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Le néo-athéisme, entre obsession pour l'islam et fantasme du sauveur

Ce mouvement anti-islamique et belliciste est étayé par un dangereux mythe des Lumières selon lequel le monde peut être « guéri » de la religion

Chaque fois que j’utilise le terme de « néo-athéisme », on me demande : « Qu'est-ce que c'est, et qu’est-ce donc que l'ancien athéisme ? ». Permettez-moi de clarifier les choses.

Dans son article en anglais, Wikipedia définit le néo-athéisme comme un « mouvement social et politique » qui prône l'idée que « la religion ne devrait pas être simplement tolérée mais qu’elle devrait être contrée, critiquée, et exposée à des arguments rationnels à chaque fois que son influence émerge ». L'Internet Encyclopedia of Philosophy indique qu'il s'agit plus spécifiquement des conceptions antireligieuses de Richard Dawkins, Sam Harris et Christopher Hitchens.

Quand je pense au néo-athéisme, je pense à un mouvement post-11 septembre réactionnaire et antireligieux qui cherche de manière proactive à éradiquer la religion, partout et à tout moment où elle apparaît.

Les nouveaux athées ont intégré la célèbre formule utilisée par Christopher Hitchens en sous-titre à un de ses ouvrages, « la religion empoisonne tout ». Il s’agit d’une croyance basée sur des sentiments plutôt que sur des faits. En termes plus simples, le néo-athéisme est la conviction selon laquelle la religion est la source de la plupart, voire de tous, les maux de la planète. Une croyance spécieuse dans la mesure où les cent dernières années ont été le témoin de massacres de masse qui n'avaient rien à voir avec la religion, causés par deux guerres mondiales, le colonialisme, le communisme, l'impérialisme, et les guerres en Corée, au Vietnam et en Irak.

Il est important de faire la distinction entre l'athéisme et le néo-athéisme. L'athéisme est une affirmation non positive. Ma forme d'athéisme signifie, par exemple, que je crois qu'aucun dieu n'existe. L'athéisme garde une ambivalence quant au caractère bon ou mauvais des dieux et des religions. Toutefois, si un athée sort de ce prisme et se conforme aux définitions susmentionnées du néo-athéisme, alors il n'est plus un athée. Il est devenu un antithéiste.

Dan Harmon, le créateur de la série télévisée Community, a critiqué avec humour les nouveaux athées dans un tweet : « Vous confondez l'athéisme ("Je n'ai pas de dieu") avec l'antagonisme ("Vous n'avez pas de dieu") ».

Les nouveaux athées sont particulièrement obsédés par l'islam. « Les nouveaux athées ont flirté avec – et parfois vigoureusement embrassé – une animosité irrationnelle envers les musulmans », écrit Glenn Greenwald. Pourquoi l'affirmation de Greenwald est-elle si pertinente et irréfutable ? Car les nouveaux athées sont entièrement convaincus de l'existence d'un « choc des civilisations ».

Les nouveaux athées sont enfermés dans le mythe du sauveur incarné par la civilisation occidentale. Ils ont la conviction d'être les sauveurs consacrés d'un Orient non civilisé. D'être les libérateurs occidentaux moralement justes du « continent obscur ». En d'autres termes, ils remplissent une mission non divine qui consiste à sauver les demoiselles en détresse orientales des hommes obscurs. « Le fantasme du sauveur de demoiselles qui catalyse le jeu narratif du libérateur occidental est un élément à part entière du fantasme du sauveur colonial », écrit Ella Shohat dans un essai intitulé « Le genre dans l'Orient hollywoodien ».

Ce fantasme du sauveur a uni les nouveaux athées et les terroristes islamistes dans une relation symbiotique. Al-Qaïda ne peut exister sans le néo-athéisme, et inversement. La propagande néo-athéiste affirme que « nous sommes en guerre contre l'islam ». Ce à quoi la propagande d'al-Qaïda répond : « Vous voyez, l'Occident a déclaré la guerre à l'islam ». Chacun leur tour, ils constituent le meilleur outil de recrutement de l'autre.

