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Droits des femmes en Algérie : les lois progressent mais pas les mentalités

En Algérie, les choses évoluent positivement pour les femmes sur le plan juridique mais un fossé persiste entre les textes de loi et les attitudes sociales envers les droits des femmes

Indéniablement, les droits des femmes en Algérie ont connu ces dernières années une avancée positive considérable sur le plan de l’arsenal juridique mobilisé en leur faveur.

À partir de 2005 et de la révision du Code de la famille, bien que celui-ci soit jugé encore très inégalitaire par de nombreux(euses) militant(e)s féministes, de nouvelles lois ont été promulguées permettant notamment aux femmes une meilleure représentation au niveau des assemblées élues, ainsi qu’une protection contre les violences physiques et psychologiques, pour ne citer que ces deux aspects principaux.

Concernant la représentation des femmes au niveau politique, la loi organique n°12-03 du 12 janvier 2012 prévoit dans son article premier que « [cette loi] définit les modalités augmentant les chances d’accès de la femme à la représentation dans les assemblées élues », ouvrant ainsi la voie à l’instauration d’un quota prédéfini pour les femmes sur les listes électorales.

En 2012, les femmes entrent massivement (146 femmes élues, soit un taux de 31,6 %) à l’Assemblée populaire nationale (APN), jusque-là occupée quasi exclusivement par des hommes

L’idée de départ est qu’une forte présence des femmes dans les assemblées élues est à la fois la clé de leur autonomie et la consécration du rôle de l’État dans la consolidation du principe d’égalité. Le résultat ne s’est pas fait attendre. L’année 2012 marquait une entrée massive des femmes (146 femmes élues, soit un taux de 31,6 %) dans une Assemblée populaire nationale (APN), jusque-là occupée quasi  exclusivement par des hommes.

Quant aux violences exercées à l’égard des femmes, la loi n°15/19 du 30 décembre 2015 criminalise la violence conjugale, le harcèlement de rue, le vol entre époux et la dépossession des biens de la femme par l’époux. Agresser son conjoint ou son ancien conjoint est passible d'une peine allant jusqu’à vingt ans de prison, en fonction des blessures de la victime, et si l'agression résulte de la mort de la victime, son auteur encourt la prison à perpétuité. Fait nouveau, ces amendements criminalisent également le harcèlement sexuel dans les lieux publics.

Néanmoins, le cadre juridique des droits des femmes en Algérie n’est pas accompagné d’une évolution significative au niveau des mentalités et des attitudes envers ces mêmes droits.

Attitudes sociales envers les droits des femmes

En plus du problème récurrent et souvent dénoncé de la non application des lois en vigueur, il existe un fossé entre les lois en faveur des droits des femmes et la perception qu’ont les Algérien(ne)s d’une manière générale de ces mêmes droits.

Selon l’Arab Barometer (enquête non partisane dirigée dans le Monde Arabe mesurant les attitudes des citoyens sur la démocratie et la gouvernance, l'économie, la société civile...) révèle que le point de vue des Algérien(ne)s sur certaines questions sociales et religieuses évolue vers un conservatisme plus marqué.

À titre d’exemple, par rapport à 2013, en 2017 un plus grand nombre d'Algérien(ne)s considère que l'enseignement universitaire est plus important pour les garçons que pour les filles et que les femmes mariées ne devraient pas travailler à l'extérieur de la maison.

L’enquête souligne, par ailleurs, que les attitudes les plus conservatrices sont celles affichées à l’égard de la participation des femmes algériennes à la vie politique. Selon elle, moins du quart des Algérien(ne)s conviennent qu'une femme peut devenir présidente ou Première ministre d'un pays musulman (22 % d'accord, 14 % tout à fait d'accord) et la majorité est d'accord pour dire que les hommes conviennent mieux à la tête de la politique que les femmes (34 % sont d'accord et 47 % sont tout à fait d'accord).

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La majorité convient également que les maris devraient avoir le dernier mot dans toutes les décisions relatives à la famille.

De son côté, l’étude réalisée en 2014-2015 par Afrobaromètre (équivalent de l'Arab Barometer mais pour l'Afrique) affirme que 41 % des Algérien(ne)s sont tout à fait d’accord avec l’idée selon laquelle les hommes feraient de meilleurs décideurs politiques que les femmes, et devraient donc être élus à leur place. Seuls 16% sont tout à fait d’accord avec l’idée selon laquelle les hommes et les femmes devraient avoir des chances égales d’être élu(e)s.

S’agissant des violences, les femmes algériennes elles-mêmes semblent ne pas être très enclines à s’insurger contre certaines formes exercées à leur égard. Selon une enquête réalisée en Algérie en 2012-2013 par le ministère de la Santé en collaboration avec le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) et le Fonds des Nations unies pour la Population (UNFPA), 59 % des femmes algériennes âgées entre 15 et 49 ans estiment qu'un mari a « le droit de frapper ou de battre » son épouse pour diverses causes.

Certains observateurs n’hésitent pas à incomber une partie du blocage actuel à la dualité du champ juridique algérien héritée de la période française. En effet, dans la convention du 5 juillet 1830, la France s’engage à respecter la religion musulmane et le statut des biens et des personnes qui lui est lié.

