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Comment la guerre de l’Occident en Libye a engendré des attentats terroristes dans quatorze pays

Les conséquences de la guerre en Libye sont d’une ampleur incroyable : celle-ci a engendré des attentats terroristes en Europe, en Syrie, en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne
Les forces fidèles au Gouvernement d’union nationale prennent position lors d’affrontements avec les forces fidèles à Khalifa Haftar au sud de la banlieue tripolitaine d’Ain Zara, le 23 avril (AFP)

Huit ans après la guerre de l’OTAN en Libye en 2011, alors que le pays entre dans une nouvelle phase de ce conflit, j’ai dressé l’inventaire du nombre de pays dans lesquels le terrorisme s’est étendu en conséquence directe de cette guerre.

Ils sont quatorze au moins. Les Européens et les Africains ont terriblement ressenti le legs du renversement du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi par David Cameron, Nicolas Sarkozy et Barack Obama.

Cependant, demander des comptes à ces dirigeants concernant leur décision d’entrer en guerre reste plus lointain que jamais.  

Un espace non gouverné

Le conflit de 2011, lors duquel l’OTAN a collaboré avec les forces islamistes sur le terrain pour destituer Kadhafi, a créé un espace non gouverné en Libye et inondé le pays d’armes – un scénario idéal pour que prospèrent des groupes terroristes.

Cependant, c’est la Syrie qui a souffert la première.

Les Européens et les Africains ont terriblement ressenti le legs du renversement du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi par David Cameron, Nicolas Sarkozy et Barack Obama

Après que la guerre civile syrienne a éclaté au début de l’année 2011, au même moment qu’en Libye, cette dernière est devenue un centre de facilitation et de formation pour environ 3 000 combattants en route pour la Syrie, dont beaucoup ont rejoint l’affilié d’al-Qaïda, Jabhat al-Nosra, et l’affilié de l’État islamique (EI), Katibat al-Battar al-Libi (KBL), qui a été fondé par des militants libyens.

En Libye même, un changement de nom des groupes liés à al-Qaïda dans la région nord-est de Derna a donné naissance à la première faction officielle de l’État islamique dans le pays à la mi-2014, en y intégrant des membres de la KBL.

En 2015, l’EI en Libye a perpétré des attentats à la voiture piégée, procédé à des décapitations et a établi un contrôle territorial et une gouvernance sur certaines parties de Derna et Benghazi à l’est et de Sabratha à l’ouest. Il est également devenu l’unique organe gouvernant dans la ville de Syrte, dans le centre-nord du pays, avec jusqu’à 5 000 combattants occupant la ville.

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À la fin de 2016, l’EI en Libye a été chassé de ces zones, en grande partie à cause des frappes aériennes américaines, mais il s’est retiré dans les zones désertiques au sud de Syrte, poursuivant ses petites attaques.

Au cours des deux dernières années, le groupe a réapparu en tant que redoutable force insurgée et a repris les attaques très médiatisées contre des institutions de l’État en plus de mener des opérations éclair régulières dans le désert du sud-ouest.

En septembre dernier, le représentant spécial des Nations unies en Libye, Ghassan Salamé, a déclaré au Conseil de sécurité des Nations unies que « la présence de l’EI et ses opérations en Libye ne font que s’étendre ».

Terrorisme en Europe

Après la chute de Kadhafi, l’EI en Libye a établi des camps d’entraînement près de Sabratha, lesquels sont liés à une série d’attentats et de projets d’attentats terroristes.

« La plupart du sang versé en Europe lors des attaques les plus spectaculaires par armes à feu et bombes a véritablement pour origine le moment où Katibat al-Battar est retourné en Libye », a déclaré au New York Times Cameron Colquhoun, ancien analyste de la lutte antiterroriste au GCHQ, le service de renseignements électroniques du gouvernement britannique.

« C’est là que la trajectoire de la menace vers l’Europe s’est dessinée – lorsque ces hommes sont rentrés en Libye et ont pu respirer. »

Des policiers armés en patrouille dans le centre de Manchester, en Grande-Bretagne, en mai 2017 (Reuters)
Des policiers armés en patrouille dans le centre de Manchester, en Grande-Bretagne, en mai 2017 (Reuters)

Salman Abedi, qui a mené un attentat-suicide conduisant à la mort de 22 personnes lors d’un concert pop à Manchester en 2017, a rencontré à plusieurs reprises des membres du Katibat al-Battar al-Libi, une faction de l’EI, à Sabratha, où il a probablement été formé.

Parmi les autres membres connus de KBL figurent Abdelhamid Abaaoud, le chef d’orchestre des attentats de Paris en 2015 contre le Bataclan et le Stade de France, qui ont coûté la vie à 130 personnes, et les militants impliqués dans les attentats déjoués de Verviers visant la Belgique en 2015. 

L’auteur de l’attentat au camion-bélier à Berlin en 2016, qui a coûté la vie à 12 personnes, avait également eu des contacts avec des Libyens liés à l’EI.

Il en va de même en Italie, où des activités terroristes ont été liées à l’EI en Libye, plusieurs individus basés en Italie ayant participé à l’attaque du musée du Bardo à Tunis en 2015, laquelle a tué 22 personnes.

