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La crise financière saoudienne engendrera une résistance au pillage de l’État

L’État demande aux Saoudiens d’accepter des mesures d’austérité, mais qu’en est-il des milliards de dollars dépensés pour la famille royale, les projets grandioses et les armes ?
Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane assiste au lancement du championnat de Formule E de l’ABB FIA dans le district de Diriyah, dans la capitale Riyad, le 22 novembre 2019 (AFP)

Le 11 mai, les autorités saoudiennes ont annoncé des mesures sans précédent pour sauver les finances du royaume d’un effondrement imminent, causé davantage par une mauvaise gestion que par la pandémie de coronavirus ou la chute des cours du pétrole.

À compter de juillet, la TVA passera de 5 % à 15 % et l’allocation de vie chère (1 000 rials mensuels, soit 245 euros) sera suspendue. Il s’agit là de deux tentatives désespérées pour sauver une économie pillée depuis des générations. 

L’ultime solution

Cette mesure n’est qu’un début car le gouvernement peut recourir à la solution ultime, en réduisant les emplois dans le secteur public saoudien, en diminuant les salaires des fonctionnaires existants ou tout simplement en se trouvant dans l’incapacité de les payer tous.  

Le soi-disant contrat social saoudien reposerait sur un marché. Le gouvernement fournit des services étendus. En retour, les citoyens continuent de prêter allégeance à leurs dirigeants

Alors que les cours du pétrole ne montrent aucun signe d’un quelconque redressement et que le coronavirus fait toujours rage à travers le monde et dans le pays, il n’est pas certain que la nouvelle augmentation de la TVA et la suspension de l’allocation de vie chère généreront suffisamment d’économies pour que l’État compense ses pertes élevées. 

Ces deux nouvelles mesures sont des tentatives désespérées visant à consolider les recettes de l’État à un moment où le principal produit, le pétrole, devient moins cher que l’eau dans ce royaume du désert.  

Les implications politiques de la crise dépassent ces mesures limitées et désespérées qui, en elles-mêmes, ne suffiront jamais à arrêter le dérapage vers l’inconnu.   

Le soi-disant contrat social saoudien reposerait sur un marché. Le gouvernement fournit des services étendus tels que des emplois dans le secteur public, l’éducation, le logement et la santé. En retour, les citoyens continuent de prêter allégeance à leurs dirigeants, en acceptant leur totale marginalisation politique, la privation de leurs droits et même leur répression au nom de la sécurité et de la richesse. 

Ce contrat social était basé sur des vœux pieux plutôt qu’une évaluation correcte des relations entre l’État et la société saoudienne. Depuis la découverte du pétrole en 1933, les Saoudiens n’ont jamais cessé de défier leur gouvernement, même en période de richesse et d’abondance.

Idéologie vs. économie

Tout au long du siècle dernier, l’opposition à la Maison des Saoud se formulait principalement en termes idéologiques, pas spécialement liés au bien-être économique national du peuple. Tant les nationalistes arabes que les islamistes saoudiens défiaient l’État sur le plan idéologique, avec un discours touchant à l’identité de l’État plutôt qu’à son économie ou ses finances. 

Tout au long du siècle dernier, l’opposition se formulait principalement en termes idéologiques, pas spécialement liés au bien-être économique national

Les nationalistes le contestaient sur la base de ses liens avec des projets impérialistes et occidentaux, tandis que les islamistes s’inquiétaient des questions d’authenticité, d’héritage islamique et d’engagement en faveur de la renaissance islamique mondiale, voyant le pétrole entre les mains de l’État comme un mécanisme propice au fait de mener de tels projets.

Dans le cadre de ces grands projets idéologiques, et tandis que l’État continuait de payer les salaires des citoyens et de fournir des services de qualité inférieure, la mauvaise gestion de l’économie a perduré et a empiré sous la direction actuelle du prince héritier Mohammed ben Salmane. 

Cependant, avec les nouvelles difficultés économiques et la baisse du niveau de vie, provoquées par le gaspillage des richesses dans la poursuite de projets futiles, et la levée de nouveaux impôts, les voix critiques peuvent être sensibles aux nouvelles conditions qui touchent à leur propre vie.

