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Élection américaine : Joe Biden peut-il éviter de créer un Trump sous stéroïdes en 2024 ?

Si le candidat démocrate est élu président, il devra laisser derrière lui les précédentes politiques étrangères et nationales des États-Unis
Le candidat démocrate à l’élection présidentielle américaine Joe Biden s’exprime en Floride, le 29 octobre (AFP)

Les Américains sont en train de choisir leur prochain président. Le vainqueur ne sera peut-être pas annoncé dans les heures suivant la fermeture des bureaux de vote. Et bien que les analystes aient prévu une vague bleue qui porterait le démocrate Joe Biden au pouvoir, ce qui s’est produit en 2016 avec Hillary Clinton – alors favorite – doit appeler à la prudence. 

En outre, le président Donald Trump a déjà indiqué qu’il pourrait contester sa défaite le cas échéant, et le vainqueur pourrait être décidé par la Cour suprême, que l’actuel président a réussi à remodeler à son image. L’ancien président George W. Bush a déjà suivi cette voie contre son opposant, Al Gore, en 2000.

Imaginons qu’on échappe au pire – les batailles devant les tribunaux et dans les rues. Essayons plutôt d’imaginer comment évoluerait le statut du pays dans un monde sous une administration Biden.

Quatre ans dans le déni

Une vague de soulagement se propagera à travers le monde après les montagnes russes des quatre dernières années. Mais sommes-nous absolument certains que les causes profondes qui ont amené un homme tel que Trump à la Maison-Blanche en premier lieu ont été traitées et que d’ici quatre ans, un homme encore plus toxique que Trump (comme le sénateur Tom Cotton) ne pourrait pas se présenter pour défier un président démocrate moribond ?

Un président qui écoute au lieu de tweeter sera plus à même de conquérir les cœurs et les esprits et d’affronter les défis – qu’ils soient réels ou imaginaires – que posent certaines puissances rivales

Une vague bleue chassant Donald Trump du Bureau ovale serait inutile si Biden et ses conseillers croyaient, pour citer la récente encyclique du pape François, « qu’il ne s’agirait que d’assurer un meilleur fonctionnement de ce que nous faisions auparavant, ou que le seul message est que nous devrions améliorer les systèmes et les règles actuelles ». Si tel est le cas, une administration Biden serait un élément du problème Trump et passerait quatre ans dans le déni.

Si un changement d’approche est crucial pour la politique nationale américaine, il est également nécessaire en politique étrangère. Un changement de paradigme est nécessaire.

Bien évidemment, Biden pourrait déjà avoir prévu de meilleures politiques sur les problèmes mondiaux. Il va réintégrer les États-Unis dans les luttes communes pour affronter les menaces existentielles : le changement climatique, la pandémie de COVID-19, les guerres commerciales et technologiques. Il mènera un effort concerté pour insuffler un rétablissement mondial après la pandémie. Il faudra un multilatéralisme renforcé pour parvenir à de tels objectifs.

Biden pourrait combler le fossé transatlantique, non seulement au sein de l’OTAN, mais également avec l’Union européenne ; il devrait également faire renouer les États-Unis avec l’Organisation mondiale de la santé, l’accord de Paris sur le climat et l’accord sur le nucléaire iranien, et il pourrait avoir une opinion plus nuancée et détachée sur les accords d’Abraham

Renoncer à l’exceptionnalisme

Un président qui écoute au lieu de tweeter sera plus à même de conquérir les cœurs et les esprits et d’affronter les défis – qu’ils soient réels ou imaginaires – que posent certaines puissances rivales telles que la Chine, la Russie, l’Iran, la Turquie et des phénomènes comme le fondamentalisme islamique.

Mais rien de significatif ne sera accompli si les États-Unis ne renoncent pas à leur obsession d’être un leader mondial, leur croyance en leur propre exceptionnalisme. Bien que Biden pense que les États-Unis doivent à nouveau montrer la voie, il pourrait bientôt être contraint d’affronter la réalité : cette période est définitivement révolue. 

Le président américain Donald Trump s’exprime en Floride, le 29 octobre (AFP)
Le président américain Donald Trump s’exprime en Floride, le 29 octobre (AFP)

Bien entendu, le pays continuera à fournir une contribution cruciale pour façonner un nouvel ordre mondial multilatéral plus juste et moins orgueilleux. Mais les États-Unis en 2021 seront bien différents du vainqueur autoproclamé de la guerre froide en 1991. Ce qui était vrai à l’époque ne le sera plus nécessairement à l’avenir.

La plus grande erreur que l’administration Biden pourrait commettre serait de poursuivre la politique dangereuse et inefficace de Trump à l’encontre de la Chine, l’obsession vis-à-vis d’une ingérence russe dans le système politique américain ou la notion absurde que l’Iran possède de telles capacités. 

La sinophobie, la russophobie et l’islamophobie sont des instruments utiles pour les démagogues et les populistes lunatiques, mais ils sont aussi utiles qu’une tronçonneuse à un dentiste. Elles n’apportent rien à une élite américaine cherchant à remodeler un ordre mondial plus juste et plus efficace.

