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Jeb Bush et les milliardaires pro-Israël

Israël est devenu une primaire au sein de la primaire républicaine, car tout tourne autour des dons des donateurs pro-Israël

Lundi, Jeb Bush, qui se qualifie lui-même d’introverti, est monté sur scène devant une salle remplie d’extravertis brandissant des drapeaux américains, pour annoncer qu’il est officiellement candidat à la présidence de 2016.

Ce fut un discours d’annonce de campagne contenant une abondance de viande rouge pour tout carnivore politique dans tout l’échiquier politique conservateur américain.

Jeb Bush a promis un retour à un « conservatisme compatissant », une promesse soulignée dans une vidéo pré-discours le montrant prenant dans ses bras une jeune fille en chaise roulante. Il s’est efforcé de toucher l‘électorat noir (Jeb Bush a été présenté par un ministre noir) ; l’électorat hispanique (il a prononcé un paragraphe de son discours en espagnol) ; l’électorat cubain exilé (« nous avons besoin d’un président américain qui se rende à la Havane en solidarité avec le peuple cubain libre ») ; les habitants blancs des banlieues de classe moyenne  (« une croissance bénéfique pour la classe moyenne ») ; et, bien sûr, la classe des donateurs du Parti républicain - les riches (« la réglementation fédérale est allée bien au delà du consentement des gouvernés »).

A tous les égards, ce fut un discours bien délivré, offrant beaucoup d’opportunités d’applaudir. Mais une ligne en particulier est ressortie par rapport aux autres et a poussé le public en adoration à taper des pieds avec un enthousiasme extatique. Ce fut un moment en crescendo, le zénith du sermon de Jeb Bush depuis la montagne.

Quelle réplique a précipité les admirateurs de Jeb Bush dans une frénésie enthousiaste ?

« Je vais rebâtir nos amitiés vitales. Cela commence par nous tenir aux côtés du valeureux Etat démocratique d’Israël », a tonné Jeb Bush depuis le lutrin.

Beaucoup a déjà été écrit au sujet de l’attraction du Parti républicain vers la droite dure au sujet d’Israël au cours de ces deux dernières décennies, mais la déclaration de Jeb Bush de se tenir aux côtés d’Israël et de ne rien dire au sujet d’alliés plus stratégiquement bénéfiques tels que le Royaume-Uni, l’Australie, le Japon, l’Inde, l’Allemagne et compagnie est un rappel que de bizarre la situation est effectivement passée à absurde.

L’Etat d’Israël a tellement inextricablement imprégné l’ADN du parti conservateur, qu’il a rejoint les états en primaires avancées de l’Iowa, du new Hampshire et de la Caroline du Sud en tant que potentiel faiseur de candidat. En d’autres termes, il est désormais presque impossible pour un candidat de devenir le porte-drapeau du Parti républicain sans la combinaison gagnante de ses états au vote anticipé ajouté au soutien des financiers de campagne pro-israéliens.

Israël est devenu la primaire au sein de la primaire. La réplique ayant suscité les applaudissements les plus bruyants représentait plus un clin d’oeil aux poches extrêmement bien garnies du magnat des casinos et des médias Sheldon Adelson, qu’à l’Etat d’Israël.

Sheldon Adelson, qui n’est pas seulement le propriétaire de Sands Corporation, mais aussi du journal israélien HaYom, qui est également classé dix-huitième fortune mondiale, et qui a rejoint les oligarques de l’industrie et du pétrole, les frères Koch, en tant que financeur individuel le plus important du Parti républicain.

En 2012, Sheldon Adelson a sorti la somme faramineuse de 100 millions de dollars pour des candidats de droite, pro-israéliens. Même si beaucoup de ses candidats préférés ont perdu, il a presque, à lui tout seul, façonné la primaire des présidentielles du Parti républicain. Son argent n’a pas seulement maintenu des candidats tels que Newt Gingrich et Rick Perry dans la course plus longtemps que le soutien de leur électorat le justifiait, il a également aidé Rick Santorum le méconnu à passer à un cheveu de détrôner des poids lourds de l’établissement et le candidat final, Mitt Romney. Et par un cheveu, je veux dire seulement quelques milliers de voix lors de la primaire républicaine du Wisconsin.