Les voisins de la Libye

La Tunisie a été la cible de l’attaque terroriste la plus meurtrière en 2015 lorsqu’un Tunisien de 23 ans, armé d’une mitraillette, a abattu 38 touristes, principalement des Britanniques, dans un hôtel de bord de mer de la station balnéaire de Port El-Kantaoui, près de Sousse.

L’auteur de l’attentat aurait été un partisan de l’EI et, comme Salman Abedi, aurait été formé dans le complexe du camp de Sabratha, où l’attaque a été planifiée.

En février, des militants formés en Libye ont tué 15 soldats égyptiens dans le Sinaï (document AFP)
En février, des militants formés en Libye ont tué 15 soldats égyptiens dans le Sinaï (document AFP)

Le voisin oriental de la Libye, l’Égypte, a également été frappé par le terrorisme émanant du pays. Les responsables de l’EI en Libye ont été liés et ont peut-être dirigé les activités de Wilayat Sinai, le groupe terroriste anciennement connu sous le nom d’Ansar Bayt al-Maqdis, qui a mené plusieurs attaques meurtrières en Égypte.

Après la chute de Kadhafi, le désert occidental est devenu un corridor de contrebande d’armes et d’agents se rendant au Sinaï.

L’Égypte a mené des frappes aériennes contre des camps de militants en Libye en 2015, 2016 et à nouveau en 2017, cette dernière série à la suite de la mort de 29 chrétiens coptes près du Caire. 

Dans le Sahel

Mais la Libye est également devenue une plaque tournante pour les réseaux djihadistes qui s’étendent vers le Sahel au sud. Le soulèvement de 2011 en Libye a amené un flux d’armes dans le nord du Mali, ce qui a permis de relancer un conflit ethno-tribal qui couvait depuis les années 1960.

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En 2012, les alliés locaux d’al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) avaient pris le contrôle de la gouvernance quotidienne dans les villes de Gao, Kidal et Tombouctou, dans le nord du Mali.

Après l’intervention de la France au Mali, l’absence actuelle de gouvernance en Libye a poussé plusieurs groupes, notamment AQMI et sa filiale al-Mourabitoune, à déplacer leurs centres opérationnels en Libye, où ces groupes pouvaient acquérir des armes plus facilement. 

Avec la Libye comme base arrière, al-Mourabitoune, dirigée par Mokhtar Belmokhtar, a organisé l’attaque du complexe gazier d’In Amenas dans l’est de l’Algérie en janvier 2013, qui a coûté la vie à 40 travailleurs étrangers ; l’attaque armée contre l’hôtel Radisson Blu à Bamako, au Mali en novembre 2015, qui a coûté la vie à 22 personnes ; et l’attaque de l’hôtel Splendid à Ouagadougou, au Burkina Faso, qui a tué 20 personnes en janvier 2016.

Al-Mourabitoune a également attaqué une académie militaire et une mine d’uranium appartenant à des Français au Niger.

Une politique étrangère désastreuse

Les répercussions de la situation en Libye se propagent encore plus largement. En 2016, des responsables américains ont rapporté des signes indiquant que les djihadistes nigérians de Boko Haram, responsables de nombreux attentats et enlèvements effroyables, envoyaient des combattants se joindre à l’EI en Libye, et que la coopération entre les deux groupes se renforçait.

Alors que les dirigeants occidentaux cherchent à vaincre militairement le terrorisme dans certaines régions, leurs choix désastreux en matière de politique étrangère l’ont stimulé dans d’autres

International Crisis Group note que c’est l’arrivée des armes et de l’expertise de la Libye et du Sahel qui a permis à Boko Haram de façonner l’insurrection qui sévit aujourd’hui dans le nord-ouest du Nigeria.

Il a même été allégué que Boko Haram prenait ses ordres de l’EI en Libye.

En plus de ces quatorze pays, des combattants de plusieurs autres États ont rejoint les militants de l’EI en Libye ces dernières années. En effet, on estime que près de 80 % des membres de l’EI en Libye ne sont pas citoyens libyens, venant de pays comme le Kenya, le Tchad, le Sénégal et le Soudan.

Ces combattants étrangers peuvent potentiellement retourner dans leur pays après avoir suivi un entraînement. 

Les conséquences de la guerre en Libye sont d’une ampleur remarquable : celle-ci a engendré le terrorisme en Europe, en Syrie, en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne. L’État islamique, bien que presque vaincu en Syrie et en Irak, est loin d’être mort.

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En effet, alors que les dirigeants occidentaux cherchent à vaincre militairement le terrorisme dans certaines régions, leurs choix désastreux en matière de politique étrangère l’ont stimulé dans d’autres. 

- Mark Curtis est un historien et analyste spécialiste de la politique étrangère et du développement international du Royaume-Uni. Il est l’auteur de six livres, dont le dernier en date est une édition mise à jour de Secret Affairs: Britain’s Collusion with Radical Islam.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Mark Curtis is an author and editor of Declassified UK, @declassifiedUK
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