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La terre promise interdite aux réfugiés africains

Israël a présenté un choix difficile aux 40 000 demandeurs d’asile vivant à Tel Aviv : retourner en Afrique ou être envoyés en prison. Jusqu’à présent ils refusent de partir

Il y a deux semaines, la plupart des juifs d’Israël célébraient le premier jour de la Pâque juive en lisant et chantant la Haggada, ce texte vieux de plusieurs siècles racontant l’histoire de l’exode miraculeux des esclaves juifs qui ont échappé des griffes de leurs oppresseurs en Egypte.

Mais, étrange coïncidence, seulement une journée après Pâques, Israël a annoncé son intention de lancer un nouvel exode : le déplacement forcé de près de 40 000 demandeurs d’asile d’Erythrée et du Soudan vers l’Afrique, les rapprochant à nouveau de leurs anciens oppresseurs. Une Haggada inversée.

Cette nouvelle politique s’est voulue très discrète. Des douzaines d’Erythréens demandeurs d’asile ont été convoqués par l’autorité de la Population et de l’Immigration et se sont vu remettre une lettre leur disant qu’après « de longues recherches » durant ces derniers mois, Israël avait trouvé « un Etat qui les accueillerait ».

Sans le nommer, la lettre promet que ce pays « est  en voie de développement économique » et qu’il leur fournira un permis de résidence et de travail. Israël met les Erythréens devant un choix simple : soit ils acceptent cette offre généreuse – qui inclut une subvention de 3 500 dollars – et quittent le pays dans les 30 jours, soit ils sont emprisonnés dans une prison israélienne. 

Au cours d’une audience quelques jours plus tard, les autorités israéliennes ont accepté de donner les noms des Etats hôtes – le Rwanda et l’Ouganda – mais refusaient toujours de dévoiler le contenu des accords signés avec ces derniers. Alors qu’un ministre du gouvernement rwandais confirmait l’existence d’un accord, le gouvernement ougandais déniait quant à lui avoir accepté d’accueillir des réfugiés déportés d’Israël.

Utiliser le Rwanda et l’Ouganda comme pays cibles n’est pas nouveau dans la guerre d’usure entre Israël et les dizaines de milliers d’Erythréens et de Soudanais qui traversent ses frontières illégalement à la recherche d’une vie meilleure, plus sûre que celle qu’ils ont connue dans leurs pays déchirés par la guerre.

Bien qu'il soit l’un des premiers signataires de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés et que la plupart des pays européens reconnaissent aux demandeurs d’asile du Soudan et de l’Erythrée le statut de réfugiés, Israël ne les a jamais accueillis et refuse de leur donner un quelconque statut officiel. Au mieux, il leur a accordés le droit de ne pas être déportés.

Ces « infiltrés », comme ils sont officiellement nommés, ont été laissés dans un no-man’s land légal. Ils n’ont pas reçu de permis de travail, même si les autorités ont fermé les yeux lorsque certains étaient employés pour des contrats journaliers dans différentes positions, même dans les bureaux du gouvernement ou des camps militaires. Ils se sont installés, ou plutôt ils ont été installés dans la partie sud la plus pauvre de Tel Aviv, poussant les services publics déjà déficients dans ces quartiers à la limite de la faillite.

Israël n’a jamais été favorable aux immigrants non-juifs. En dehors de la loi du retour, qui donne à tous les juifs le droit immédiat à la citoyenneté israélienne, il n’y a pas de politique d’immigration. Pour les non-juifs, il est presque impossible d’obtenir le statut de résident israélien, qu’importe le nombre d’années qu’ils ont passées sur le territoire.

Même se marier avec un citoyen israélien n’est pas forcément d’une grande aide. Une disposition « temporaire » renouvelée encore et encore empêche les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie de résider en Israël, même s’ils sont mariés à des citoyens israéliens palestiniens. Mais même les étrangers non-palestiniens qui souhaiteraient recevoir un statut de résident permanent à travers le mariage avec des Israéliens juifs ou palestiniens doivent endurer un très long et fatiguant processus. Israël est sûrement une terre promise pour les juifs. Mais pas vraiment pour les autres.

Cette exclusion est encore plus forte lorsqu’il s’agit de travailleurs africains légaux ou illégaux et pour les demandeurs d’asile africains. Selon les chiffres officiels du ministère de l’Intérieur, à la fin de 2014, le nombre d’« infiltrés » (ou demandeurs d’asile) était de 46 000 alors que le nombre de touristes restés après la fin de leur visa touristique était presque le double – 90 000.

Ce qui est intéressant, c’est que seul les « infiltrés » provenant d’Afrique sont considérés comme un problème urgent de sécurité intérieure ou une menace démographique et un sujet politique brûlant, alors que ces « touristes » dont la plupart sont issus de pays d’ex-Union Soviétique sont quasiment ignorés.

Il serait vraiment naïf de ne pas faire le rapprochement entre cette différence de traitement et la couleur de leur peau. Un autre facteur tient aussi à leur origine religieuse. 80 % des demandeurs d’asile sont des chrétiens d’Erythrée, mais dans l’opinion publique israélienne ils sont considérés comme des musulmans, comme les autres réfugiés qui proviennent du Soudan et sont les survivants du massacre du Darfour.

