L’heure est venue pour la France de jouer les médiateurs dans les crises du Moyen-Orient
Jusqu’à présent, le bilan diplomatique du président de la République française est relativement maigre. En dehors des visites habituelles auprès de ses homologues étrangers, de son engagement sur le redémarrage de la construction européenne ou de son implication dans la guerre contre le terrorisme du Mali aux territoires perdus de l’État islamique, le mandat d’Emmanuel Macron en matière de politique étrangère ne s’est pas encore distingué par une initiative diplomatique d’envergure. Et ce ne sont pas les récentes frappes en Syrie, au cours desquelles la France s’est jointe aux efforts militaires de Londres et Washington, qui ont changé la donne.
Pourtant, il est d’usage dans la Ve République que le chef de l’État, dont la compétence en matière extérieure est jalousement gardée comme faisant partie d’un « domaine réservé », marque son règne d’un moment fort que l’histoire retiendra.
Ces prochaines semaines offrent à Emmanuel Macron une opportunité qui, s’il la saisit comme il se doit, pourrait renforcer le prestige de la France et contribuer à refaire d’elle un acteur majeur de l’échiquier moyen-oriental
Cette habitude est d’autant plus ancrée qu’elle s’aligne sur la tradition diplomatique française d’une certaine indépendance vis-à-vis des États-Unis. Qualifiée par certains de « gaullo-mitterrandienne », cette posture que tient à endosser Emmanuel Macron au cours de son actuel déplacement aux États-Unis vise à maintenir le cap d’une scène internationale organisée selon la loi du multilatéralisme en écartant toute forme d’unilatéralisme compromettant de la part d’une superpuissance.
Pour le chef d’État français, en effet, l’imprévisibilité du patron de la Maison-Blanche n’est guère rassurante et, du différend sur l’accord sur le nucléaire iranien au retrait prématuré des forces américaines de Syrie, les sujets qui fâchent ne manquent pas.
La crise du Golfe : possible retour de la médiation française
À cet égard, la crise du Golfe pourrait incarner ce volontarisme français consistant à impulser une décrispation de l’ordre moyen-oriental par le biais d’une stratégie de la détente qui passe par le règlement de sous-crises régionales. Il y a en effet urgence, car le climat actuel entre les différents émirats ne va pas vers l’apaisement.
Confrontés à des défis sécuritaires et économiques considérables, ces derniers semblent en effet ne pas prendre la mesure des enjeux régionaux et restent prisonniers d’une logique de rivalité qui confine à l’aveuglément.
Depuis des mois, le flot d’invectives, d’insultes et d’accusations – qui n’épargnent même plus les familles royales – a atteint un tel niveau de violence que le Comité national des droits de l’homme du Qatar a saisi le Rapporteur spécial des Nations unies sur le racisme pour l’alerter contre un récit médiatique qui frôle l’incitation à la haine raciale.
Chaque jour, ce sont des nouvelles limites qui sont franchies et on peine à imaginer l’ampleur que prendra cette fuite en avant si la crise devait s’étaler dans le temps.
Dans ce contexte, il apparaît assez évident que seul un acteur extérieur à la région pourrait intervenir pour faire comprendre aux protagonistes l’urgence de s’asseoir autour d’une table.
Devant une situation où les sensibilités sont à fleur de peau, cet acteur extérieur doit, au préalable, remplir certaines conditions. Il doit d’abord s’agir d’une grande puissance, car on imagine mal un État figurant dans la catégorie des pays les moins avancés jouer le rôle de conciliateur.
Il doit en outre être considéré comme étant neutre afin de bénéficier de l’écoute des deux camps car une puissance alignée sur l’une des deux parties serait discréditée par l’autre bord. Il doit enfin jouir d’une tradition de médiateur ancrée dans une pratique historiquement reconnue.
Paris, puissance diplomatique continentale
À l’évidence, peu de pays peuvent se prévaloir de réunir l’ensemble de ces critères. D’habitude, ce rôle de régulateur est dévolu aux États-Unis, mais le parti pris de Donald Trump dans la crise – de même que l’intérêt bien compris de certains milieux outre-Atlantique pour qui la poursuite des tensions dans le Golfe dope les carnets de commande d’armes – écarte la possibilité pour Washington d’endosser cette mission.
Le parti pris de Donald Trump dans la crise – de même que l’intérêt bien compris de certains milieux outre-Atlantique pour qui la poursuite des tensions dans le Golfe dope les carnets de commande d’armes – écarte la possibilité pour Washington d’endosser cette mission
De même, les autres grandes nations comme la Chine et la Russie, même si elles sont restées relativement éloignées de la crise, ne bénéficient pas assez d’attaches pour « contraindre » les deux camps à un compromis acceptable. Quant aux puissances régionales comme la Turquie et l’Iran, elles sont, à des degrés divers, davantage perçues comme contribuant au désordre régional plutôt qu’à l’apaisement des tensions.
Reste enfin l’Europe. Au sein du Vieux Continent, le Royaume-Uni et la France sont les deux États qui seraient en mesure d’avoir l’oreille des deux camps. Le problème pour Londres est que le Brexit l’a affaibli aux yeux du monde et l’on voit mal comment le pays pourrait, dans ce contexte incertain, animer une dynamique diplomatique d’envergure.
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C’est donc vers Paris qu’il faut désormais espérer une impulsion. L’ambition du locataire de l’Élysée, de même que le caractère récent de son élection, sont autant d’arguments qui plaident en faveur d’une initiative forte. Dans un monde marqué par la fragilité des équilibres, Emmanuel Macron pourrait ici signer une victoire diplomatique qui marquerait le début de sa présidence et raffermirait son crédit de chef d’État responsable et respecté.
Cet engagement serait d’autant plus cohérent que la France s’apprête à réunir dans quelques jours de nombreux dirigeants du monde dans le cadre de la grande conférence sur le financement du terrorisme pour laquelle Emmanuel Macron s’est notoirement impliqué.
Une opinion arabe désabusée
Si elle venait à être enclenchée, cette démarche pourrait en plus bénéficier de l’appui d’une grande partie de l’opinion arabe, qui commence à se lasser du spectacle affligeant d’une dispute qui vire parfois au ridicule.
L’appel du président français pourrait d’ailleurs trouver des alliés de poids, notamment au Koweït, dont l’émir semble dépassé par les événements en dépit de sa bonne volonté. Le Maroc, qui jouit d’une bonne image auprès des autorités du Golfe, pourrait lui aussi trouver un intérêt à appuyer la démarche.
À bien y réfléchir, ces prochaines semaines offrent à Emmanuel Macron une opportunité qui, s’il la saisit comme il se doit, pourrait renforcer le prestige de la France et contribuer à refaire d’elle un acteur majeur de l’échiquier moyen-oriental.
- Nabil Ennasri, docteur en science politique, est l’auteur de L’Énigme du Qatar (Armand Colin) et le directeur de L’Observatoire du Qatar. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @NabilEnnasri
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Photo : le président français Emmanuel Macron (AFP).
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