Par exemple, Ayaan Hirsi Ali, célèbre adepte du néo-athéisme, est l’intervenante principale de la convention athée de cette année aux Etats-Unis. Son nom permettra à coup sûr de booster les ventes de billets parmi les nouveaux athées. Pourquoi ? Autrefois, elle avait vivement appelé à une guerre militaire contre l’islam, pas contre l'extrémisme islamique, mais contre l'islam lui-même. Elle avait aussi exprimé sa sympathie pour le meurtrier de masse islamophobe Anders Breivik. Le culte d’Ayaan Hirsi Ali, considérée comme la voix de la « raison » chez les nouveaux athées, souligne l’orientation fanatique de l'ensemble du mouvement néo-athéiste.

Tout comme les fondamentalistes religieux, les nouveaux athées sont emmurés dans un système de pensée magique. « Si nous pouvons simplement éduquer et manipuler » assez de croyants pour qu'ils rejoignent notre façon de penser, c’est-à-dire la « vérité », alors le monde deviendra parfait, nos problèmes disparaîtront. On se trouve ici dans une psychose de rêves utopiques. On retrouve aussi le grand et dangereux mythe des Lumières. Un mythe qui « enseignait que notre environnement physique et social pouvait être transformé par une manipulation rationnelle et scientifique », écrit Chris Hedges. « Cette croyance en une manipulation rationnelle et scientifique des êtres humains pour parvenir à un monde parfait a livré des millions de malheureuses victimes à la persécution et à la mort. »

Ces rêves utopiques ont engendré le racisme scientifique, les pogroms, les programmes de stérilisation nazis et communistes, ainsi que les massacres antireligieux du XXe siècle.

Les nouveaux athées, qui sont pour la majorité des individus blancs de classe moyenne vivant en banlieue, sont renfermés dans l'exaltation d'eux-mêmes. Ils sont incapables de comprendre l'idée de différence ou de penser que les êtres humains sont plus qu'une caricature de bande dessinée en une dimension, définie par les pires aspects de leurs textes religieux. Si la Bible ordonne de « lapider à mort une personne coupable d'adultère », alors tous les chrétiens sont réduits à des personnes qui punissent les adultères par la lapidation. Si le Coran ordonne de « déclarer la guerre aux mécréants », alors tous les musulmans sont des tueurs d'athées guerroyeurs.

En outre, les nouveaux athées sont fondamentalement opposés à l'idée selon laquelle la religion peut encourager les hommes à faire de bonnes choses ; c'est pourquoi Sam Harris tout comme Richard Dawkins tournent en ridicule et minimisent la foi de Martin Luther King. Dans leur esprit, et malgré le fait que Martin Luther King a déclaré à plusieurs reprises avoir été inspiré par l'évangile social du Nouveau Testament, Dawkins et Harris soutiennent qu'il a plutôt été inspiré par les idéaux humanistes laïcs. Les nouveaux athées émettent des allégations douteuses similaires à propos de la dévotion religieuse de Gandhi, de Mohammed Ali (« Aucun Vietnamien ne m'a jamais traité de nègre »), et ainsi de suite.

L'exaltation de soi est aussi la raison profonde pour laquelle les nouveaux athées sont aveugles à la violence étatique. Ils sont aveugles au fait que la violence non étatique est toujours une réponse à la violence étatique. Ils exercent le deux poids, deux mesures : la violence non étatique est barbare et sauvage, tandis que la violence étatique, notre violence, est rationnelle, humaine et raisonnable.

Cette exaltation de soi se manifeste dans des missions dangereuses et hypnotiques. C’est ici que le fantasme du sauveur se matérialise en un appel à la violence. Hitchens et Harris ont tous deux fait campagne pour la guerre en Irak, qui a non seulement conduit à la mort de 200 000 civils irakiens, mais qui a également engendré le ressentiment dont se nourrissent les terroristes. C'est ce ressentiment qui a mû les poseurs de bombes de Boston, l'homme armé de Sydney et les assaillants de Paris. Harris a qualifié l'invasion de « mission humanitaire » et déclaré que la torture employée dans la guerre contre le terrorisme pouvait être « éthiquement nécessaire ». Il soutient également le profilage racial. Hitchens a affirmé quant à lui que l'occupation militaire de l'Irak donnerait naissance à un « monde gouverné par la raison et la vertu ».

