Liban : le Hezbollah peut-il contrôler le prochain Parlement ?
Certains le murmurent tout bas, d’autres le crient sur les toits. Le paysage politique libanais est susceptible de changer radicalement à la faveur des élections législatives, prévues le 6 mai, qui pourraient voir une victoire écrasante du Hezbollah.
Farès Souhaid, ancien député aujourd’hui proche de l’Arabie saoudite, a bâti toute sa campagne électorale autour de ce thème et cultive à fond le sentiment de peur vis-à-vis du parti chiite. « Le Hezbollah risque de rafler la majorité des sièges lors du prochain scrutin », prévient-il. Le chef du parti chrétien des Forces libanaises, Samir Geagea, n’est pas en reste. Son discours politique et électoral s’articule autour du « danger » que représente le Hezbollah pour le Liban.
Ces craintes se manifestent aussi au-delà des frontières. Le 26 février, le porte-parole de l’armée israélienne s’est invité, sans retenue, dans la campagne électorale au Liban. « Je suis sûr que les Libanais ne vont pas choisir [la brigade d’élite du corps des Gardiens de la révolution en Iran] Faylaq al-Qods et les Iraniens lors des prochaines élections », a dit, en allusion au Hezbollah, Avichay Adraee, qui s’exprimait en arabe dans une intervention télévisée.
Diabolisation du Hezbollah
Dans le même registre, le Hezbollah et les services de sécurité libanais soupçonnent les agences de renseignement israéliennes d’avoir initié une campagne de diabolisation du parti chiite sur les réseaux sociaux. « Les spécialistes israéliens de la cyber-guerre ont créé des centaines de pages et de comptes avec des noms fictifs à consonances libanaises et arabes pour cultiver la peur d’une éventuelle victoire du Hezbollah lors du prochain scrutin », a dit à MEE Abou Jaafar, un responsable du parti.
On peut d’ores et déjà dire, sans risquer de se tromper, que le Hezbollah et ses alliés abordent cette échéance avec plus de sérénité et d’assurance que la plupart de leurs adversaires
Le rôle et l’influence du Hezbollah étaient au cœur de la visite de quelques heures à Beyrouth, le 15 février, du secrétaire d’État américain. « L’engagement du Hezbollah dans les conflits régionaux menace la sécurité du Liban et a des effets déstabilisateurs sur la région », a prévenu Rex Tillerson après des entretiens avec les hauts dirigeants libanais.
Ces propos ont été interprétés par certains milieux politiques comme une ingérence dans la campagne électorale. Le chef de la diplomatie américaine « essaye d’influencer les intentions de vote des Libanais », a dénoncé le responsable du Hezbollah.
Le retour de l’Arabie au Liban
C’est aussi la crainte d’une victoire écrasante du parti pro-iranien qui a remué les eaux stagnantes des relations libano-saoudiennes. Près de quatre mois après la démission forcée, à partir de Riyad, du Premier ministre Saad Hariri, l’Arabie saoudite a opéré un retour remarqué sur la scène politique libanaise.
Le 26 février, un émissaire royal a remis à M. Hariri une invitation pour rencontrer le roi Salmane. Deux jours plus tard, le chef du gouvernement était reçu par le monarque et scellait sa réconciliation avec le prince héritier Mohammed ben Salmane, pourtant soupçonné de lui avoir réservé un traitement humiliant début novembre 2017 et de l’avoir placé en résidence surveillée.
« Le retour de l’Arabie saoudite au Liban est surtout motivé par le souci de faire barrage au Hezbollah lors des élections », déclare la journaliste Scarlett Haddad à MEE.
De fait, des projections donnent le Hezbollah et ses alliés grands vainqueurs du scrutin du 6 mai avec deux tiers des 128 sièges, ce qui leur permettrait de contrôler la plupart des décisions du Parlement.
Le pouvoir législatif occupe une place centrale dans le système politique libanais, qui est une démocratie parlementaire particulière, avec une répartition paritaire entre chrétiens et musulmans. Les chiites comme les sunnites disposent de 27 sièges et les maronites de 34. À elles seules, ces trois communautés contrôlent 88 sièges du Parlement. Les 40 restants sont répartis à égalité entre les minorités chrétiennes et musulmanes.
