Le Liban ne peut pas élire de président – mais c’est le moindre de nos soucis
Le siège du palais présidentiel de Baabda, au Liban, est vacant depuis le 24 mai 2014.
Comme le parlement a échoué à maintes reprises à tenir une session fructueuse sur le choix du président, le vide politique fait toujours partie de la discussion.
Le vide politique est devenu la cible de plaisanteries de la part des Libanais, qui rient encore du fait qu’il a fallu moins de temps au Brésil pour faire venir un président libanais
C’est devenu la cible de plaisanteries de la part des Libanais, qui rient encore du fait qu’il a fallu moins de temps au Brésil pour faire venir un président libanais. Ce vide politique est utilisé comme une excuse pour justifier presque tous les problèmes du Liban créés par l’establishment corrompu – même la crise des ordures.
Et les médias majeurs du monde entier trouvent toujours un moyen de relier ce fait divertissant à presque toutes les actualités sur le Liban.
Mais revenons à la réalité : mettre fin à ce vide présidentiel ne résoudra aucun problème. En réalité, depuis deux ans, le Liban vit comme si de rien n’était.
Ne pas juger un livre par sa couverture
Il suffit donc de jeter un coup d’œil attentif à la Constitution du Liban, modifiée la dernière fois en 1989 dans le cadre de l’accord de Taëf qui a mis fin à quinze années de guerre civile brutale.
Les trois sièges les plus puissants au sein du gouvernement libanais appartiennent au président du parlement, au Premier ministre et au président. Bien que la Constitution ne précise pas que les titulaires de ces postes doivent appartenir à certaines sectes, le Pacte national, une entente verbale conclue en 1943 entre des dirigeants multiconfessionnels, a attribué les postes clés du gouvernement et de l’armée à différentes sectes, notamment un président chrétien maronite, un Premier ministre musulman sunnite et un président du parlement musulman chiite.
Aujourd’hui, le président est le moins puissant des trois et est décrit au mieux comme un subordonné. Le site officiel de la présidence libanaise indique explicitement ce qu’il qualifie de « prérogatives » du chef de l’État, dont la grande majorité ne sont que de simples rôles consultatifs et nécessitent le consentement du Premier ministre ou du président du parlement.
Le Premier ministre Tammam Salam est actuellement président par intérim du Liban et rien ne prouve que son pouvoir ait augmenté avec son nouveau rôle.
Même le rôle le plus important du président, à savoir la nomination d’un Premier ministre, ne peut se faire sans l’avis du président du parlement. Dire qu’il s’agit d’un rôle consultatif est un euphémisme dans la mesure où l’actuel président du parlement, Nabih Berri, occupe ce poste depuis 1992 en plus du leadership du mouvement Amal et est l’une des personnalités politiques les plus puissantes du Liban. Aucun des présidents élus après la fin de la guerre civile n’a eu un tel pouvoir et influence.
Penchons-nous sur les deux derniers présidents, les anciens généraux militaires Michel Sleiman et Émile Lahoud. Sleiman était un candidat de consensus : il a été élu pour mettre fin à un précédent vide résultant de désaccords constants entre les factions libanaises du 14 mars et du 8 mars. Les décisions de Lahoud ont toutes été prises avec l’approbation de la Syrie, qui occupait à l’époque le Liban.
Les choses pourraient en réalité empirer avec un président
L’establishment politique du Liban décide de son président par le biais du parlement, la seule branche gouvernementale nationale élue directement par le peuple – ce même parlement qui étend illégalement ses mandats depuis 2013. Il ne serait donc pas exagéré de penser qu’avoir un président pourrait empirer les choses.
L’exemple le plus évident d’un président qui a empiré la situation du pays est celui d’Émile Lahoud, qui a prolongé illégalement son mandat de trois ans, avec l’aide et l’influence du gouvernement syrien, bien que ce soit contraire à la Constitution.
En outre, compte tenu de l’emprise des financiers étrangers sur l’establishment libanais – un groupe de personnalités politiques du temps de la guerre civile qui portent désormais le costume –, les nombreux candidats pour combler le vide n’amélioreraient pas nécessairement la situation.
Bien qu’aucune armée n’occupe officiellement le Liban, à l’exception des fermes de Chebaa occupées par Israël, l’establishment politique du pays est encore fortement tributaire de l’aide étrangère des pays de la région et des grandes puissances – des États-Unis à la Russie en passant par l’Arabie saoudite et l’Iran.
Un exemple récent est celui de l’Arabie saoudite, qui a fait pression sur le Liban pour le contraindre à affaiblir ses liens avec l’Iran et à adopter une attitude plus sévère vis-à-vis du rôle du Hezbollah en Syrie en se soustrayant à sa promesse d’injection de 3 milliards de dollars d’aide militaire par le biais d’armes françaises. Une allocation d’un milliard de dollars supplémentaire promise à la police du Liban, les Forces de sécurité intérieure (FSI), aurait également été révoquée si elle n’avait pas déjà été versée.
Malgré la pléthore de problèmes de sécurité au Liban, les FSI ont utilisé leur nouveau matériel anti-émeute et leurs armes pour attaquer violemment les manifestants indépendants qui s’opposaient à l’ensemble de l’establishment politique tout au long de l’été et de l’automne 2015.
Est-ce qu’un nouveau rouage dans la machine féodo-mafieuse du Liban apporterait vraiment quelque chose de bien au peuple ?
À la rencontre du probable futur président
Michel Aoun n’est pas une exception dans l’establishment libanais quand il est question de manœuvres habiles décrites au mieux comme un amalgame douloureux de féodalité et de gouvernance de type mafieux. Celui-ci est présent dans la structure, la rhétorique et la volte-face habile de positions de son parti, ainsi que dans ses alliances locales et régionales.