Erreurs en série

Comme l’a reconnu avec autorité un ancien initié, les choses qui divisent les sociétés occidentales n’ont pas été créées par la Russie. Est-ce que Biden et son équipe croient vraiment au Russiagate, comme Bush a cru la propagande sur les armes de destruction massive en Irak ? Est-ce que Biden et son équipe croient vraiment que l’essor de la Chine résulte seulement de pratiques commerciales inéquitables et de vol de propriété intellectuelle par Pékin, comme l’avance Trump – ou que le principal problème auquel nous sommes confrontés est « le capitalisme d’État agressif des autocraties modernes » ?

Une grande partie des « défis » chinois et russe résulte des erreurs stratégiques américaines depuis la fin de la guerre froide – bien avant que Trump ne nourrisse de quelconques ambitions présidentielles. Les défis iranien et turc sont les conséquences d’erreurs en série au Moyen-Orient. Ce sont les conséquences de choses pour lesquelles les administrations Clinton, Bush et Obama sont les principales responsables. 

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Les États-Unis devraient arrêter de chercher des excuses à l’étranger pour leurs propres erreurs en série, à la fois internes et externes. Comme cela a été noté dans un récent article de Foreign Affairs, les États-Unis doivent arrêter de baser leur politique étrangère sur la recherche systémique de « monstres à détruire » à travers le monde ; surtout, ils doivent arrêter de créer leurs propres ennemis pour nourrir le complexe militaro-industrialo-médiatico-congressiste. 

Biden doit renoncer à la notion que les nouveaux acteurs internationaux tels que la Chine, et les anciens tels que la Russie, accepteront un nouveau leadership américain, indépendamment des prémisses sur lesquelles il est bâti. Au contraire, il semble qu’un point de non-retour a été atteint en ce qui concerne la Russie, et on s’en approche avec la Chine. 

En ce qui concerne l’Iran, restaurer l’accord sur le nucléaire – comme Biden l’a laissé entendre – aiderait, mais il y a une question d’ordonnancement. Ce sont les États-Unis qui se sont retirés de l’accord international, pas l’Iran.

Nouvel ordre international

Ce nouvel ordre international ne sera pas néolibéral comme nous l’avons connu sous le leadership américain depuis des décennies, avec son lourd bagage d’instrumentalisation du dollar, de sanctions contre des dizaines de pays, de guerre mondiale contre le terrorisme sans garde-fous juridiques et de recours trop fréquent à la force. 

Les États-Unis et leurs alliés, qu’ils le veuillent ou non, doivent s’adapter à un monde où ils ne peuvent pas mener la danse et où leur façon de présenter les choses est constamment remise en cause.

Pour se régénérer, les États-Unis doivent admettre qu’il y a des problèmes fondamentaux avec la façon dont ils exercent leur puissance

Les quatre années de Trump n’étaient pas un simple soubresaut. L’Occident s’effondre, et avec lui, certaines des institutions les plus puissantes et dominantes à Washington, qui connaît une convulsion morale. Pour se régénérer, les États-Unis doivent admettre qu’il y a des problèmes fondamentaux avec la façon dont ils exercent leur puissance. 

La démocratie est confrontée à de plus grandes menaces que la Russie ou la Chine. Si la liberté est conçue comme elle l’a été aux États-Unis au cours des 30 dernières années (gouvernement limité sans taxes excessives sur les riches), et si cet ordre néolibéral continue de devenir bien plus puissant que la démocratie, alors nous aurons une révolte populaire similaire à ce que nous avons connu à travers le monde occidental. Ajoutez à cela les conséquences de l’inconscience financière de Wall Street et vous obtiendrez la meilleure réponse à la question de savoir ce qui s’est mal passé ces dernières décennies.

Si l’establishment politique américain qui s’identifie au Parti républicain est et restera imperméable à toute rédemption, Biden devrait pour sa part saisir l’occasion d’une victoire pour éloigner le pays de ses précédentes politiques, à la fois sur le plan national et international. Les démocrates ne l’ont pas fait en 2008 ni en 2016. Répéter cette erreur dans les années à venir serait impardonnable.

- Marco Carnelos est un ancien diplomate italien. Il a été en poste en Somalie, en Australie et à l’ONU. Il a été membre du personnel de la politique étrangère de trois Premiers ministres italiens entre 1995 et 2011. Plus récemment, il a été l’envoyé spécial coordonnateur du processus de paix au Moyen-Orient pour la Syrie du gouvernement italien et, jusqu’en novembre 2017, ambassadeur d’Italie en Irak.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Marco Carnelos is a former Italian diplomat. He has been assigned to Somalia, Australia and the United Nations. He served in the foreign policy staff of three Italian prime ministers between 1995 and 2011. More recently he has been Middle East peace process coordinator special envoy for Syria for the Italian government and, until November 2017, Italy's ambassador to Iraq.
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