« J’ai l’impression de vivre dans une fosse septique » : l’effondrement environnemental de Gaza
Le 14 juillet dernier, des avions israéliens ont bombardé des zones de la bande de Gaza lors de ce qui a constitué la plus grave série de frappes sur le territoire assiégé depuis 2014.
Au moins deux Palestiniens ont été tués et plusieurs autres blessés. Les Israéliens ont justifié l’attaque en disant qu’il s’agissait d’une riposte à des tirs de mortiers et d’autres engins incendiaires au-delà de la frontière.
Une catastrophe environnementale
Non seulement la bande de Gaza fait face à de nouvelles tueries, mais elle est également confrontée à une véritable catastrophe écologique, alors que davantage de bâtiments et d’infrastructures sont détruits. Avec deux millions de personnes entassées dans un espace de seulement 41 km de long sur 10 km de large, Gaza est littéralement pleine à craquer.
Au plus fort des manifestations à la frontière de la bande côtière plus tôt cette année et de la riposte meurtrière d’Israël, qui a fait plus de 100 morts et plusieurs milliers de blessés parmi les manifestants palestiniens, un haut responsable de l’armée israélienne a écrit une lettre au chef de la Organisation mondiale de la santé (OMS).
Le général de division Yoav Mordechai, coordinateur de la branche bureaucratique de l’armée israélienne (COGAT), voulait attirer l’attention de l’OMS non pas sur les massacres, mais sur la question de la combustion massive de pneus par les manifestants gazaouis.
Le problème environnemental numéro un est l’eau et l’assainissement. Plus de 50 % des Palestiniens de Gaza n’ont pas accès à l’eau courante
« Il s’agit d’un problème environnemental sérieux qui nuira à la santé des résidents et provoquera une pollution de l’air sans précédent », a-t-il déclaré. « Je vous sollicite, en tant que chef d’une organisation internationale dont le but est de promouvoir la santé et protéger les ressources naturelles et environnementales, afin que vous fassiez tout ce qui est en votre pouvoir pour mettre en garde publiquement contre une telle catastrophe écologique et protester contre le comportement irresponsable du Hamas. »
Pour certains, ces avertissements ont pu sembler hors de propos, voire cruels. Après tout, lorsque des personnes meurent sous les balles, qui se soucie vraiment des incendies et de la qualité de l’air ? Cependant, Gaza connaît effectivement une crise environnementale. Mais celle-ci n’est pas due simplement aux toxines et à la fumée noire provenant de la combustion de milliers de pneus par des manifestants.
Il y a des problèmes beaucoup plus importants qui, s’ils ne sont pas abordés, menacent de rendre la vie dans le territoire insoutenable dans un très proche avenir.
Le problème environnemental numéro un est l’eau et l’assainissement. Plus de 50 % des Palestiniens de Gaza n’ont pas accès à l’eau courante. L’aquifère situé au-dessous de Gaza – qui s’étend également en Israël – a gravement diminué, principalement en raison de la surexploitation.
La baisse des précipitations et les changements climatiques contribuent également à la disparition de l’aquifère. Selon les experts en eau, celui-ci reçoit moins de la moitié des 218 milliards de litres d’eau nécessaires pour se recharger chaque année.
Une crise perpétuelle
En juillet 2017, l’ONU a publié un rapport détaillé sur Gaza et son environnement. Ses conclusions, qui décrivaient le territoire comme étant en état de crise perpétuelle, étaient sinistres.
« Sur le terrain, la vie du Palestinien moyen à Gaza devient de plus en plus misérable », indique le rapport. « Un enfant de 11 ans n’a pas connu plus de douze heures d’électricité en une seule journée de toute sa vie. Personne ne se souvient d’une époque récente où de l’eau potable coulait de manière fiable du robinet. »
De vastes quantités d’eaux usées sont déversées dans la Méditerranée – l’équivalent de 43 piscines olympiques par jour
Le rapport prévoit que les ressources en eau de l’aquifère seront complètement épuisées d’ici fin 2018. En attendant, l’eau qui reste est gravement polluée à la fois par l’eau salée qui s’infiltre de la mer et par le ruissellement des eaux usées. La plupart des Gazaouis doivent acheter leur eau auprès d’opérateurs privés de camions-citernes ; non seulement cette solution est onéreuse, mais les contrôles qualité de ces approvisionnements sont souvent laxistes.
L’administration du Hamas, son incompétence et les querelles politiques et financières constantes avec l’Autorité palestinienne (AP) doivent être en partie tenues pour responsables des conditions de vie désastreuses que les Palestiniens de Gaza doivent endurer au quotidien. Mais les campagnes de bombardement israéliennes – ainsi que les restrictions continues à l’importation d’équipements et de matériaux de construction vitaux – causent les dommages les plus durables.