L'exaltation de soi est la raison pour laquelle les nouveaux athées ne cherchent pas à étudier l'Autre. Dans leur esprit, la religion est le mal, donc les mauvais actes sont motivés par la religion. Dans les heures qui ont suivi les attentats de Paris, Dawkins a déclaré dans un tweet : « Tous les musulmans ne sont pas des terroristes, mais je n'ai pas besoin de vous dire quelle est la confession religieuse des terroristes. » Dans l'esprit de Dawkins, le terrorisme commence et s'arrête avec l'islam. Affaire classée. Non seulement Dawkins ignore de toute évidence que le terme « terrorisme » est un terme arbitraire (nous n'attribuons pas ce terme à la violence étatique ou à notre propre violence), mais il démontre également sa réticence à étudier les circonstances qui alimentent le terrorisme : contestations politiques, résistance à l'occupation, pauvreté extrême, aliénation, discrimination, vengeance et impuissance.

Eduqués, majoritairement blancs et de classe moyenne, les nouveaux athées vivent confortablement dans les riches banlieues des pays développés. Peut-être éprouvent-ils les difficultés typiques que la vie nous inflige trop souvent, mais ils ne connaissent pas le désespoir qui anime les anciennes colonies occidentales. Ils ne savent pas ce que c'est que de survivre avec moins de 2 dollars par jour sous un régime qui écrase les libertés. Les nouveaux athées ne connaissent pas la diffamation raciale, le profilage par les agences de sécurité, la torture, les bombardements, l'occupation et les emprisonnements sans procès. Ils ne connaissent pas non plus le sentiment de n'avoir absolument aucun contrôle sur leur avenir. Au lieu de chercher à comprendre l'Autre, ou de se mettre dans la peau de l'Autre, les nouveaux athées donnent des leçons et exposent leur supériorité matérielle.

Leur obsession à vouloir définir la religion comme la source des problèmes du monde est en totale contradiction avec la réalité. En fait, cette conception est tout à fait illusoire. Au Moyen-Orient, la faute ne doit pas être rejetée sur l'islam, mais sur les régimes despotiques et autocratiques qui gouvernent avec l'appui américain. En Occident, ce n'est pas le christianisme qui est en cause, mais le fascisme du marché libre : libre-échange, pollution de masse, changement climatique, inégalités de revenu, disparité de richesse, racisme et immigration massive en provenance de pays qui ont sombré dans le chaos social, pour beaucoup à cause des politiques occidentales (libre-échange, changement climatique, guerre contre le terrorisme et guerre des stupéfiants). Enfin, en Israël, ce n'est pas le judaïsme qui est responsable (dans la mesure où un grand nombre des pères fondateurs et dirigeants actuels d'Israël étaient ou sont athées), mais l'apartheid, le vol de terres et l'humiliation de la population arabe.

Le fantasme du sauveur rend les nouveaux athées aveugles aux problèmes qui existent au sein de leur propre pays. Ce sont d’après eux les populations « non civilisées » à l'étranger qui ont besoin d'être sauvées par les évangélistes de notre civilisation occidentale. L'insistance sur les injustices sociales commises dans les pays à majorité musulmane va de pair avec le fait de penser qu’il est normal que 50 millions d'Américains vivent dans la pauvreté la plus abjecte, que la violence des armes à feu tue près de 20 000 Américains chaque année, et que 25% de la population carcérale mondiale se trouve aux Etats-Unis.

J'étais un de ces nouveaux athées. Je ne le suis plus. Je suis désormais un athée démodé et on ne peut plus ordinaire. J'ai vécu dans un pays à majorité musulmane pendant une décennie. Aujourd'hui, je vis aux Etats-Unis. Moi qui ai élu domicile en Orient et en Occident, je peux vous assurer que nous ne sacralisons pas plus la vie que ceux que nous bombardons, que nous attaquons avec nos drones et que nous occupons et dénigrons. Si quelqu'un a besoin d'être secouru, il est plus probable que ce soit nous.

- CJ Werleman est chroniqueur pour Salon et Alternet, et auteur des livres Crucifying America et God Hates You. Hate Him Back. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cjwerleman.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Légende photo : Richard Dawkins lors de la 34e conférence américaine des athées (Mike Cornwell/Wikipedia Commons).

Traduction de l’anglais (original).

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