La vérité sur la relation spéciale du Royaume-Uni avec Israël
La Grande-Bretagne a une relation spéciale avec Israël dont font peu état les médias traditionnels mais qui est incontournable à la lumière des récents massacres à Gaza. Bien que plus de 110 manifestants aient été tués depuis le début de Grande marche du retour, la Grande-Bretagne a défendu les actions israéliennes. À ma connaissance, le gouvernement britannique n’a pas condamné Israël pour ces tueries. À la place, il s’est contenté d’« exhorter Israël à faire preuve de retenue », tout en reconnaissant son « droit à se protéger » et en tenant le Hamas pour responsable de la violence.
Lorsque la Première ministre britannique Theresa May a téléphoné à son homologue israélien Benyamin Netanyahu le 10 mai, date à laquelle 40 manifestants palestiniens avaient déjà été abattus par les forces israéliennes à Gaza, il semblerait qu’elle n’ait même pas soulevé la question. En revanche, la Grande-Bretagne a décidé qu’elle ne reverrait pas ses exportations d’armes à Israël après les massacres de Gaza, lesquels n’ont été discutés qu’une seule fois par le gouvernement.
En prenant le parti d’Israël lors des tueries de Gaza, la Grande-Bretagne est apparue comme fidèle à ses habitudes. La relation du Royaume-Uni avec Israël est en effet spéciale dans au moins neuf domaines, notamment les ventes d’armes, la force aérienne, le déploiement nucléaire, la marine, le renseignement et le commerce, pour n’en citer que quelques-uns.
Un soutien continu
Theresa May a déclaré qu’Israël était « l’une des grandes réussites du monde » et un « phare de la tolérance », tandis que son secrétaire d’État à la Défense Gavin Williamson a affirmé qu’Israël était une « lumière pour les nations » dont les relations avec le Royaume-Uni « reposent sur un sens partagé des valeurs de justice, de compassion et de tolérance ».
Cette exubérance traduit un soutien britannique continu à Israël sur la scène internationale, un soutien qui l’aide à protéger cet état voyou de l’ostracisme. Ainsi, la Grande-Bretagne s’est abstenue lors du vote de l’ONU sur l’autorisation d’une enquête sur les tueries de Gaza, sous le prétexte que celle-ci n’incluait pas d’investigations sur le Hamas ; à la place, le Royaume-Uni soutient Israël dans sa volonté de mener sa propre enquête.
L’année dernière, le ministère des Affaires étrangères britannique a refusé de signer une déclaration commune lors de la conférence de paix de Paris sur la Palestine, l’accusant de « se dérouler contre la volonté des Israéliens ».
« [La relation entre le Royaume-Uni et Israël est] la pierre angulaire de beaucoup de ce que nous faisons au Moyen-Orient »
- Gavin Williamson, secrétaire d’État à la Défense
La Grande-Bretagne a approuvé des ventes d’armes à Israël pour une valeur de 445 millions de dollars depuis la guerre de Gaza en 2014, et il ne fait quasiment aucun doute que certains de ces équipements ont été utilisés contre des Palestiniens dans les territoires occupés.
Le Royaume-Uni exporte des composants de drones britanniques alors qu’Israël utilise des drones pour ses opérations de surveillance et ses attaques armées. Le Royaume-Uni exporte des composants pour avions de combat alors que les forces aériennes israéliennes effectuent des frappes aériennes à Gaza, causant la mort de civils et la destruction des infrastructures. Le gouvernement britannique admet qu’il n’a pas évalué l’impact sur les Palestiniens de ses exportations d’armes vers Israël.
Cette politique fait pourtant suite à un rapport de 2015 du Home Office indiquant qu’Israël promeut un « modèle croissant » consistant à tirer délibérément sur les enfants palestiniens et que les Palestiniens sont généralement « de plus en plus tués […] en toute impunité » par les forces israéliennes. Depuis 2000, Israël a tué près de 5 000 Palestiniens non impliqués dans les hostilités, dont environ un tiers âgés de moins de 18 ans.
Deux poids, deux mesures
En mai 2018, Israël est devenu le premier pays à lancer une attaque aérienne au moyen de l’avion de combat furtif de nouvelle génération F-35, atteignant des cibles en Syrie. Alors que la production de F-35 est gérée par la société d’armement américaine Lockheed Martin, l’industrie britannique construit 15 % de chaque F-35, impliquant des sociétés telles que BAE Systems et Rolls-Royce.
Rien n’est autorisé à interrompre la « coopération très étroite en matière de défense et de sécurité » entre la Grande-Bretagne et Israël. Des pilotes de l’armée britanniques sont même entraînés par une compagnie appartenant à la société israélienne d’armements Elbit Systems.