Des citoyens saoudiens dans un supermarché à Riyad, le 2 avril (Reuters)
Des citoyens saoudiens dans un supermarché à Riyad, le 2 avril (Reuters)

Combien de temps les Saoudiens peuvent-ils garder le silence sur leur propre appauvrissement tout en constatant que les privilèges de l’élite se perpétuent ? Il est temps pour les Saoudiens de se réveiller et de se concentrer sur leur destin sous un régime qui érode leur sécurité économique tout en continuant à dépenser des milliards pour ses propres projets douteux.

Où est passé tout l’argent ?

Sur le plan national, de Vision 2030 aux villes futuristes, en passant par les Programmes nationaux de transformation, des milliards de dollars ont été gaspillés sans qu’aucun compte ne soit jamais rendu. Les Saoudiens sont certains de perdre leur enthousiasme pour les grands projets mythiques qui sont le produit d’une sinistre machine de propagande et des illusions grandioses du prince héritier.  

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Et maintenant, les dirigeants demandent aux Saoudiens d’accepter des mesures d’austérité. Mais qu’en est-il des salaires mensuels généreux que les princes al-Saoud et leurs branches secondaires reçoivent des caisses de l’État ? Sans parler d’autres avantages et privilèges qui visent à garder les nombreux princes occupés par les voyages de chasse, les vacances de luxe dans les stations touristiques européennes, l’achat de stades de football et l’immobilier dans le pays et à l’étranger.

Les dirigeants restent silencieux sur le coût secret de ces dotations que des milliers de princes inactifs reçoivent chaque mois simplement pour leur appartenance à la famille choisie, pour leur appartenance à la lignée des al-Saoud, qui leur donne droit à une somme mensuelle importante, tirée des caisses de l’État sans même apparaître sur le bilan ou dans le budget.  

À l’échelle régionale, dépenser des milliards pour faire capoter les soulèvements dans plusieurs pays arabes et lancer une guerre au Yémen n’a fait qu’accélérer l’épuisement des richesses. Les dépenses massives consacrées à des armes qui n’offrent ni sécurité intérieure ni ne garantissent la paix dans une région turbulente restent hors de portée des critiques ou d’un examen attentif.

Une nouvelle ère

Les dépenses saoudiennes pour les conflits régionaux n’ont fait qu’exacerber les rivalités locales et renforcer les dirigeants arabes déterminés à priver leurs citoyens d’une vie décente. L’argent de l’Arabie saoudite a contribué non seulement à gaspiller sa propre richesse, mais aussi à maintenir en place des régimes corrompus et autoritaires ailleurs dans la région. 

Alors que les Saoudiens sont soumis à de nouvelles taxes et coupes budgétaires, il est temps pour eux de se détourner des questions identitaires pour se concentrer sur leur propre destin

Alors que les Saoudiens sont soumis à de nouvelles taxes et coupes budgétaires, il est temps pour eux de se détourner des questions identitaires pour se concentrer sur leur propre destin à un moment où les dirigeants continuent de piller l’État au profit de ses propres membres et pour des projets régionaux qui ne servent que leurs intérêts égoïstes.

L’érosion progressive des services et des salaires distribués par l’État, conjuguée à la hausse des prix à la consommation et à la perspective d’une pauvreté prolongée, sera l’étincelle d’une nouvelle ère de politique d’opposition inaugurée par la gestion désastreuse de l’État sous sa direction actuelle.

- Madawi al-Rasheed est professeure invitée à l’Institut du Moyen-Orient de la London School of Economics. Elle a beaucoup écrit sur la péninsule arabique, les migrations arabes, la mondialisation, le transnationalisme religieux et les questions de genre. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @MadawiDr

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Madawi al-Rasheed is visiting professor at the Middle East Institute of the London School of Economics. She has written extensively on the Arabian Peninsula, Arab migration, globalisation, religious transnationalism and gender issues. You can follow her on Twitter: @MadawiDr
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