Mort et maladie
La disponibilité de l’eau, le traitement des eaux usées et l’approvisionnement en électricité sont tous trois interconnectés. Des centrales électriques et d’autres infrastructures ont été touchées lors de la campagne de bombardement israélienne de 2014. En conséquence, il y a une pénurie chronique d’énergie, et ce non seulement pour les résidents mais aussi pour l’alimentation des usines de traitement des eaux usées et d’autres installations.
Selon l’ONU, en 2017, les pannes d’électricité auxquelles la majorité des ménages gazaouis étaient confrontés duraient jusqu’à vingt heures chaque jour.
En outre, le manque d’électricité nécessaire pour gérer le petit nombre de stations d’épuration de Gaza signifie que de vastes quantités d’eaux usées sont déversées dans la Méditerranée – l’équivalent de 43 piscines olympiques par jour.
Les plages sont contaminées. L’odeur des eaux usées flotte dans l’air. « J’ai l’impression de vivre dans une fosse septique », a déclaré un habitant. Les enfants ont pour consigne de ne pas jouer sur les plages ni de nager dans la mer. Les résidents sont préoccupés par la contamination des poissons pêchés dans la limite des six milles nautiques imposés par les Israéliens au large des côtes de Gaza.
L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNWRA) affirme que les taux de mortalité infantile à Gaza n’ont pas diminué ces dernières années, contrairement à la plupart des autres régions du monde.
Les experts sanitaires affirment pour leur part que les maladies liées à l’eau sont responsables d’un grand nombre de décès. L’environnement ne respecte pas les frontières – ou le blocus israélien. Les eaux usées déversées dans la mer sont déplacées vers le nord par les vents et les courants.
Les enfants ont pour consigne de ne pas jouer sur les plages ni de nager dans la mer. Les résidents sont préoccupés par la contamination des poissons pêchés dans la limite des six milles nautiques imposés par les Israéliens au large des côtes de Gaza
Des plages israéliennes ont dû être fermées l’année dernière et une usine de dessalement israélienne – l’une des plus avancées au monde –, située sur la côte à 30 milles nautiques au nord de Gaza, a été obligée de fermer ses portes parce que ses filtres étaient bloqués par des proliférations d’algues causées par l’augmentation des niveaux d’eaux usées dans la mer.
Il y a eu dernièrement quelques améliorations. Ces derniers mois, Israël a augmenté les quantités d’eau – payées par l’Autorité palestinienne – fournies à la bande de Gaza. L’année dernière, une usine de dessalement dans le sud de la bande côtière est devenue opérationnelle, fournissant de l’eau potable à 75 000 des habitants de Khan Younès et de Rafah.
L’usine, construite avec l’aide de l’UNICEF et un financement de 10 millions d’euros de l’Union européenne, est en partie alimentée par l’énergie solaire. Les travaux ont déjà commencé pour doubler sa capacité, l’objectif à terme étant d’approvisionner 150 000 personnes en eau potable.
Le « dé-développement » de Gaza
Selon l’Autorité palestinienne de l’eau (PWA), les plans relatifs à une autre usine de dessalement – plus grande et également située dans le sud de la bande de Gaza – entrent dans une nouvelle phase mais des problèmes de financement et des doutes subsistent quant à la probabilité que les Israéliens permettent l’importation des matériaux nécessaires.
Enfin, après plus de dix années de retards causés par la guerre et le blocus, la station d’épuration d’urgence du nord de Gaza, qui répondra aux besoins en matière d’assainissement de plus de 400 000 personnes, a commencé ses opérations préliminaires plus tôt cette année.
Le projet de 75 millions de dollars financé par la Banque mondiale, l’Union européenne et d’autres pays donateurs demeure confronté à des difficultés considérables, notamment en ce qui concerne son approvisionnement en électricité. D’après la Banque mondiale, ce qui est nécessaire est une ligne électrique dédiée, au départ d’Israël, qui fournirait de l’énergie directement à la centrale.
À ce jour, les autorités israéliennes se sont engagées à prendre certains arrangements préliminaires en matière d’électricité, mais rien n’indique clairement à l’heure actuelle que l’approvisionnement de la nouvelle usine sera garanti sur le long terme.
Le rapport de l’ONU de 2017 évoque le « dé-développement » économique de Gaza et les conditions environnementales qui rendraient, selon ses auteurs, le territoire inhabitable d’ici à 2020. Le rapport exhorte à prendre des initiatives immédiates en faveur de la paix afin que la population puisse jouir d’« existences dignes, saines et productives ».
Malheureusement, c’est le contraire qui est en train de se produire. La situation humanitaire et environnementale à Gaza est chaque jour plus désespérée.
- Kieran Cooke, ancien correspondant à l’étranger pour la BBC et le Financial Times, collabore toujours avec la BBC et de nombreux autres journaux internationaux et radios.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : un Palestinien recherche des déchets recyclables et d’autres objets à revendre dans une décharge de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 16 avril 2015 (AFP).
Traduit de l’anglais (original).
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