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Découpage électoral du Liban : Hariri et ses alliés bloquent la réforme

La représentation proportionnelle serait un petit pas vers une représentation plus juste, mais certains partis craignent de perdre le pouvoir en conséquence

Les élections libanaises devant avoir lieu en mai, l’habituelle lutte acharnée a commencé concernant la manière exacte dont ces élections auront lieu. La démocratie au Liban est une question de préliminaires.

La proposition du président Aoun pour un scrutin proportionnel permettrait une représentation plus équitable et réduirait les possibilités d’achat de voix

Pendant des mois, l’élite politique du pays se livre à des visites de courtoisie et à des tête-à-tête à huis clos pour déterminer les règles du jeu électoral. Une fois convenu, le « moment suprême » face aux urnes n’est qu’une formalité, puisque 90 % des résultats peuvent être prédits.

Un épisode du dessin animé Tom et Jerry qui circule sur les réseaux sociaux illustre l’agitation actuelle dans les cercles politiques libanais. Il montre ces célèbres personnages accompagnés par leur corpulent voisin, le bulldog, assis autour d’un steak juteux.

À tour de rôle, les personnages suggèrent la meilleure façon de le partager. Naturellement, chacun veut le plus gros morceau pour lui-même et ce qui était censé être un agréable dîner finit en bagarre.

La personne qui a posté le dessin animé a remplacé les têtes de Tom, de Jerry et du chien avec les visages de Gebran Bassil, Mohammad Raad et du cousin de Saad Hariri, Ahmed Hariri.

Partager le steak

Pour ceux qui ne connaissent pas la scène politique libanaise : Bassil est chrétien, ministre des Affaires étrangères et gendre du président Michel Aoun ; Raad est chiite et député appartenant au Hezbollah depuis 1992 ; Saad Hariri est sunnite, actuel Premier ministre et fils de l’ancien Premier ministre Rafik Hariri.

Toutes les factions chrétiennes du Liban soutiennent cette proposition, ce qui en soi n’est pas rien. Il s’agit presque d’une question de principe pour les chrétiens libanais de ne pas s’entendre sur quoi que ce soit

Le « steak » sur la table est la loi électorale proposée par le président Aoun et son Courant patriotique libre. Il suggère de diviser le Liban en une quinzaine de circonscriptions électorales qui seront décidées par représentation proportionnelle plutôt que par le gagnant.

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La représentation proportionnelle a ses avantages. Dans beaucoup de circonscriptions électorales libanaises, la frontière entre victoire et défaite est mince. Quelquefois, quelques centaines de votes font la différence entre tout ou rien, ce qui ouvre la porte à l’achat de voix.

Le fait de se voir accorder un nombre de sièges par rapport aux votes recueillis conduirait à une représentation plus équitable et à une plus grande diversité au sein du Parlement. En outre, il serait beaucoup plus difficile d’influencer les élections par l’achat de voix.

Toutes les factions chrétiennes du Liban soutiennent cette proposition, ce qui en soi n’est pas rien. Il s’agit presque d’une question de principe pour les chrétiens libanais de ne pas s’entendre sur quoi que ce soit. La proposition, en outre, a le soutien d’Amal et du Hezbollah, les principaux partis chiites du pays.

Aoun célèbre sa victoire en octobre 2016 (AFP)

Étonnamment, ce dernier a incité Makram Rabah à argumenter ici que le Hezbollah est le seul et unique coupable frustrant le bon fonctionnement de la démocratie libanaise.

Selon lui, le Hezbollah pourrait perdre des sièges en vertu de la nouvelle loi. Il ne fait que la soutenir pour affaiblir « les partis traditionnels et leurs dirigeants » et, en fin de compte, « faire imploser l’État libanais ».

Affirmation peu convaincante

Le raisonnement de Makram Rabah n’est pas très convaincant. D’une part, on se demande quels sont les « partis traditionnels et leurs dirigeants » que le Hezbollah cherche à saper, étant donné que toutes les principales factions chrétiennes et chiites appuient cette initiative. Et pourquoi le Hezbollah voudrait-il que le Liban implose ?