Selon les estimations, Israël possèderait 80 à 100 ogives nucléaires, dont certaines sont déployées sur ses sous-marins. Le Royaume-Uni aide efficacement ce déploiement nucléaire en fournissant des composants de sous-marins à Israël. D’après le général David Salamah, commandant de la base navale israélienne de Haïfa, les sous-marins israéliens opèrent régulièrement « au plus profond du territoire ennemi ».
La Grande-Bretagne aide depuis longtemps Israël à développer des armes nucléaires. Dans les années 1950 et 1960, les gouvernements conservateurs et travaillistes ont conclu des centaines de ventes à Israël de matières nucléaires, dont du plutonium et de l’uranium.
Le contraste avec la politique britannique vis-à-vis de l’Iran est frappant, comme en attestent les propos de l’ancien ministre des Affaires étrangères Boris Johnson, qui a déclaré que le Royaume-Uni était « catégorique sur le fait qu’un Iran doté de l’arme nucléaire ne serait jamais acceptable » et a maintenu des sanctions contre l’Iran. En revanche la Grande-Bretagne refuse d’adopter des sanctions contre Israël, qui est pourtant un véritable État nucléaire.
En 1995, le Royaume-Uni et d’autres pays ont accepté une résolution de l’ONU visant à établir une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient. On ignore si Londres a déjà exercé des pressions sérieuses sur Israël à ce sujet.
« Un partenariat solide »
Fin mai, des navires de guerre britannique et espagnol faisant partie des forces de l’OTAN ont accosté dans le port israélien de Haïfa pour mener un exercice naval conjoint OTAN-Israël. Des exercices similaires ont eu lieu en novembre 2016 et en décembre 2017.
Cette même marine israélienne restreint les droits de pêche des Palestiniens sous blocus, tirant même sur les pêcheurs gazaouis. Le blocus de Gaza est largement considéré comme illégal, y compris par de hauts responsables onusiens, un groupe d’experts indépendants de l’ONU et Amnesty International, en partie parce qu’il inflige une « punition collective » à toute une population. La Grande-Bretagne ne respecte donc pas son obligation « d’assurer le respect par Israël du droit international humanitaire ».
On sait peu de la relation entre le Royaume-Uni et Israël en matière de renseignement
On sait peu de la relation entre le Royaume-Uni et Israël en matière de renseignement. Il y a eu des divergences, comme en 1986, lorsque la première ministre de l’époque, Margaret Thatcher, avait ordonné un gel des relations avec le Mossad après qu’une agente israélienne eût attiré par la ruse le technicien atomiste israélien Mordechai Vanunu, qui tentait de révéler les secrets nucléaires d’Israël, à Rome, où il fut kidnappé.
L’ancien directeur du MI6, Sir Richard Dearlove, a récemment déclaré que les services secrets britanniques ne partageaient pas toujours leurs informations avec Israël « parce que nous ne pourrions jamais garantir la façon dont les renseignements pourraient être ou seraient utilisés ». Mais le Telegraph rapporte que la relation entre le MI6 et le Mossad est devenue plus étroite ces dernières années, les deux organismes étant préoccupés par la prolifération nucléaire en Iran.
Le directeur du centre d’espionnage britannique GCHQ affirme que ce dernier a un « partenariat solide avec [ses] homologues israéliens en matière de renseignement électromagnétique » et qu’« [ils] construis[ent] une excellente cyberrelation avec une série d’organismes israéliens ».
Des documents de 2009 divulgués par le lanceur d’alertes Edward Snowden montrent que le GCHQ a espionné l’armée, les entreprises de défense et les missions diplomatiques israéliennes – mais aussi les communications palestiniennes, y compris les appels téléphoniques du président Mahmoud Abbas et de ses deux fils.
Les interceptions ont eu lieu seulement trois semaines avant l’offensive israélienne sur Gaza de janvier 2009, suggérant qu’elles ont peut-être aidé Israël à préparer son attaque.
Violation des résolutions de l’ONU
Le Royaume-Uni approfondit le commerce avec Israël « au moment où nous quittons l’UE » et a mis en place un groupe de travail conjoint sur le commerce. La Grande-Bretagne s’oppose totalement à la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) et refuse d’imposer les sanctions les plus élémentaires à Israël, telles que des interdictions de voyager pour les personnes impliquées dans l’expansion des colonies illégales.
En fait, le gouvernement semble aider Israël à contrer le mouvement BDS. En septembre 2017, le secrétaire d’État aux Communautés, Sajid Javid, a rencontré Gilad Erdan, le ministre israélien des « Affaires stratégiques » chargé de la lutte contre le mouvement BDS, afin de discuter des « mesures visant à contrer la délégitimation anti-israélienne et le BDS ».
Le Royaume-Uni veut que les relations commerciales « se renforcent de plus en plus » afin de consolider sa position de première destination des investissements israéliens en Europe.
