Arabie saoudite : la répression du Hamas constitue une autre erreur coûteuse
J’avais rencontré le Dr Mohammed al-Khudari (Abu Hani) à plusieurs occasions antérieures à mars 2012. Mais ce n’est qu’à cette époque que j’ai appris à mieux le connaître. Je l’avais rencontré par hasard à Gaza et avais passé une semaine à visiter des institutions éducatives et sociales soutenues par Khudari grâce à des collectes de fonds alors qu’il vivait en Arabie saoudite. Il a récemment été condamné là-bas à quinze ans de prison après plus de deux ans de détention pour nulle autre raison que son appartenance au Hamas.
Né en 1938 et médecin de profession, Abu Hani a étudié la médecine à l’université du Caire. Après son diplôme en 1962, il a travaillé à l’hôpital al-Shifa de Gaza pendant près de neuf mois avant de partir pour le Koweït. Il y a vécu et travaillé jusqu’à l’invasion du pays en 1990 par l’ancien dirigeant irakien Saddam Hussein. Des centaines de milliers de Palestiniens avaient alors été contraints de partir.
Si les choses étaient compliquées à l’époque, rien ne préparait le Hamas à ce qui allait suivre à la mort du roi Abdallah
En 1992, Khudari a déménagé en Arabie saoudite, où il représentait officiellement le Hamas, né après l’éruption de l’intifada palestinienne de 1987. Lorsque le cheikh Ahmed Yassine a été libéré des geôles israéliennes en 1997 et a visité un certain nombre de pays arabes, Khudari l’a accompagné à une rencontre à Riyad avec le défunt monarque saoudien, le roi Abdallah ben Abdelaziz.
Lorsque nous étions ensemble à Gaza, j’ai invité Abu Hani à enregistrer avec moi une série d’épisodes relatant son histoire et son vécu pour mon émission hebdomadaire sur la chaîne de télévision Al Hiwar, intitulée « Reflections ». J’ai appris à Gaza qu’il était un acteur majeur du Hamas depuis sa création et même avant cela, dans le cadre du mouvement des Frères musulmans en Palestine – il avait donc une bonne histoire à raconter.
Il a accepté mon invitation, sur le principe, mais préférait que l’enregistrement se fasse après son retour définitif d’Arabie saoudite, puisqu’il avait quitté son poste de représentant du Hamas là-bas.
Éviter les frictions
Quelques années plus tôt, il aurait été impensable pour Khudari, qui figure parmi les 68 Palestiniens et Jordaniens accusés par Riyad d’être liés au Hamas, d’être détenu ou même harcelé. D’après ce que je sais, les dirigeants du Hamas en Palestine et dans la diaspora ont toujours évité d’intervenir dans les affaires internes saoudiennes, prompts à éviter toute friction avec les autorités là-bas.
Jusqu’au décès du roi Abdallah, les relations de l’Arabie saoudite avec le Hamas n’étaient pas si mauvaises, malgré quelques revers. Le premier revers majeur s’est produit à l’été 2007, lorsque l’accord de La Mecque, négocié par le défunt roi Abdallah entre le Fatah et le Hamas en février de cette année-là, s’est effondré quand un conflit militaire a éclaté entre les deux factions.
La violence a engendré le retrait des hommes du président palestinien Mahmoud Abbas de Gaza et une offensive acharnée contre le Hamas et ses membres en Cisjordanie occupée. Depuis lors, les deux ont tenté de se réconcilier, en vain, et l’Arabie saoudite ne semble pas encline à réitérer son initiative de paix.
Selon des sources au sein du Hamas, le roi Abdallah est resté jusqu’à son décès sur l’impression que le Hamas était responsable de l’échec de son initiative d’unification des Palestiniens. Apparemment, Abbas l’avait persuadé que le dirigeant du Hamas Khaled Mechaal était personnellement responsable – bien que je sache sans l’ombre d’un doute que Mechaal était opposé à l’escalade qui a conduit à la rupture et avait exhorté ses frères à Gaza à faire preuve de retenue face aux provocations.
Le second revers majeur a fait suite à l’éruption des révolutions du Printemps arabe. L’Arabie saoudite était horrifiée par les soulèvements, qui ont renversé en quelques mois trois despotes arabes de longue date et vieillissants et menaçaient d’en faire tomber bien d’autres. Le Hamas a été considéré comme appartenant au réseau mondial des Frères musulmans, que les Saoudiens ont associés aux révolutions.
Alors que le premier gouvernement démocratiquement élu en Égypte était renversé par un putsch, organisé et financé par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, des décisions ont été prises pour brider le Hamas et le placer sur la liste des organisations terroristes. Cependant, si les choses étaient compliquées à l’époque, rien ne préparait le Hamas à ce qui allait suivre après le décès du roi Abdallah.
Détérioration rapide
Lorsque le roi Salmane est monté sur le trône et que son fils Mohammed ben Salmane (MBS) est devenu le dirigeant de facto du royaume, les choses se sont rapidement détériorées. Le Hamas n’a pas tardé à savoir pourquoi : MBS prévoyait de faire la paix avec Israël et aurait assurément rejoint les accords d’Abraham, aux côtés de Bahreïn et des Émirats arabes unis, si l’ancien président américain Donald Trump avait décroché un second mandat à la Maison-Blanche.
Cherchant à bien se faire voir aux yeux de l’administration Trump et de ses nouveaux alliés en Israël, MBS ne s’est pas contenté de mettre un terme aux activités pro-Hamas dans le royaume, choisissant de rendre illégal tout effort en ce sens et d’arrêter des dizaines de Palestiniens et de Jordaniens liés au Hamas.
Ces dernières semaines, les réseaux sociaux ont bruissé de rumeurs selon lesquelles les détenus seraient bientôt libérés et que leur calvaire prendrait fin une fois pour toutes. On ne sait pas si les condamnations étaient censées ouvrir la voie à une grâce royale. Certains observateurs pourraient être tentés de penser que cela adviendra, auquel cas cela équivaudrait à une manœuvre de la part du palais royal, cherchant à se sortir de la position inconfortable dans laquelle MBS a mis le pays.
Rien ne justifie la détention de ces ressortissants palestiniens et jordaniens – même pas membres à part entière du Hamas, dont le fondateur a été reçu en héros pan-islamique par le défunt roi Abdallah. De même, rien ne justifie de garder enfermé après tout ce temps Khudari, en particulier, malgré sa maladie et son besoin urgent d’un traitement contre le cancer.
L’ensemble du groupe aurait pu être expulsé du royaume et l’affaire aurait été close. Aucun d’entre eux n’a commis de crime sanctionné par le droit saoudien ; il s’agissait juste de la décision fantasque d’un prince héritier imprévisible. Un tel comportement et une telle irrationalité ont certainement coûté beaucoup à l’Arabie saoudite aux yeux de millions de musulmans à travers le monde, qui considèrent le Hamas comme un mouvement de libération légitime luttant contre l’une des occupations les plus brutales de l’histoire moderne.
- Azzam Tamimi est un universitaire et activiste politique palestino-britannique. Il est actuellement le président de la chaîne Al Hiwar TV et son rédacteur-en-chef.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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