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L’attentat des tours de Khobar, ses auteurs et ses répercussions politiques

L’accusation selon laquelle l’Iran était derrière l’attentat en Arabie saoudite a envenimé les relations entre le gouvernement Clinton et Téhéran pendant des années

Le 26 août, plusieurs organes de presse ont rapporté qu’Ahmed al-Mughassil, l’homme présenté comme le cerveau de l’attentat des tours de Khobar, avait été arrêté.

Le 25 juin 1996, un énorme camion piégé avait explosé devant un immeuble de huit étages où logeait du personnel de l’armée de l’air américaine à Khobar, en Arabie saoudite. L’explosion avait tué 19 Américains et blessé 372 autres personnes, notamment des ressortissants de plusieurs autres pays.

Peu après, Washington avait accusé l’Iran de cet attentat. Un acte d’accusation délivré en 2001 par un tribunal américain indiquait que le « gouvernement iranien avait incité, encouragé et supervisé » cette action terroriste, mais mentionnait également que « cet acte d’accusation ne désigne pas nommément et individuellement les membres du gouvernement iranien ».

Qui était responsable de l’attentat ?

Oussama Ben Laden avait le plus de raisons de mener l’attaque de Khobar. En novembre 1995, quelques mois seulement avant l’attentat, une voiture piégée avait explosé à proximité des locaux de la Mission américaine d’encadrement de la garde nationale saoudienne (OPM SANG) à Riyad, où les membres de la Garde nationale saoudienne étaient formés par les Américains. Lors d’une interview publiée dans Al Quds Al Arabi, le 29 novembre 1996, Ben Laden aurait déclaré : « Nous pensions que les attentats de Riyad et de Khobar étaient un signal suffisant envoyé à des décideurs américains sensés afin d’éviter une véritable guerre entre la nation islamique et les forces américaines, mais il semble qu’ils n’aient pas compris le message ».

Des années plus tard, en 2007, Reuters a rapporté que l’ancien secrétaire à la Défense américain William Perry « croyait désormais qu’al-Qaïda plutôt que l’Iran » était derrière l’attentat de Khobar de 1996. Perry avait ajouté : « Nous aurions probablement dû nous en soucier davantage à l’époque que nous ne l’avons fait, mais pendant le premier mandat, nous ne considérions pas Oussama ben Laden et al-Qaïda comme un élément majeur, ou comme un élément qui nous préoccupait. »

L’attentat a eu lieu pendant la présidence d’Ali Akbar Hachemi Rafsandjani. Le principal objectif de la politique étrangère de Rafsandjani était de restaurer les relations de l’Iran avec les États-Unis et de remédier à ses relations extrêmement tumultueuses avec ses voisins arabes, en particulier l’Arabie saoudite, en raison de l’importante aide financière que les Saoudiens avaient apportée à Saddam Hussein dans sa guerre contre l’Iran (1980-1988).

Au cours de ses huit années au pouvoir (1989-1997), Rafsandjani a tenté à plusieurs reprises de restaurer les relations américano-iraniennes. Pendant plus de deux ans au cours du mandat de George H. W. Bush, il a sans relâche tenté d’utiliser l’influence de l’Iran au Liban pour libérer les otages américains dans ce pays. Rafsandjani a réussi, mais ses efforts ont été récompensés par l’absence de bonne volonté américaine contrairement à ce qui avait été promis par le président Bush.

Durant la présidence de Bill Clinton, Rafsandjani a attribué un contrat d’un milliard de dollars – à l’époque, le plus gros contrat pétrolier dans l’histoire de l’Iran – au géant pétrolier américain Conoco, en dépit du fait qu’une société européenne avait remporté l’appel d’offres. Le président Clinton a ignoré le geste de Rafsandjani en imposant certaines des sanctions les plus sévères à l’industrie pétrolière iranienne.

Les négociations en coulisses entre l’Iran et les États-Unis, durant lesquelles a été impliqué le chancelier allemand Helmut Kohl, sollicité par le gouvernement Rafsandjani, étaient plus intéressantes. Kohl se fera finalement éjecté par le gouvernement Clinton.

En ce qui concerne la reprise des relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite, les efforts considérables déployés en coulisse par Rafsandjani ont commencé au printemps 1996. Juste avant les attentats, le cadre d’un programme global, qui englobait le rétablissement des relations entre les deux nations, en plus d’une coopération régionale, avait été finalisé.

C’est dans ce contexte qu’a eu lieu le bombardement de Khobar.

À ce moment crucial, il était parfaitement absurde que le gouvernement iranien se soit impliqué dans un tel acte de terrorisme et ait ruiné l’effort gigantesque qu’il avait investi dans son rapprochement avec l’Arabie saoudite.