Ce n’est pas une coïncidence que le virage à droite par rapport à Israël amorcé par les républicains coïncide avec le passage du Parti démocrate au Parti républicain de Sheldon Adelson. « Je n’ai pas quitté les démocrates, c’est eux qui m’ont quitté », écrivait-il en 2012 dans une lettre d’opinion pour The Wall Street Journal. « Lorsque les membres du Parti démocrate ont hué l’inclusion de Dieu et Jérusalem dans la plateforme de leur parti cette année, j’ai pensé à mes parents. Ils auraient été stupéfiés ».

Sheldon Adelson cite un sondage de Gallup comme la motivation de son changement d’allégeance politique, qui montre qu’« un écrasant 78 % des républicains sympathisent avec Israël », comparé à 53 % chez les démocrates.

La destruction par la Cour suprême américaine du pare-feu qui séparait jusqu’alors la classe oligarchique des candidats et partis politiques - une décision plus connue sous le nom de son plaignant, Citizens United (les citoyens unis) - a fait du soutien à Israël un test décisif incontournable pour tout républicain envisageant sérieusement de se présenter à l’échelle nationale.

« Si vous êtes républicain et que vous évitez la question du soutien à Israël, cela est perçu comme un défaut dans votre politique étrangère », a déclaré au New York Times Ron Bonjean, un stratège du parti ayant travaillé pour les dirigeants républicains au Congrès. « C’est une exigence de nos jours d’insister fortement sur Israël s’ils veulent être pris au sérieux par les électeurs des primaires ». Si vous vous écartez de cela, déclare-t-il, l’inévitable question sera : « Si vous ne soutenez pas Israël, alors qui soutenez-vous ?  Soutenez-vous l’Iran? »

Comme tout candidat sérieux à la primaire républicaine, Jeb Bush est désormais un érudit de l’élection de 2012. Pour pouvoir sécuriser sa candidature, il sait que la victoire est impossible sans la bénédiction de Sheldon Adelson, et par bénédiction, je veux bien sûr dire argent.

Au mois de mars de l’année dernière, Jeb Bush a emmené un groupe d’espoirs 2016 du Parti républicain pour courtiser Sheldon Adelson sur une des propriétés du magnat à Las Vegas. Aux côtés de Jeb Bush, on trouvait trois autres espoirs majeurs - Gouverneur Chris Christie du New Jersey, Gouverneur Scott Walker du Wisconsin et John Kasich de l’Ohio - mais c’est Jeb Bush qui tenait le haut de l’affiche et c’est Jeb Bush qui est apparu comme le candidat préféré de Sheldon Adelson.

Cependant, quelque chose d’amusant s’est produit en route vers J Street au mois d’avril cette année. James Baker, l’ancien secrétaire d’Etat américain et très vieil ami de la famille Bush a prononcé un discours devant le groupe de lobby de gauche J Street, au cours de sa rencontre annuelle à Washington DC.

Selon le National Review, Sheldon Aldelson était furieux que Jeb Bush ait refusé d’empêcher James Baker de donner ce discours à une organisation libérale. « Je crois qu’il a perdu la primaire Sheldon », a déclaré une source républicaine au National Review, ce qui montre à quel point Sheldon Adelson a des considérations idéologiques sur la question d’Israël, en particulier considérant que le discours de Baker ne comprenait qu’une petite attaque inoffensive à l’encontre de Netanyahou, ainsi que les mots « les Etats-Unis n’abandonneraient jamais, jamais, jamais Israël ».

Pour tenter d’apaiser la colère mal placée de Sheldon Adelson, la campagne de Jeb Bush a néanmoins émis une déclaration. « Même si il [Jeb Bush] respecte le secrétaire Baker, il est en désaccord avec les sentiments exprimés hier soir et s’oppose au plaidoyer de J Street », a déclaré la porte-parole Kristy Campbell. « Le soutien du gouverneur Bush à Israël et au Premier ministre Netanyahou est inconditionnel, et il croit fermement qu’il est très important pour nos deux nations de travailler harmonieusement pour établir la paix dans la région ».

