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L’« accord du siècle » de Trump : un mal pour un bien ?

Les États-Unis ne sont plus qualifiés pour agir en tant qu’intermédiaires car, comme le montre l’accord de Trump, ils épousent désormais l’idéologie sioniste
Un homme brandit un drapeau de la Palestine pendant une manifestation devant le consulat américain à Istanbul, le 29 janvier 2020 (AFP)

Ma mère, que Dieu la bénisse, aurait trouvé déplacé l’attention ou l’enthousiasme qui a précédé ou suivi l’annonce par le président américain Donald Trump de son « accord du siècle ».

Née et élevée à Beer-Sheva, la plus grande ville du désert du Néguev dans le sud de la Palestine, elle – ainsi que ses parents et ses frères et sœurs – a été expropriée en 1948 et contrainte de fuir vers la ville de Hébron, où mon père est né et a grandi.

Pour elle, et pour les millions de réfugiés palestiniens et leurs descendants, leur pays a été conquis, leurs terres usurpées et leurs vies détruites par des envahisseurs dont certains fuyaient le génocide et les persécutions en Europe.

Le droit au retour

Le cœur du problème pour ma mère et les autres Palestiniens dans sa situation était – et est toujours – non pas la création d’un État palestinien dont la taille, la forme et les frontières sont déterminées par leurs oppresseurs mais le droit au retour dans leur patrie. 

La seule chose que l’accord de Trump ne mentionne pas, la seule chose qui aurait signifié quelque chose pour les Palestiniens, c’est leur droit au retour

La seule chose que l’accord de Trump ne mentionne pas, la seule chose qui aurait signifié quelque chose pour les Palestiniens, c’est leur droit au retour.

Le reste de ce plan n’est rien d’autre que le statu quo créé en Palestine par les descendants des envahisseurs avec un seul objectif : refuser aux Palestiniens leur droit au retour dans leur patrie.

L’annonce de Trump n’est que la reconnaissance officielle par les Américains de ce statu quo dont les caractéristiques sont en tout point similaires, sinon identiques, à celles qui définissaient le régime minoritaire raciste blanc de l’apartheid en Afrique du Sud. 

Non seulement la terre usurpée aux Palestiniens en 1948 est perdue à jamais, mais une part significative des terres occupées depuis 1967 également, terres où des colonies au bénéfice exclusif des colons juifs ont été érigées et sont en expansion. 

Voilà ce à quoi ressembleraient les territoires d’Israël et de la Palestine d’après le plan de Trump

Avec son plan, Trump ne fait absolument rien, hormis s’attribuer le mérite de reconnaître comme légitime le vol supplémentaire perpétré par les sionistes au fil des ans depuis 1967. Malgré le soutien, quasi inconditionnel, de longue date des Américains à l’égard d’Israël, aucun président américain avant Trump n’avait envisagé d’aller aussi loin.

Reconnaître le vol comme légitime

Toutes les précédentes administrations étaient restées attachées au cadre de référence constitué par les résolutions de l’ONU et le processus de paix né des accords d’Oslo.

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Cependant, les Israéliens ont continué, et ce d’autant plus depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre Isaac Rabin en 1995, de créer des nouvelles réalités sur le terrain telles que les confiscations de terres et les démolitions de maisons, la construction de nouvelles colonies où l’expansion des colonies existantes, l’annexion de Jérusalem et du plateau du Golan et la construction d’un mur de ségrégation. 

Pourtant, il faut admettre que cet empiètement progressif israélien n’aurait pas été si facile s’il n’y avait pas eu les arrangements en matière de sécurité, ou la collaboration, entre l’autorité d’occupation et l’Autorité palestinienne (AP). C’est pourquoi, peu de Palestiniens prendront au sérieux le président de l’AP Mahmoud Abbas et d’autres responsables qui ont annoncé qu’ils s’opposent à l’accord du siècle.

Le crime odieux de l’AP

Si cet accord n’est en substance rien d’autre que l’officialisation des changements effectués par les Israéliens à travers la Cisjordanie occupée, peu de ces changements auraient été possibles si les Palestiniens de Cisjordanie avaient été libres de résister ou au moins de protester.

Le crime perpétré par les agences de sécurité palestiniennes, menottant les Palestiniens et facilitant l’arrestation et la détention de leurs activistes, est aussi odieux que le crime commis par les Israéliens eux-mêmes. 

Le crime perpétré par les agences de sécurité palestiniennes est aussi odieux que le crime commis par les Israéliens eux-mêmes

La seule et unique chose qui peut disculper le président Abbas est tout simplement au-delà de ses moyens. Il ne peut tout simplement pas, et il n’oserait pas, annuler la collaboration en matière de sécurité avec les occupants. Il faudrait au moins cela pour que les Palestiniens le croient et le prennent au sérieux lorsqu’il s’élève contre l’accord de Trump. 