Hariri et Joumblatt ont fait leurs calculs et ont conclu qu’ils risquent de perdre des sièges avec ce nouveau régime

Le fait que Makram Rabah désigne le parti de Dieu libanais nous en dit sans doute plus long sur ses propres préférences politiques. Les deux factions qui s’opposent vivement à la proposition d’Aoun et entravent actuellement le bon fonctionnement de la démocratie libanaise sont Saad Hariri et le chef druze Walid Joumblatt.

Leurs motifs sont assez compréhensibles. Comme tous les autres politiciens et partis libanais, y compris le Hezbollah, ils ont fait leurs calculs et conclu qu’ils risquent de perdre des sièges avec ce nouveau régime.

Prenez Hariri, dont le Courant du futur est passé de 36 sièges en 2005 à 26 en 2009, et en perdra davantage encore avec la proposition d’Aoun, surtout dans le nord du pays. Grâce à la présence écrasante des électeurs sunnites à Tripoli et ses environs, Hariri a été en mesure de dominer les nominations pour presque tous les sièges.

Saad Hariri prend un selfie après avoir quitté un bureau de vote lors des élections municipales, le 8 mai 2016 à Beyrouth (AFP)

Dans un système de représentation proportionnelle, ce ne serait plus le cas. Les dirigeants chrétiens traditionnels pourront remporter leur juste part sans le soutien et la bénédiction de Hariri. Par ailleurs, même parmi les sunnites, Hariri n’est pas sûr de gagner.

En 2009, 28 sièges étaient en jeu pour le Liban-Nord, dont onze réservés aux sunnites. Il est peu probable que Hariri les remporte tous, car sa popularité et son influence politique et financière ont considérablement diminué ces dernières années.

Dans la ville à majorité sunnite de Tripoli, il sera confronté à la vive concurrence des dirigeants politiques locaux, de son ancien lieutenant, Ashraf Rifi, et d’un noyau de partis islamistes. Certains pensent que Hariri ne peut gagner que sept sièges dans le nord, tandis que son nombre total de sièges parlementaires pourrait être réduit de moitié.

Hariri a averti que, tant que le Hezbollah sera armé, aucune élection équitable basée sur la représentation proportionnelle n’est possible. Leurs armes pourraient forcer les électeurs à s’éloigner des urnes.

Makram Rabah a répété cet argument. Pourtant, le Hezbollah est à peine présent à Tripoli et le nord, qui n’a même pas un siège chiite à pourvoir. De même, il n’y a que trois sièges sunnites à pourvoir dans le sud, le centre du chiisme libanais.

Modifications drastiques requises

Pendant ce temps, Hariri et Joumblatt négocient soit pour se conformer à la loi électorale qui régissait les élections de 2009, soit pour adopter une loi électorale « hybride ». La plupart des politiciens libanais détestaient la dernière loi électorale, ce qui constitue la principale raison pour laquelle aucune élection n’a eu lieu depuis 2009.

Il est clair qu’une loi hybride est une tentative à peine voilée d’orchestrer en détail le résultat des élections. Cela ferait également du Liban la risée des facultés de droit du monde entier

Une loi hybride diviserait le Liban en dizaines de petites circonscriptions où le gagnant remporte tout et une poignée de grandes circonscriptions où s’appliquera la représentation proportionnelle.

Il est clair qu’une telle loi est une tentative à peine voilée d’orchestrer en détail le résultat des élections. Cela ferait également du Liban la risée des avocats et des facultés de droit du monde entier.

On verra dans les prochains mois si Hariri et Joumblatt sauront négocier un compromis ou recevront une sorte d’accord édulcoré pour les aider à avaler leur fierté. Sinon, je pense que la représentation proportionnelle est un petit pas vers une représentation plus équitable.

Cependant, si les Libanais souhaitent véritablement établir une démocratie moderne, des changements plus drastiques sont nécessaires.

En définitive, ils devront abolir le système confessionnel archaïque et rigide mis en place par les Français, qui attribue un nombre fixe de sièges à chaque confession. En définitive, ils devront accepter le fait fondamental que ce n’est pas la religion qui fait l’homme.

- Peter Speetjens est un journaliste néerlandais qui a vécu plus de vingt ans au Liban, voyage régulièrement en Inde et s’intéresse plus particulièrement au rôle qu’ont joué les auteurs du XIXe siècle dans la conception actuelle du monde.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : les gens descendent dans les rues de Jdeideh, dans la banlieue nord de Beyrouth, après l’élection de Michel Aoun en tant que président du Liban en octobre 2016 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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