Ces « musulmans infiltrés » supposés sont représentés par la propagande de la droite comme une partie d’un complot global pour influer sur la balance démographique d’Israël, l’un des sujets les plus sensibles dans l’esprit des juifs israéliens. Malheureusement, la plupart de ces idées ont été adoptées par l’opinion publique,  il y a donc peu de chance que ces demandeurs d’asiles regagnent leur sympathie.

On comprend mieux pourquoi Israël est réticent à accorder le statut de réfugiés aux demandeurs d’asile du Soudan et de l’Erythrée. Alors que 90 % de ces demandes d’Erythréens ou de réfugiés du Darfour sont approuvées en Europe, en Israël seul une douzaine sur les 3 500 requêtes déposées par ces derniers sont acceptées. Quant aux autres réfugiés africains en Israël, ils n’ont même pas l’opportunité de remplir une demande.

Au vu des circonstances, il est compréhensible qu’Israël soit obsédé par ces 46 000 réfugiés. En effet, dans les quartiers du sud de Tel Aviv, les conditions de vie se dégradent de façon significative et les tensions augmentent, mais ces immigrants africains ne représentent que 0,05 % de la population totale israélienne.

L’obsession des réfugiés

En décembre 2014, le Parlement israélien (la Knesset) a fait passer une troisième version de sa loi anti-infiltration, après que les deux versions précédentes ont été considérées par la Haute Cour israélienne comme « anticonstitutionnelle » et une atteinte aux droits de l’homme. Selon la seconde version, approuvée en décembre 2013 – pour être supprimée en septembre 2014, tous les « infiltrés » étaient supposés être jetés en prison pour une année puis par la suite enfermés dans un camp « à ciel ouvert » pour une période illimitée.

Après le vote de cette seconde version, beaucoup de demandeurs d’asile ont choisi de prendre les 3 500 dollars offerts par les autorités et de quitter Israël plutôt que de risquer de passer le reste de leur vie en prison. Une partie d’entre eux est retournée directement au Soudan et en Erythrée, tandis que d’autres sont partis au Rwanda et en Ouganda, après avoir reçu l’assurance qu’ils pourraient y résider et y travailler.

Selon la Hotline pour Réfugiés et Migrants, une ONG israélienne, environ 9 000 réfugiés africains ont quitté Israël dans cet « exil volontaire » entre l’adoption de cette deuxième version de la loi et son annulation l’année suivante. Leur sort n’est pas encourageant. Dans un rapport basé sur le témoignage de 50 réfugiés, la Hotline pour Réfugiés a découvert que ceux qui repartaient dans leur pays d’origine étaient persécutés, torturés et parfois même tués.

Au Rwanda, selon ce même rapport, les réfugiés n’ont reçu aucun statut légal. Certains ont même été jusqu’à payer 1 000 dollars pour continuer leur chemin jusqu’en Ouganda. Dans ce pays, ils ont le droit de rester et même de travailler mais seulement une infime partie a été reconnue comme demandeurs d’asile, leur avenir est donc plus qu’incertain. Certains d’entre eux ont commencé un périple dangereux vers des havres de paix européens ou ailleurs.

Les militants des droits de l’homme doutent vraiment que cette fois les accords passés avec le Rwanda et l’Ouganda garantissent aux Erythréens et aux Soudanais une vie décente. Le fait que le gouvernement israélien refuse de dévoiler les termes de ces accords est selon eux très suspicieux. Ils citent des coupures de presse sur la vente d’armes entre Israël et le Rwanda ainsi que l’Ouganda et dénoncent  ces actions comme la raison secrète de ces accords obscurs.

Ces organisations sont déterminées à se battre contre cet exode forcé devant les tribunaux en combattant cette troisième version de la loi « anti-infiltration ». Pour le moment les demandeurs d’asile africains ne sont pas tentés de « prendre l’argent et partir en courant ». Même les derniers événements tragiques de ces dernières semaines, au cours desquelles quatre enfants de la communauté africaine ont connu la mort dans les jardins d’enfants improvisés et surpeuplés de Tel Aviv, ne les ont pas convaincus de partir.

Adam Bassar, l’un des dirigeants de la communauté du Darfour a même repris espoir après ces morts tragiques lorsque le gouvernement a promis 15 millions de shekels (environ 4 millions de dollars) pour améliorer les conditions de vie dans ces « entrepôts pour enfants » comme ils sont maintenant surnommées par la presse Israélienne. Pour Adam Bassar, en donnant cet argent, le gouvernement signale qu’il reconnait que les communautés Erythréenne et du Darfour sont là pour de bon. Mais cet optimisme est sûrement prématuré puisqu’Israël semble déterminé au contraire à les faire partir le plus loin possible.

Meron Rapoport est un journaliste et un écrivain israélien, gagnant du prix du Journalisme International de Naples pour son enquête sur le vol d’oliviers appartenant aux Palestiniens. Il était aussi le chef du département des nouvelles à Haartz, et à présent journaliste indépendant.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Légende photo : des demandeurs d’asile africains rentrés illégalement en Israël par l’Egypte déploient le drapeau erythréen en face de la Knesset à Jérusalem le 8 janvier 2014 (AFP).

Traduction de l'anglais (original).

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