À LIRE ► L’opération secrète menée par la Grande-Bretagne pour renverser Assad
Le Royaume-Uni n’ignore pas qu’il y a plus de 570 000 colons israéliens dans les territoires palestiniens occupés et considère officiellement les colonies comme illégales. Mais cela est insignifiant à la lumière de la politique actuelle du pays, qui n’a jamais été connu pour exercer de fortes pressions sur Israël afin de mettre un terme à la construction de colonies ou à l’occupation.
Le Royaume-Uni appelle simplement Israël à « assouplir » les restrictions sur Gaza, et plutôt que d’exiger un retrait israélien du plateau du Golan occupé, Londres se contente d’appeler Israël à « respecter ses obligations en vertu du droit international ».
La politique israélienne dans les territoires occupés a été décrite par l’ONG de défense des droits de l’homme israélienne B’Tselem comme un « vol effréné ». Les biens produits dans ces colonies, notamment les oranges, les dattes et l’eau de source, sont exportés chaque année à hauteur de centaines de millions de dollars.
Or, la Grande-Bretagne rend ce commerce possible et ne tient même pas de registre des importations en provenance des colonies. Boris Johnson a explicitement dit que commercer avec les colonies illégales était la « politique du Royaume-Uni » et que cela continuerait. Cette politique viole les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, qui « demande à tous les États de faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967 ».
Qu’est-ce qui explique la politique britannique ?
La Grande-Bretagne a une longue histoire de soutien à l’agression israélienne. En tant que puissance mandataire en Palestine de 1920 à 1948, la Grande-Bretagne a permis la prise de contrôle progressive de la Palestine par le mouvement sioniste.
En tant que puissance mandataire en Palestine de 1920 à 1948, la Grande-Bretagne a permis la prise de contrôle progressive de la Palestine par le mouvement sioniste
Lorsque la révolte arabe contre la Grande-Bretagne et ses protégés sionistes a éclaté à la fin des années 1930, l’armée britannique l’a brutalement écrasée. Le Royaume-Uni a soutenu la conquête brutale de la Palestine par Israël en 1948 et a également secondé Israël durant la guerre de 1967, lui fournissant des centaines de chars britanniques.
Deux raisons expliquent clairement la politique britannique actuelle. L’une est commerciale : les exportations d’armes et le commerce sont de plus en plus rentables pour les entreprises britanniques. L’autre est que la politique britannique vis-à-vis d’Israël est largement déterminée à Washington et par le fait que Londres veut s’attirer les bonnes grâces des États-Unis et ne pas offenser son plus proche allié.
Mais la politique britannique va au-delà de cela. Le secrétaire d’État à la Défense Gavin Williamson a déclaré que la relation entre le Royaume-Uni et Israël était la « pierre angulaire de beaucoup de ce que nous faisons au Moyen-Orient », tandis que l’ancienne secrétaire au Développement international, la néoconservatrice Priti Patel, a affirmé : « Israël est un partenaire stratégique important pour le Royaume-Uni ».
À LIRE ► La Déclaration Balfour : étude de la duplicité britannique
Patel a été contrainte de démissionner l’année dernière suite à la révélation des réunions secrètes qu’elle avait tenues en Israël avec des responsables clés, dont Netanyahou. Plus important encore : sa visite des hôpitaux militaires israéliens situés sur le plateau du Golan, où Israël traite des combattants antigouvernementaux impliqués dans la guerre syrienne, y compris des membres d’al-Nosra, milice affiliée à al-Qaïda, dont Israël est vu comme un soutien efficace. Priti Patel a même voulu apporter une aide britannique à l’armée israélienne.
La Grande-Bretagne soutient efficacement la politique militaire israélienne au Moyen-Orient alors qu’Israël a mené plus de 100 frappes aériennes clandestines en Syrie contre des cibles gouvernementales, iraniennes et du Hezbollah. Israël est considéré comme un allié contre la Syrie et l’Iran – les deux principaux ennemis de la Grande-Bretagne dans la région.
Londres considère de plus en plus Israël comme un atout stratégique, surtout maintenant que le vieux conflit arabo-israélien a largement disparu, ce qui signifie que la Grande-Bretagne peut soutenir plus facilement Israël et ses alliés arabes despotiques. Et dans cette relation spéciale qui s’approfondit de jour en jour, elle n’hésite pas à sacrifier les Palestiniens et leur cause.
- Mark Curtis est un historien et analyste spécialiste de la politique étrangère et du développement international du Royaume-Uni. Il est l’auteur de six livres, dont le dernier en date est une édition mise à jour de Secret Affairs: Britain’s Collusion with Radical Islam.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : la Première ministre britannique Theresa May accueille son homologue israélien Benyamin Netanyahou devant le 10 Downing Street à Londres en novembre 2017 (Reuters).
Traduit de l’anglais (original).
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].