EXCLUSIF : La Turquie est prête à libérer le pasteur, mais les États-Unis ne veulent rien offrir
ANKARA – Middle East Eye est en mesure de révéler que des diplomates turcs ont déclaré au gouvernement américain qu’ils étaient sur le point de libérer Andrew Brunson, le pasteur américain emprisonné qui se trouve au cœur de la joute diplomatique entre les deux pays.
Mais les Turcs veulent plus que ce que les Américains ont été disposés à offrir jusqu’à présent. Au lieu de cela, la bataille estivale entre les deux alliés au sein de l’OTAN s’est poursuivie, entraînant l’économie turque dans une crise, alors qu’aucun signe public ne semble renvoyer à une solution facile.
Washington a annoncé ce jeudi son intention d’imposer davantage de sanctions si Brunson n’est pas libéré. Dans un tweet, le président américain Donald Trump l’a décrit comme un « grand patriote pris en otage » et a déclaré que les États-Unis ne « paier[aient] rien » pour obtenir sa libération.
Traduction : « La Turquie profite des États-Unis depuis de nombreuses années. Ils retiennent désormais notre merveilleux pasteur chrétien, à qui je dois maintenant demander de représenter notre pays en tant que grand patriote pris en otage. Nous ne paierons rien pour la libération d’un homme innocent, mais nous réduisons les frais sur la Turquie ! »
La Turquie a menacé ce vendredi de réagir si les États-Unis imposaient de nouvelles sanctions.
« Nous avons déjà répondu sur la base de la réglementation de l’Organisation mondiale du commerce et nous continuerons d’agir ainsi », a déclaré Ruhsar Pekcan, ministre turque du Commerce, citée par l’agence de presse Anadolu.
Pourtant, une source diplomatique turque haut placée, s’exprimant sous couvert d’anonymat, a déclaré à MEE : « Nous savons que nous devons résoudre la crise au moins pour le bien de notre économie et techniquement, il nous est possible de libérer Brunson.
« Mais nous avons besoin de quelque chose en retour après tous ces échanges difficiles entre les États-Unis et la Turquie », a ajouté la source.
Brunson, un missionnaire travaillant en Turquie depuis plus de vingt ans, a été arrêté en décembre 2016 et accusé d’avoir soutenu la tentative de coup d’État lancée en juillet de cette même année contre le président turc Recep Tayyip Erdoğan.
Son affaire a refait la une des journaux le 18 juillet lorsqu’un juge turc d’Izmir a décidé de garder Brunson en détention jusqu’à sa prochaine audience, prévue en octobre. En réponse, les États-Unis ont sanctionné les ministres turcs de la Justice et de l’Intérieur.
La semaine dernière, une délégation turque s’est rendue à Washington alors que les deux pays tentaient d’éliminer leurs divergences, sans grand succès.
Un jour plus tard, le président américain Donald Trump a doublé les tarifs de l’acier et de l’aluminium turcs, entraînant la livre dans une chute libre. Erdoğan a riposté cette semaine en augmentant les tarifs d’une liste de produits américains.
« Nous voulons voir de la bonne volonté »
Selon la source diplomatique turque, bien informée sur les pourparlers entre les deux pays, le gouvernement sait que pour enrayer la crise économique, il devra résoudre la crise diplomatique avec les États-Unis, mais il a du mal à négocier un accord viable.
Plus précisément, lors du voyage à Washington effectué la semaine dernière, les Turcs ont proposé un plan qui aurait permis à Brunson d’être libéré en échange de l’indulgence du gouvernement américain dans deux enquêtes sur Halkbank, créancier de l’État turc.
La banque fait l’objet d’enquêtes sur des allégations de violation des sanctions contre l’Iran, une autre source de tension entre les deux pays.
« Nous voulons voir de la bonne volonté quant au sort de ces enquêtes. Mais l’administration Trump a déclaré que son système judiciaire était indépendant et ne pouvait rien promettre », a déclaré la source.
La partie turque a alors proposé l’extradition de Mehmet Hakan Atilla, le directeur général adjoint de Halkbank, condamné en mai à 32 mois de prison après avoir été reconnu coupable d’avoir participé à un projet visant à aider l’Iran à échapper aux sanctions américaines.
Atilla, qui a déjà purgé 14 mois de sa peine et dont la libération est prévue en 2019, pourrait servir le reste de sa condamnation en Turquie, ont indiqué des diplomates.
Mais on a répondu à la délégation turque que l’extradition nécessiterait au moins deux mois, signifiant qu’aucune de ses demandes ne pouvaient être satisfaites, a indiqué la source.
« Nous leur avons dit que nous devions au moins voir de la bonne volonté de leur part. Vous devez nous promettre quelque chose. Nous avons demandé du temps pour trouver une solution gagnant-gagnant », a poursuivi le diplomate.
« Mais ils étaient si clairs sur leur position. Ils nous ont dit de libérer Brunson immédiatement, ils veulent son retour aux États-Unis sans aucune contrepartie. Sinon, ils imposeront davantage de sanctions à la Turquie. La délégation est donc retournée à Ankara, mais la communication n’a jamais cessé. »
Entre les mains des présidents
Samedi dernier, dans un discours prononcé dans la ville de Rize, dans le nord-est du pays, Erdoğan s’est moqué des exigences américaines et a déclaré que les États-Unis avaient donné à la Turquie jusqu’au 8 août pour libérer Brunson.
« Ils étaient si clairs sur leur position. Ils nous ont dit de libérer Brunson immédiatement, ils veulent son retour aux États-Unis sans aucune contrepartie. Sinon, ils imposeront davantage de sanctions à la Turquie »
- Source diplomatique turque
« Que faites-vous ? Il s’agit de la Turquie, de la Turquie ! Nous ne sommes pas des serviteurs, nous sommes un pays de 81 millions d’habitants qui se tient debout sur ses propres jambes ! », a lancé le président turc.
Lorsqu’on lui a demandé si le pasteur pouvait être libéré malgré l’absence de promesses américaines, la source diplomatique a déclaré : « La prochaine audience aura lieu le 12 octobre. Les juges peuvent le libérer à ce moment-là, mais je m’attends à un développement positif de la part des deux parties avant cette date.
« Je peux dire que nous essayons de résoudre le problème très rapidement. Mais même s’il n’y a rien en retour, il faut au moins être sûr de leur bonne volonté. Nous faisons de très gros efforts en ce sens, les discussions se poursuivent sans relâche.
« Il s’agit désormais d’une question politique, et non plus judiciaire. Par ailleurs, les pourparlers sont dirigés par les présidents eux-mêmes, c’est eux qui prendront la décision finale », a précisé la source.
Le Département d’État des États-Unis n’avait pas répondu aux demandes de commentaires de MEE au moment de la publication.
Traduit de l’anglais (original).
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