Si al-Qaïda n’était pas derrière les attentats de 1996, le seul autre coupable possible aurait été les éléments rebelles au sein de l’Iran, qui auraient orchestré cette action pour saboter les efforts de réconciliation entrepris par l’administration Rafsandjani afin de normaliser les relations de l’Iran avec les États-Unis.

Conséquences de l’attentat de Khobar

Les attentats de Khobar ont pesé sur les politiques américaines vis-à-vis de l’Iran pendant plusieurs années après cela.

En août 1999, l’Iran a reçu une lettre de Clinton adressée au président iranien réformiste de l’époque, Mohammad Khatami, par l’intermédiaire du gouvernement d’Oman. Le président américain s’adressait à Khatami sur un ton très cordial, mais il affirmait que les Gardiens de la révolution islamique (GRI), ainsi que les Saoudiens et les Libanais « étaient directement impliqués dans la planification et l’exécution » des attentats de Khobar. Clinton demandait à Khatami de « s’engager clairement » à « mettre un terme à l’implication de l’Iran » dans les activités terroristes et à « traduire en justice les responsables iraniens de l’attentat, soit en Iran, soit en les extradant vers l’Arabie saoudite ».

Cette lettre a suscité une importante réaction négative au sein des cercles politiques iraniens, y compris ceux de Khatami qui ont perçu la lettre de Clinton, censée être un rameau d’olivier, pratiquement comme une déclaration de guerre. Les radicaux ont fait valoir que Clinton visait à creuser les différences entre Khatami et le leadership iranien et cherchait à tester la volonté et la capacité de Khatami à s’opposer au GRI et à ces dirigeants en répondant positivement à sa lettre.

Le timing de Clinton n’aurait pu être plus mauvais. Téhéran venait d’assister aux pires manifestations en 18 ans, depuis que l’organisation des Mudjahedin-e Khalq (MEK) avait décrété la lutte armée en 1981. L’objectif principal de Khatami à l’époque était d’apaiser la sphère politique nationale. Il n’était pas préparé à aggraver les tensions entre son camp et les radicaux en répondant positivement à la lettre de Clinton.

La lettre de Clinton a placé le gouvernement iranien dans une position difficile. Clinton aurait dû se mettre à la place de Khatami. Qu’aurait dû faire Khatami, en se basant simplement sur les accusations des États-Unis ?

Il apparaissait clairement, à ce moment-là, que Clinton voulait sincèrement trouver une manière quelconque de nouer le dialogue avec l’Iran sans ignorer la pression de son Congrès et les allégations du FBI selon lesquelles l’Iran était responsable de l’attentat.

Louis Freeh, alors directeur du FBI, a rédigé un document en juin 2012 décrivant comment le gouvernement se battait avec le FBI pour ne pas laisser l’Iran être accusé de cette action terroriste. Chacune des phrases de Freeh démontre sa colère envers la Maison Blanche pour sa tentative de sauver l’Iran.

Il a écrit : « [La] Maison Blanche ... nous a ordonné de cesser cette pratique. Ce n’est pas une bonne idée, ai-je dit à Madeleine Albright, qui avait succédé à Warren Christopher en tant que secrétaire d’État. ‘‘Les Iraniens se plaignent’’, m’a-t-elle répondu. ‘‘Évidemment’’, lui ai-je rétorqué. ‘‘C’est justement ça l’idée.’’ À partir de ce moment-là, je m’y suis habitué. »

Décrivant l’opposition entre le gouvernement et le Congrès, un document publié dans le New York Times en 1999 indiquait : « Bien qu’il aimerait rétablir les relations avec l’Iran, le gouvernement fait face à un fort sentiment anti-iranien au Congrès. »

Sans surprise, la lettre de Clinton a été rejetée dans son intégralité. Elle n’a pas reçu de réponse personnelle de Khatami mais de la part du gouvernement iranien.

« Ces allégations sont purement et simplement fabriquées par ceux dont les objectifs illégitimes sont compromis par la stabilité et la sécurité dans la région », peut-on lire dans la lettre de l’Iran.

Cet événement marque l’une des principales raisons qui font qu’une occasion unique – la présidence simultanée de Clinton qui, lors de son second mandat a cherché à renouer les relations américano-iraniennes, et de celle de Khatami, qui est arrivé au pouvoir en voulant apaiser les tensions entre les deux États – a été manquée.
 

Shahir Shahidsaless est un analyste politique et journaliste freelance qui écrit principalement sur la politique nationale et étrangère de l’Iran. Il est également le coauteur de l’ouvrage Iran and the United States: An Insider’s View on the Failed Past and the Road to Peace, publié en mai 2014.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le président Hassan Rohani (à droite) et l’ancien président et chef du Conseil de discernement, Akbar Hachemi Rafsandjani (à gauche), assistent à une session de l’Assemblée des experts à Téhéran le 1er septembre 2015 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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