D’autres prévisions accordent aussi la victoire au Hezbollah et à ses alliés des différentes communautés mais avec une courte avance.
Chiites unis, sunnites divisés
C’est la nouvelle loi électorale basée sur le mode proportionnel, défendue âprement par le Hezbollah – certains diront imposée – qui permettrait au parti pro-iranien de l’emporter. Les chiites présentent aux élections un front uni, avec une alliance entre les deux principales formations, le Hezbollah et le mouvement Amal, dirigée par le président du Parlement (un poste qui revient à cette communauté), Nabih Berry.
C’est la nouvelle loi électorale basée sur le mode proportionnel, défendue âprement par le Hezbollah – certains diront imposée – qui permettrait au parti pro-iranien de l’emporter
Le tandem chiite aligne 26 candidats partisans, le 27e siège étant réservé à un allié du Hezbollah, l’ancien directeur de la Sûreté générale, le pro-syrien Jamil es-Sayyed. Amal et le Hezbollah sont d’accord sur les grandes options stratégiques régionales : tous deux sont des alliés de l’Iran et de la Syrie, et sont foncièrement anti-israéliens.
Les autres communautés, elles, se présentent en rangs dispersés. Les chrétiens sont partagés entre deux grands partis : le Courant patriotique libre (CPL), fondé par le président de la République, Michel Aoun, est un allié du Hezbollah ; les Forces libanaises, dirigées par Samir Geagea, sont proches de l’Arabie saoudite.
Les sunnites, eux, sont divisés en une myriade de formations et de personnalités. Le Courant du futur, de Saad Hariri, est historiquement proche de l’Arabie saoudite. Mais il a été affaibli par des dissidences, la plus importante étant celle de l’ancien ministre de la Justice, Achraf Rifi, qui reproche au Premier ministre d’être trop conciliant avec le Hezbollah et le CPL.
L’objectif du Hezbollah serait de favoriser l’émergence, grâce au mode de scrutin proportionnel, de personnalités et de forces sunnites qui lui sont proches. Bien que disposant d’assises populaires plus ou moins importantes, celles-ci ne parvenaient pas à percer à cause de l’ancienne loi électorale basée sur le système majoritaire, qui a permis au Courant du futur de monopoliser la représentation de la communauté.
Toutefois, la nouvelle loi comporte des impondérables qui rendent difficiles des projections précises et infaillibles des résultats attendus. Le leader druze, Walid Joumblatt, nous a déclaré qu’il n’avait « pas bien compris cette loi » qui donnerait gagnant un candidat « qui aurait obtenu 500 voix face à un adversaire qui en aurait récolté 20 000 ». La plus grande inconnue de la loi reste le vote préférentiel, que M. Joumblatt qualifie d’« invention terrible ».
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Conscient des craintes qu’il suscite, le Hezbollah tente de rassurer les Libanais et se défend de toutes velléités hégémoniques. Le vice-président du Conseil exécutif du parti, cheikh Nabil Qaouq, déclarait le 4 février que le Hezbollah « ne cherche pas à obtenir une majorité parlementaire ». « Nous participons à ces élections dans un esprit de préservation de la stabilité et de consolidation de l’unité nationale », a-t-il affirmé.
Le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, a été plus explicite. « Les équilibres fondamentaux seront préservés », a-t-il dit, répondant indirectement aux discours alarmistes qui mettent en garde contre une mainmise du Hezbollah sur la prochaine Chambre.
Modestie du vainqueur, art de la dissimulation poussé à son extrême ou, tout simplement, réalisme politique qui veut qu’au Liban aucune communauté n’a jamais réussi à accaparer le pouvoir ? Il faudra attendre le verdict des urnes, le 6 mai, pour avoir des réponses. Mais on peut d’ores et déjà dire, sans risquer de se tromper, que le Hezbollah et ses alliés abordent cette échéance avec plus de sérénité et d’assurance que la plupart de leurs adversaires.
- Paul Khalifeh est un journaliste libanais, correspondant de la presse étrangère et enseignant dans les universités de Beyrouth.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s'adresse à une foule de supporters à Beyrouth en octobre 2016 (AFP).
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