C’est le principe de la personnalité des lois qui est adopté : chaque Algérien(ne) sera jugé(e) selon sa loi, française pour les citoyens français, musulmane pour les musulmans et juive pour les israélites. Cependant, les autorités françaises, qui acceptent au début ce principe, sont vite confrontées à plusieurs problèmes : le principe de la personnalité des lois sera-t-il appliqué en matière pénale ? Le sera-t-il par des juridictions uniques ou distinctes ?

Les Algériennes sont des citoyennes dans la sphère publique mais se retrouvent dans une situation de grave infériorité au sein de la cellule familiale

Si elles sont uniques, seront-elles organisées selon les principes français ou sur la base de principes musulmans ? Le principe de la personnalité des lois sera donc appliqué jusqu’en 1962 mais son domaine d’application sera réduit aux statuts personnels et aux droits successoraux.

Ainsi, un peu comme durant la période coloniale, pour combler ce qu’on appelle « un vide juridique », et qui durait depuis 1962, il a été décidé suite à l’adoption du Code de la famille de 1984 que tout ce qui concerne la famille relèverait du droit musulman, singularisant ainsi ce texte au sein de l’ensemble du système juridique algérien.

Cette situation paradoxale a fait des femmes algériennes des citoyennes dans la sphère publique, qui se retrouvent dans une situation de grave infériorité au sein de la cellule familiale. De ce fait, la femme algérienne peut prétendre à être présidente de la République sans pour autant échapper, en vue de se marier, à l’obligation juridique d’être assistée par un wali (tuteur).

Les mentalités ayant toujours la peau dure

Il est vrai qu’après l’indépendance, l’Algérie adopte un modèle socialiste de développement visant le nivellement de toutes les inégalités et qui se devait de déboucher sur la concrétisation pleine et entière de la citoyenneté des femmes.

Au plan politique, il est important de souligner que l’idée de l’égalité des sexes a fait l’objet d’un débat au sein du mouvement national qui a présidé à la libération de l’Algérie et a donc été admise comme une résultante logique de la lutte pour l’émancipation des Algérien(ne)s.

La question « féminine » a été reposée dès les premières années de l’indépendance dans le cadre du développement et de la transformation générale de la société.

Toutefois, force est de constater que les femmes algériennes qui ont activement pris part à la guerre de libération nationale ont vu leur combat occulté et ont été priées de regagner leur foyer au lendemain de l’indépendance, ce qui fait dire à certains que la guerre de libération et le mouvement national ont été une affaire exclusivement d’hommes.

Ainsi, les mentalités ayant toujours la peau dure, la loi des quotas ne semble pas avoir révolutionné les mœurs tant au sein de la société qu’au niveau d’une majorité de partis.

Le nombre de femmes ayant accédé à la députation en 2017 (118) est en net recul par rapport à celui enregistré durant les législatives de 2012 (147). Pour de nombreux observateurs, cela résulte du positionnement des femmes sur les listes électorales présentées.

La place de la femme au sein de l’APN est ainsi souvent perçue comme étant un « remplissage »

La parité horizontale n’étant pas obligatoire, de nombreuses candidates se sont retrouvées inscrites aux dernières places, voyant ainsi leurs chances d’être choisies par les électeurs s’amenuiser.

Pour beaucoup, la loi sur les quotas s’est transformée au fil du temps en contrainte pour certaines formations politiques qui se voient tenues de présenter des femmes sur leurs listes sans que cela ne traduise une conviction profonde. La place de la femme au sein de l’APN est ainsi souvent perçue comme étant un « remplissage ».

Dans le discours officiel de l’État algérien, l’émancipation des femmes serait le corollaire du développement économique conduit par l’État. Or, ce discours a, dès le début, été confronté à des discours politiques d’exclusion des femmes s’appuyant sur des références religieuses et patriarcales.  

Fait illustrateur, le texte de loi criminalisant les violences faites aux femmes, adopté en mars 2015 par l’APN, a connu un véritable parcours de combattant avant d’être bloqué au Sénat par les conservateurs jusqu’au mois de décembre de la même année.

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Après son adoption par les député(e)s de l’APN, des conservateurs avaient dénoncé cette loi comme une intrusion dans l’intimité du couple qui est, selon leurs dires, « contraire aux valeurs de l’islam ».

Par ailleurs, une disposition de cette loi, appelée « clause du pardon », autorise la victime d’actes de violence domestique à pardonner à l’auteur des faits, ce qui mettrait fin aux poursuites judiciaires.

Au total, le mot « pardon » apparait quatre fois dans le texte et il est à craindre que cette clause exposerait les femmes à des pressions de toutes sortes afin de les pousser à retirer leur plainte. Plus préoccupant encore, l’article 326 du Code pénal continue de permettre aux auteurs de viol sur mineures d’échapper à la justice en épousant leurs victimes. 

- Nourredine Bessadi est enseignant-chercheur à l'Université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, en Algérie. Il est en même temps traducteur et consultant indépendant. Il travaille sur les questions se rapportant au genre, aux politiques linguistiques et aux droits humains. Il est fondateur de Babel Consulting, une entreprise de conseil en communication. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Selon une enquête réalisée en Algérie en 2012-2013 par le ministère de la Santé en collaboration avec le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) et le Fonds des Nations unies pour la Population (UNFPA), 59 % des femmes algériennes âgées entre 15 et 49 ans estiment qu'un mari a « le droit de frapper ou de battre » son épouse pour diverses causes (AFP).

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