mes camarades de classe qui jouent dans l’équipe de Shabab Rafah », explique Sana Wady, 14 ans. « Beaucoup de filles se sont mises à parler du tournoi à l’école. On a aussi exprimé à nos enseignants notre besoin de pratiquer des sports pendant les cours d’éducation physique. Nous croyons que filles et garçons sont égaux et que nous devrions tous pouvoir pratiquer les sports qu’on aime », a-t-elle ajouté.
« Ce n’est qu’un début »
Le projet Sports pour le Développement fait partie du Programme de Participation et de Développement des Adolescents à l’UNICEF, qui a pour vocation d’accroître l’autonomie de filles au travers du sport.
« Le tournoi a eu beaucoup de succès, et nous allons mettre de fortes pressions sur les autorités officielles de l’Association palestinienne de Football et du ministère de la Jeunesse et des Sports : nous demandons l’organisation de tournois réguliers et que les filles se voient offrir plus d’opportunités à Gaza », a déclaré Mohammed Abu Soliman, responsable des programmes à l’UNICEF.
D’ici-là, Hadeel, Reem et leurs pairs espèrent ardemment avoir plus d’occasions de pratiquer leur sport de prédilection.
« J’ai marqué six buts pendant ce tournoi. Je m’en souviendrai toute ma vie car j’en retire un grand bonheur. J’ai hâte de participer à plus de tournois et marquer toujours plus de buts, parce que ça me plait énormément », confie Hadeel.
Traduit de l'anglais (original) par Dominique Macabies.
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