Depuis lors, Jeb Bush a rejoint ses collègues républicains dans une quête pour devenir encore plus pro-israélien que le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. Une semaine seulement après le charivari de l’affaire Baker, Jeb Bush - après avoir passé les derniers mois à essayer de se distancer de son frère, l’ancien Président George W Bush - a soudainement fait marche arrière lorsqu’il a déclaré à un groupe de financiers de Wall Street que son frère est son conseiller le plus influent en politique américano-israélienne. Pour faire bonne mesure, il a ajouté que Baker n’était pas un de ses conseillers les plus proches.

Ce qui pourrait ressembler à une gaffe, étant donné les conséquences politiques négatives qui découleront inexorablement d’avoir défendu la présidence de Bush II, était en fait un très bon calcul politique. Voici à quoi il ressemble : il est impossible de gagner le soutien des électeurs du Parti républicain sans l’argent de Sheldon Adelson, donc il vaut mieux contrarier les électeurs maintenant. Il sera toujours possible de compenser plus tard, lorsque l’argent de Sheldon Adelson coulera à flots.

Bien sûr, Sheldon Adelson n’est pas le seul milliardaire pro-israélien à financer les candidats républicains. Une enquête du New York Times, a établi que la Sénatrice Lindsay Graham (R-SC) avait pu constaté une augmentation de ses contributions provenant de donateurs pro-israéliens de plus de 285 000 dollars lors de l’élection de 2014. Le nouveau Sénateur Tom Cotton (R-AK), qui a soudain attiré le regard du monde en conduisant un caucus de sénateurs à rédiger une lettre à l’Ayatollah d’Iran, a reçu 960 000 dollars de la part du Comité d’urgence pour Israël, qui est dirigé par le chroniqueur néo-conservateur William Kristol. Cotton a (indirectement) reçu 250 000 dollars de la part de Paul Singer, un milliardaire des fonds spéculatifs et important bailleur des causes pro-israéliennes, et encore 100 000 dollars de la part de Seth Klarman, un milliardaire pro-israélien basé à Boston.

C’est une première historique, les Sénateurs républicains ont rassemblé plus de fonds politiques au cours d’un cycle d’élection de mi-mandat en « contributions directes, soumises à la réglementation fédérale, de la part d’individus et de comités d’action politique jugés pro-israélien, que leurs homologues démocrates », a ajouté le Times, en citant des données du Center for responsive politics (centre pour une politique réactive).

Paradoxalement, les démocrates bénéficient du soutien électoral d’une majorité d’électeurs juifs américains, alors que les républicains bénéficient d’une majorité de dons en espèces de la part de donateurs pro-israéliens. Il apparaît clairement que c’est l’argent qui tire les dirigeants du Parti républicain vers la droite sur la question d’Israël, qui, à leur tour, tirent la base du parti encore plus à droite également.

« C’est remarquable », se vantait William Kristol. « Bibi obtiendrait sûrement l’investiture du Parti républicain si c’était légal ».

Alors que les donateurs pro-israéliens du Parti républicain injectent des mensonges culturels et historiques dans la chambre de résonance conservatrice (« il n’y a pas un Palestinien vivant qui n’a pas fait preuve de haine et d’hostilité envers les Juifs » et que les « Palestiniens sont un peuple inventé », qui sont deux déclarations attribuées à Sheldon Adelson), les perspectives d’un Etat palestinien négocié par les Etats-Unis n’en sont rendues que plus minces.

Ceci n’est bien sûr pas nouveau pour les Palestiniens. Il y a longtemps qu’ils ont abandonné l’idée que les Etats-Unis jouent un rôle équitable dans le processus de paix. La réplique la plus saluée de Jeb Bush donne toutes les raisons aux Palestiniens de rester pessimistes.

CJ Werleman est lauteur de Crucifying America, God Hates You. Hate Him Back, Koran Curious, et est le présentateur de Foreign Object. Suivez-le sur twitter: @cjwerleman

Les opinions exprimées dans cet article nengagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : candidat républicain à l’élection présidentielle, lancien gouverneur de Floride Jeb Bush, prend la parole devant une foule de supporters le 17 juin 2014 à Pella en Iowa (AFP).

Traduction de l'anglais (original) par Oriane Divoux.

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