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Au sommet du CCG, Obama doit défier l'Arabie saoudite au sujet des droits de l’homme

Obama doit profiter du prochain sommet du CCG pour faire pression sur l'Arabie saoudite au sujet de son bilan sur les droits de l’homme

Alors qu'il était à nouveau en campagne électorale, promouvant « l’urgence absolue du moment », le Président américain Barack Obama avait abordé avec prudence la possibilité de réformes vis-à-vis des violations des droits de l’homme par le gouvernement saoudien. Bien qu'il ait récemment prévu un « dialogue difficile » avec ses alliés arabes du Golfe sur les effets déstabilisateurs de leurs systèmes restrictifs de gouvernement, il n'a pas précisé quand ce dialogue aurait lieu. Les défenseurs des droits de l'homme, moi y compris, ont pris contact avec la presse pour l'informer que son prochain sommet sur la sécurité avec les dirigeants du Conseil de coopération du Golfe (CCG) était le lieu approprié pour cette discussion directe. Cependant, avec la récente accession au trône du roi Salmane ben Abdelaziz d'Arabie saoudite, la pertinence s’est transformée en urgence. Même si son mandat tire à sa fin, Barack Obama doit pousser ses alliés à réformer leurs pratiques répressives avant qu’une nouvelle cohorte de dirigeants saoudiens ne les poursuive pour un autre demi-siècle.

Quand le roi Salmane a promu Mohammed ben Nayef, ministre de l'Intérieur, et Mohammed ben Salmane, ministre de la Défense, aux postes de prince héritier et de prince héritier adjoint, respectivement, certains observateurs ont salué cette initiative comme un effort prudent visant à « préparer le leadership de la prochaine génération du pays ». Mais si la nouvelle succession symbolise en effet « la prochaine génération » des dirigeants saoudiens, elle représente aussi les mêmes vieilles politiques saoudiennes. La réorganisation du cabinet « concentre presque tous les pouvoirs du roi » entre les mains de deux membres de la famille régnante qui sont responsables de certaines des plus frappantes violations des droits de l'homme en Arabie saoudite.

Sous la direction du prince ben Nayef , le ministère de l'Intérieur a mal interprété délibérément et systématiquement sa prérogative de sécurité intérieure, assimilant la dissidence avec le terrorisme pour faire taire les défenseurs des droits de l'homme, les militants politiques et les membres de minorités religieuses. Utilisant des tribunaux spéciaux en matière pénale et une loi sur le terrorisme qui, dans les faits, criminalise la liberté d'expression, le ministère de l'Intérieur a porté des accusations contre des militants comme Fadhil al-Manasif, des défenseurs des droits de l'homme comme Waleed Abu al-Khair, et des érudits religieux comme le cheikh Nimr Baqer al-Nimr. Tant al-Manasif qu’Abu al-Khair ont été condamnés à des peines de prison de quinze ans, et le cheikh Nimr a été condamné à mort. Comme le constate Adam Coogle, de Human Right Watch, les efforts du prince ben Nayef pour couper la voix de la société civile sont sans précédent.

Comme ben Nayef, le prince Mohammed ben Salmane, âgé d’à peine 30 ans, supervise un ministère responsable de commettre des violations graves des droits de l'homme. Si le  ministère de la Défense du prince Mohammed ben Salmane a réalisé quelques-uns de ses objectifs déclarés dans la campagne militaire au Yémen, il a réussi à faire dérailler l'accord de paix de l'ancien émissaire de l'ONU et à intensifier la profonde crise humanitaire. Selon les estimations de l’UNICEF et de l'Organisation mondiale de la santé, plus de 500 civils ont été tués dans les combats, dont au moins 115 enfants. Le peu d'infrastructures restant dans ce pays déchiré par la guerre – qui est déjà au bord de la famine - a été rendu inopérant, en raison principalement des blocages saoudiens qui empêchent l'arrivée des approvisionnements. Bien que son mandat ait été de courte durée, le mépris du prince ben Salmane envers les pertes civiles a créé un précédent inquiétant pour les futures opérations militaires saoudiennes.

La promotion de ces deux hommes indique une détérioration significative du bilan déjà alarmant en matière de droits de l’homme du gouvernement saoudien. Prenant la mesure de cette situation, d'autres dirigeants pourraient hésiter à engager une « discussion difficile » sur les droits de l'homme et les libertés fondamentales. Obama, cependant, devrait reconnaître qu’un changement de génération peut également marquer l'occasion unique d'une série de réformes. Lors du sommet de Camp David, il doit informer ses alliés que le statu quo est insoutenable, et que la criminalisation actuelle de la société civile ainsi que la perpétuation de crises humanitaires créent la plus grande menace pour la stabilité à long terme de ces pays.

Ainsi qu’Obama l’a reconnu à plusieurs reprises, une société civile active est essentielle pour assurer la sécurité intérieure. Dans un mémorandum présidentiel de septembre 2014 sur la société civile, il écrivait : « En donnant aux populations les moyens pacifiques de faire avancer leurs intérêts et d’exprimer leurs convictions, la création d’une société civile libre et prospère contribue à la stabilité et aide à lutter contre l'extrémisme violent ». Pour surmonter les défis posés par des groupes extrémistes, des militants comme Fadhil al-Manasif, Waleed Abu al-Khair et le cheikh Nimr al-Nimr doivent promouvoir une réforme pacifique au sein de leurs communautés, et non croupir en prison ou risquer la peine capitale. A Camp David, le Président Obama doit exhorter à la libération des prisonniers politiques et pousser le gouvernement saoudien à une plus grande protection des groupes de la société civile.

Alors qu’Obama va bientôt quitter la scène diplomatique internationale, la prochaine génération de dirigeants saoudiens restera au pouvoir pendant des décennies. La poursuite des pratiques autoritaires des générations précédentes – et la stabilité de ces pays – dépendront  en partie de la façon dont le Président Obama abordera le sommet du CCG la semaine prochaine. Il peut redéfinir le partenariat de sécurité entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite en élargissant ses prérogatives afin qu’il englobe la protection des droits de l'homme et la garantie des libertés fondamentales. Cette redéfinition ne peut pas attendre un autre sommet, ni une autre présidence. Le temps de l'urgence est maintenant.

- Husain Abdulla, originaire de Bahreïn, est le fondateur et directeur exécutif de l’organisation Américains pour la démocratie et les droits de l'homme à Bahreïn. Husain Abdulla dirige les efforts de l'organisation pour veiller à ce que les politiques américaines soutiennent le mouvement pour la démocratie et les droits de l’homme à Bahreïn. Husain Abdulla travaille également en étroite collaboration avec les membres de la communauté des Bahreïni-Américains pour s’assurer que leurs voix soient entendues par les représentants du gouvernement américain et le public américain en général. Husain Abdulla a obtenu une maîtrise en sciences politiques et relations internationales et une licence en sciences politiques et mathématiques à l'université de South Alabama.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le président américain Barack Obama en discussion avec le prince héritier Salmane ben Abdelaziz (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par Emmanuelle Boulangé.

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