Actuellement membre du parlement, Aoun était un général militaire qui a mené vers la fin de la guerre civile libanaise une rébellion contre l’armée syrienne occupante, mais a été vaincu et a fui en France.
Quinze ans plus tard – et moins de deux semaines après le départ des troupes syriennes du Liban suite à des protestations à grande échelle –, il est revenu au pays, le 7 mai 2005, seulement pour signer finalement un protocole d’accord avec le Hezbollah et aligner son nouveau parti politique, le Courant patriotique libre (CPL), avec l’alliance pro-syrienne du 8 mars. Bien qu’il soit toujours la personnalité principale du parti, le leader de facto du CPL est Gebran Bassil, ministre des Affaires étrangères et beau-fils d’Aoun.
Depuis la guerre civile, Aoun a soutenu mais aussi contesté Samir Geagea, chef des Forces libanaises, un autre parti politique chrétien. En 2005, Geagea a été libéré de prison ; avec Aoun, il a passé la décennie suivante à essayer de devenir le nouveau président. En 2008, l’absence de compromis a joué un rôle dans la reprise temporaire des violences à travers le Liban, qui ont rappelé l’époque de la guerre civile – même le Hezbollah a été impliqué en occupant temporairement des quartiers de Beyrouth. Un accord d’urgence conclu sous la médiation du Qatar a entraîné l’élection du général Michel Sleiman.
Même après la fin du mandat de Sleiman, la rivalité s’est poursuivie entre les deux et a donné lieu à un renversement de situation étrange, où Geagea et les Forces libanaises ont accordé leur soutien à l’accès d’Aoun à la présidence dans l’intérêt de l’unité chrétienne et nationale.
Que pouvons-nous donc attendre d’Aoun ? Les partisans de l’ancien général scandent « Dieu, le Liban et seulement Aoun » lors de ses rassemblements, un slogan qui rappelle la sacralisation de l’élite politique du Liban en général. Lorsque le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil a été intronisé comme chef de facto du CPL, il s’est tourné vers Aoun lors de son discours et a déclaré : « Nous nous agenouillons devant vous, mes camarades et moi [...] pour que vous puissiez me bénir, comme personne ne peut vous remplacer, ni moi, ni personne d’autre. »
Le CPL adopte une position pro-Assad au sujet du conflit syrien. Malgré les efforts déployés pour se présenter comme un parti plus laïc que les autres partis chrétiens du Liban, Bassil trahit souvent l’idéologie sectaire et raciste qui plagie le reste de l’establishment.
Après avoir qualifié la crise des réfugiés de « menace pour l’identité du Liban », il a également déclaré récemment au congrès de la diaspora libanaise aux États-Unis que malgré son soutien au droit des femmes libanaises de transmettre leur nationalité à leurs enfants, il n’accorderait pas ce droit à celles qui sont mariées à des Palestiniens et à des Syriens.
Une diversion face aux problèmes réels
Si nous mettons de côté la grande majorité des problèmes du Liban – dont la crise des ordures, le manque de services publics adéquats, notamment les soins de santé, l’eau, l’électricité et l’éducation –, qui sont ancrés dans le projet de reconstruction néolibéral de l’après-guerre civile, il y a encore d’autres chats à fouetter avant d’être vaguement contrarié par l’absence de président.
Bien que je n’aie jamais vécu dans la ville d’Aley, il n’y a que là que j’ai le droit de voter pour des candidats, et non à Beyrouth, où je vis en réalité
Les deux seules formes d’élections directes au Liban, les législatives et les municipales, sont régies par des lois électorales archaïques en vertu desquelles les gens votent pour des candidats dans leur ville natale, et non là où ils vivent. Bien que je n’aie jamais vécu dans la ville d’Aley, il n’y a que là que j’ai le droit de voter pour des candidats, et non à Beyrouth, où je vis en réalité.
Il y a aussi un parlement qui a étendu illégalement son mandat au cours des trois dernières années, en utilisant les problèmes de sécurité comme excuse, alors que pendant la guerre civile des élections avaient lieu régulièrement. Lorsque les gens sont descendus dans la rue pour protester contre cette extension, ils ont fait face à la police anti-émeute et à des barricades.
Il y a ensuite le président du parlement, Nabih Berri, qui occupe son poste depuis 1992. Peut-être devrait-il y avoir des limites de mandat pour le président du parlement et le Premier ministre. Mais, comme prévu, cela n’a jamais fait partie de la discussion.
Il n’existe pas de lois sous la forme d’un code civil portant sur les nombreux problèmes sociaux, notamment la violence domestique, pour lesquels il faut se référer à la pure interprétation des institutions religieuses respectives. Cela n’a pas été modifié depuis le temps où le Liban était régi par le système des millets, sous l’Empire ottoman.
Alors pourquoi l’establishment fait-il tout un plat du problème de la présidence ? La réponse est simple. Cela permet de créer une bonne diversion pour les citoyens dont la méfiance et le désenchantement face à l’establishment augmentent de jour en jour. Désormais, nombreux sont ceux qui veulent s’organiser et aller au fond de ces problèmes, et la dernière chose que l’élite libanaise souhaite est de voir les médias se pencher sur la façon dont elle profite d’un État défaillant.
- Kareem Chehayeb est un auteur et musicien libanais vivant à Beyrouth. Il est le co-fondateur de Beirut Syndrome, une plateforme médiatique citoyenne. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @chehayebk
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le président de l’organe exécutif des Forces libanaises Samir Geagea (au centre, à gauche) aux côtés de Michel Aoun (au centre, à droite) au parlement libanais, à Maarab, au nord-est de Beyrouth, en janvier (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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