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En écrasant les EAU, le Qatar offre à Doha un avant-goût de justice en pleine crise du Golfe

Quand la diplomatie du football se mêle à une crise politique puérile motivée par la jalousie, le résultat est une fessée en bonne et due forme et une victoire contre l’injustice

Une grande part de cette crise du Golfe est si insignifiante, si puérile, si futile. Comme des petits garçons qui se disputent les jouets, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) ont commencé à s’en prendre au Qatar pour ce quelque-chose ressemblant presque à une prise d’indépendance, avant de rallier à leur cause l’Égypte, la brute du voisinage.

Bahreïn, le quatrième pays impliqué dans le blocus du Qatar, est ce gamin maigrichon qui se cache derrière les plus grands garçons tout en faisant des gestes menaçants avec ses poings, sachant qu’il ne sera jamais livré à lui-même.

Une histoire d’ego

Le blocus n’a jamais été une histoire de terrorisme. Cela n’a jamais vraiment été une histoire de politique étrangère ou de géopolitique. C’est une histoire d’ego. Une histoire de statut. Une histoire de petits hommes en manque de confiance qui cultivent un complexe d’infériorité.

Le Qatar a commencé à sortir de l’ombre de ses frères du Golfe et à se faire une place dans le voisinage régional au tournant du millénaire, dans le sillage de l’influence grandissante d’Al Jazeera dans le monde arabe. La projection du soft power qatari s’est lentement étendue, sous l’œil inquiet des Saoudiens et des Émiratis, qui se méfiaient de voir leur petit frère grandir.

C’est en 2010 que Doha a atteint l’âge de la majorité – et que sa réputation a réellement commencé à dépasser celle de ses voisins –, lorsque le Qatar s’est vu attribuer l’organisation de la Coupe du monde de football 2022.

Le blocus n’a jamais été une histoire de terrorisme. Cela n’a jamais vraiment été une histoire de politique étrangère ou de géopolitique. C’est une histoire d’ego. Une histoire de petits hommes en manque de confiance qui cultivent un complexe d’infériorité

Soudain, le Qatar venait de faire irruption sur la scène internationale. Il laissait ses grands frères derrière lui et ouvrait sa propre voie. Ce qui a quelque peu déplu aux dirigeants saoudiens et émiratis. La Coupe du monde de football est l’un des plus grands événements au monde.

C’est un imposant symbole de statut pour un pays hôte. Elle est porteuse d’un message : « Nous sommes arrivés. Nous sommes égaux parmi les monuments culturels du monde. Nous sommes aussi développés, aussi compétents – et aussi “civilisés” – que n’importe quelle nation du monde. »

Elle attire également l’attention, qu’elle soit bonne ou mauvaise. La presse internationale a écrit sur les travailleurs traités comme des « esclaves » au Qatar. Une enquête menée par The Guardian a révélé que du personnel recruté dans des pays pauvres subissait de nombreux abus en matière de droit du travail dans de somptueux hôtels.

La réaction des voisins du Qatar a en revanche été motivée par la jalousie. 

De toute évidence, affirmer que la crise du Golfe et le blocus du Qatar sont uniquement dus à l’organisation de la Coupe du monde par Doha est une simplification excessive. Mais rien d’autre ne montre aussi clairement à quel point ce conflit est insignifiant. 

La diplomatie du football

Le coup d’envoi de la diplomatie du football dans le Golfe a été donné il y a quelques années et les tacles par derrière sont légion. La Coupe du Golfe des nations, un tournoi de football à huit équipes organisé tous les deux ans, devait être organisée par le Koweït en 2016, après que l’Irak s’est naturellement vu retirer la compétition en raison de la crise financière qu’il traversait et de la prise de contrôle d’environ un tiers du pays par le groupe État islamique. 

Mais le Koweït – qui formait autrefois les stars du football asiatique – a été par la suite exclu de la FIFA en raison d’allégations d’ingérence du gouvernement dans la fédération nationale de football.

Des supporters émiratis réagissent au score lors de la demi-finale de Coupe d’Asie des nations de football 2019 opposant le Qatar aux Émirats arabes unis, au stade Mohammed ben Zayed d’Abou Dabi, le 29 janvier 2019 (AFP)

La Coupe du Golfe a été reportée à l’année suivante et remise au Qatar, à mi-chemin de ses préparatifs pour l’accueil de la Coupe du monde. Bien entendu, à l’époque, le blocus du Qatar dirigé par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis battait son plein. 

Les relations diplomatiques avaient été rompues, la frontière terrestre entre l’Arabie saoudite et le Qatar (par laquelle 60 % des importations de produits alimentaires du Qatar entraient dans le pays) avait été scellée et l’espace aérien régional avait été fermé aux vols qataris. Le Qatar s’était retiré de la coalition contre les Houthis au Yémen.

À LIRE ► ANALYSE : un an après le début du blocus saoudien, le Qatar « trace sa propre voie »

L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn ont été retirés du tournoi de 2017, n’ayant pas répondu aux invitations des organisateurs basés à Doha. Les administrateurs de la Coupe du monde à la FIFA étaient à juste titre préoccupés par l’impact potentiel sur 2022, alors que des millions de supporters étaient censés venir au Qatar depuis toute la région.

Si la Coupe du Golfe venait à s’écrouler, cela aurait créé un précédent inquiétant pour les pays responsables du blocus qui les aurait incités à mener et/ou imposer un boycott de la Coupe du monde 2022. Et il y a beaucoup d’argent et de fierté en jeu lorsqu’il faut faire de chaque Coupe du monde une énorme machine à sous pour les organisateurs, les sponsors et les installations touristiques.