En conséquence du processus de paix d’Oslo, il y a aujourd’hui en Cisjordanie occupée des milliers de Palestiniens qui dépendent totalement de l’occupation et gagnent leur vie à son service, y compris Mahmoud Abbas, son cabinet, sa bureaucratie et ses forces de sécurité. Aucun d’eux ne veut mettre en péril le statut qui leur a été accordé et les privilèges dont ils bénéficient de ce fait.

Abbas en particulier s’est engagé à ne pas répéter ce qu’il considère comme l’erreur fatale de son prédécesseur.  

Lorsque Yasser Arafat est revenu de camp David en 2000 sans le moindre accord avec le Premier ministre israélien de l’époque, Ehud Barak, il pensait qu’il pourrait forcer la main d’Israël en déclenchant une seconde Intifada (soulèvement). Les Israéliens ont réagi en anéantissant son autorité. Ils ont fini par se débarrasser de lui et ont introduit Abbas, un remplaçant plus malléable. 

Un policier palestinien devant un poster montrant les portraits de l’ex-dirigeant palestinien Yasser Arafat (à gauche) et du président palestinien Mahmoud Abbas, le 24 décembre 2019 (AFP)

Je ne vois pas ce que l’AP pourrait faire pour contraindre les Israéliens et leurs bailleurs de fonds américains à cesser hormis annuler toute coopération en matière de sécurité et déclarer nul et non avenu le processus d’Oslo.

Ce n’est qu’à ce moment-là que les Palestiniens pourront protester plus efficacement contre les démolitions de maisons, les confiscations de terre et toutes les autres transgressions israéliennes. 

La seule façon de faire la paix au Moyen-Orient serait de démanteler l’idéologie raciste connue comme sous le nom de sionisme sur laquelle repose l’idée même d’un État juif

Il ne faut pas prendre au sérieux la démonstration prétentieuse d’unité du Fatah et du Hamas en protestation contre l’accord de Trump. Ces expressions publiques de solidarité n’auront aucune véritable valeur tant que les agences de sécurité du premier continueront de servir l’occupation en chassant les activistes du second. 

Pourtant, je pense que les Palestiniens qui sont en mesure d’exprimer leurs objections doivent le faire, que ce soit à Gaza, en Cisjordanie occupée ou dans la diaspora.

Il est capital de faire connaître leur opinion et entendre leur voix. Par ailleurs, les partisans de la cause palestinienne à travers le monde doivent également se faire entendre.

Dans les circonstances présentes, rien ne semble perturber davantage Israël et le lobby sioniste que le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS). Ce mouvement joue un rôle crucial pour exposer la face hideuse du sionisme et l’hypocrisie des puissances mondiales qui le soutiennent ou tolèrent ses infractions. 

Que fait-on à partir de là ?

Pour autant que l’annonce de Trump aujourd’hui est source de jubilation pour les sionistes, elle peut également s’avérer un mal pour un bien pour les opposants du sionisme. Malgré les références à une Palestine et le fait de la montrer sur une carte, Trump a annoncé au monde mardi que la soi-disant solution à deux États telle qu’envisagée par les accords d’Oslo n’est plus sur la table. Son biais total en faveur d’Israël en dit long.

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Les États-Unis ne sont pas qualifiés pour agir en tant qu’intermédiaires car ils épousent l’idéologie sioniste qui donne un statut de surhomme aux juifs tout en reléguant tous les autres a un statut de sous-hommes, notamment les autochtones.

Une telle idéologie n’est pas chose que les humains respectables peuvent tolérer ou avec laquelle ils peuvent coexister. 

Que fait-on à partir de là ? Eh bien, il semblerait que tout comme la paix finalement été conclue en Afrique du Sud en démantelant l’idéologie raciste connue sous le nom d’apartheid, la seule façon de faire la paix au Moyen-Orient serait de démanteler l’idéologie raciste connue sous le nom de sionisme sur laquelle repose l’idée même d’un État juif.

Une fois cette bataille remportée, nous mettrions fin à une situation où les êtres humains, quelles que soient leurs croyances ou leurs origines ethniques, sont égaux en statut et en droit. C’est ce qu’on pourrait appeler la solution à un État. 

- Azzam Tamimi est un universitaire et un activiste politique palestino-britannique. Il est actuellement le président de la chaîne Al Hiwar TV et son rédacteur en chef.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Azzam Tamimi is a British Palestinian academic and political activist. He is currently the Chairman of Alhiwar TV Channel and is its Editor in Chief.
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