Finalement, le gouvernement koweïti a adopté une loi bloquant toute ingérence de l’État dans la fédération nationale de football. Le Qatar a accepté de restituer l’accueil du tournoi au Koweït, les pays bloqueurs ont annoncé leur participation et tout le monde à la FIFA a poussé un soupir de soulagement.

Le décor était planté pour le « derby du blocus » à Abou Dabi. Afin d’assurer une ambiance de feu voire hostile dans le stade, les responsables émiratis ont acheté en bloc 18 000 billets et les ont distribués gratuitement 

Pour l’anecdote, le Qatar, alors dirigé depuis quelques mois seulement par le sélectionneur Félix Sánchez Bas, a battu le Yémen 4 – 0 lors de cette compétition, mais ce fut sa seule victoire du tournoi, remporté par Oman (qui a battu les Émirats arabes unis en finale aux tirs au but).

L’outsider

Un peu plus d’un an plus tard, nous nous retrouvons à la Coupe d’Asie des nations 2019, le tournoi de football international le plus important du continent. Les Émirats arabes unis ont obtenu l’organisation de cette édition en 2015 et la crème du football asiatique a donc convergé vers Abou Dabi. À l’exception, bien entendu, des Qataris. Alors que le blocus économique à grande échelle est toujours en vigueur, les Qataris ont été pour l’essentiel interdits de déplacement vers les Émirats arabes unis.

Tandis que l’Australie, la Corée du Sud et le Japon figuraient parmi les favoris pour remporter le titre, le pays hôte a dépassé les attentes en terminant en tête de son groupe pour se qualifier pour les huitièmes de finale, avant d’éliminer le Kirghizistan et – contre toute attente – l’Australie pour rallier les demi-finales. 

Des supporters qataris célèbrent la victoire de leur équipe nationale contre les Émirats arabes unis et la qualification pour la finale de la Coupe d’Asie des nations, le 29 janvier 2019, à Doha, capitale du Qatar (AFP)

Pratiquement privé de supporters en tribunes, le Qatar a également commencé à se forger un statut d’outsider en balayant l’Arabie saoudite (peu connue pour ses prouesses footballistiques) après avoir étrillé la Corée du Nord pour sortir de la phase de groupes. Les nets succès contre l’Irak et la Corée du Sud, qui comptait parmi ses rangs la superstar de Tottenham Son Heung-min, ont permis aux hommes de Félix Sánchez Bas de se qualifier pour l’une des demi-finales les plus attendues de l’histoire de la Coupe d’Asie.

Le décor était planté pour le « derby du blocus » à Abou Dabi. Afin d’assurer une ambiance de feu voire hostile dans le stade, les responsables émiratis ont acheté en bloc 18 000 billets et les ont distribués gratuitement – un prétendu acte de bienfaisance qui a toutefois eu pour conséquence évidente de ne laisser que très peu de sièges aux supporters qataris « neutres ».

Les écoles émiraties ont fermé en avance pour permettre aux enfants de la nation d’assister à ce qui aurait dû être un moment de gloire dans l’histoire du sport émirati.

Un avant-goût de justice

Ce qui a suivi ce mardi après-midi n’a toutefois été rien de moins qu’une humiliation nationale.

En première période, les deux équipes ont joué un football rythmé et attractif. Le score de 2 – 0 en faveur du Qatar ne reflétait d’ailleurs peut-être pas parfaitement la physionomie du match dans la mesure où le premier but était dû à une faute de main du gardien. Cependant, le deuxième but du Qatar, marqué par le joueur d’origine soudanaise Almoez Ali à la conclusion d’un excellent travail d’équipe, était réellement une réalisation de grande classe.

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En seconde période, les Émiratis se sont tout simplement effondrés et ont perdu toute discipline, à la fois sur le terrain et en tribunes. Au Royaume-Uni, la BBC montre encore des extraits des éliminations de l’Angleterre des compétitions européennes de football dans les années 1990. C’est le genre de honte collective qui demande une génération voire plus pour être acceptée.

Et ne tournons pas autour du pot : cette fessée en bonne et due forme est plus dramatique que tout ce que l’équipe d’Angleterre de football a dû endurer.

La leçon de football administrée sur le score de 4 – 0 par les Qataris fut une leçon contre la pétulance. Ce ne fut pas seulement une victoire pour onze hommes sur un terrain ; ce fut aussi une illustration de la futilité de tout ce blocus

Après avoir rempli le stade avec leurs propres supporters, qui ont scandé des insultes au cours de l’hymne national qatari et ont lancé des projectiles, dont des chaussures et des bouteilles, sur les joueurs qataris, après dix-huit mois de blocus total imposé au Qatar, après avoir proféré des accusations infondées à l’encontre de Doha, après avoir brandi la menace d’une invasion militaire, les Émirats arabes unis ont tout de même été ridiculisés.

La leçon de football administrée sur le score de 4 – 0 par les Qataris fut une leçon contre la pétulance. Ce ne fut pas seulement une victoire pour onze hommes sur un terrain ; ce fut aussi une illustration de la futilité de tout ce blocus. 

Une victoire contre le Japon en finale ce vendredi n’aurait presque aucune importance après ce match héroïque. La défaite des Émirats arabes unis entrera dans l’histoire pour la passion qu’elle a engendrée, les projectiles – et peut-être aussi pour cet avant-goût de justice.

- James Brownsell est rédacteur en chef de The New Arab. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @JamesBrownsell.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le défenseur qatari Hamid Ismail (à droite) célèbre son but lors de la demi-finale de Coupe d’Asie des nations de football 2019 opposant le Qatar aux Émirats arabes unis, au stade Mohammed ben Zayed d’Abou Dabi, le 29 janvier 2019 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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