Le Printemps arabe de la Grande-Bretagne...
Le mois dernier, avec David Hearst, rédacteur en chef de Middle East Eye, j’ai effectué un pèlerinage à Sidi Bouzid, la ville du centre de la Tunisie où Mohamed Bouazizi, un marchand ambulant, s’est immolé par le feu le 17 décembre 2010.
C’est cet acte de désespoir qui a initié le Printemps arabe. Au début, cela a semblé donner l’espoir de voir une ère sinistre de despotisme et d’inertie économique prendre fin à travers le Moyen-Orient et au-delà.
Le Printemps arabe a en effet été un grand moment démocratique. Pourtant, il a aussi donné lieu au chaos et à l’horreur en Syrie, en Libye et en Égypte, mais par chance, pas dans la Tunisie natale de Bouazizi.
La décision du peuple britannique de voter « non » au référendum européen a été un nouveau moment révolutionnaire.
En Grande-Bretagne, nous avons connu l’explosion du sentiment populaire contre la classe politique en faillite morale qui a offert à la Grande-Bretagne l’invasion de l’Irak, la débâcle du mécanisme de taux de change et la crise bancaire de 2008.
Jeudi, j’ai voté pour le « Leave » parce que je pense que l’Union européenne aspirait la démocratie en Grande-Bretagne, comme elle aspire également la démocratie dans toutes les autres parties du continent européen.
Je suppose en outre que le référendum britannique déclenchera certainement une réaction en chaîne à travers un continent européen sclérosé sur le plan économique et moribond sur le plan politique.
De grandes parties de l’Europe sont en détresse. La monnaie unique, dogmatiquement imposée par une élite arrogante et dépassée, s’est avérée être un désastre. Cette expérience économique destructrice d’emplois qu’est l’euro a fait grimper le chômage des jeunes jusqu’à la barre terrifiante des 50 % dans de larges zones de pays tels que l’Espagne, l’Italie et le Portugal. L’économie grecque a été détruite.
L’Europe souffre d’un besoin criant de changement et la Grande-Bretagne a aujourd’hui montré la voie. Nous, les réformateurs, devons nous tenir prêts pour la résistance. Angela Merkel est prête à jouer le même rôle que le défunt roi Abdallah d’Arabie saoudite lors du Printemps arabe. Mme Merkel sera le prince de Metternich de la contre-révolution qui luttera pour rétablir l’ordre existant.
Je ne pense pas que la redoutable chancelière allemande y parviendra. Dans le sillage de la décision britannique, la Grèce cessera sûrement de participer à la monnaie unique. Lorsqu’elle s’en ira, une période de chaos initial sera suivie par le retour de la croissance économique.
Il est quasiment certain qu’une réaction en chaîne se produira dans toute l’Europe du Sud. L’Italie, l’Espagne et les autres pays d’Europe du Sud pourront de nouveau se remettre sur pied économiquement.
Sur le plan politique, il y aura également des avantages. Souvenez-vous que l’avènement de l’Union européenne a paradoxalement coïncidé avec l’abolition de la démocratie dans de nombreux pays européens. Des coups d’État orchestrés en douceur par les banques centrales européennes en alliance avec le FMI ont permis d’évincer des gouvernements démocratiquement élus en Italie et en Grèce.
Comme avec le Printemps arabe, il y a des raisons de nourrir des craintes mais aussi de se réjouir. Nous avons toutes les raisons de craindre la montée des partis d’extrême droite en Europe. En effet, à cause de la longue période d’austérité dont l’Europe a déjà souffert, ces partis connaissent déjà une renaissance en France, en Allemagne et dans une grande partie de l’Europe centrale.
Ce n’est pas un hasard si Robert Fico, Premier ministre de la Slovaquie, qui s’installera à la présidence tournante de l’Union européenne le 1er juillet, est un sectaire qui veut interdire les musulmans.
En Grande-Bretagne aussi, les musulmans craignent à juste titre le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) de Nigel Farage, qui a souvent diabolisé les musulmans respectueux de la loi.
Tout comme David Cameron, le futur ancien Premier ministre britannique, le craignait également. Il est tout à fait erroné de croire que le racisme et le sectarisme se réduisent à la cause anti-Union Européenne, comme l’affirment de nombreux défenseurs de l’Union européenne. Ces sentiments existent et sont également bien ancrés au sein de l’UE.
Nous devons donc tous nous montrer prudents au cours des mois et des années très difficiles à venir. Je pense que la restauration de la démocratie et de la prospérité en Europe peut faire de l’ensemble du continent un endroit meilleur, plus libre et plus stable.
- Peter Oborne a été désigné journaliste indépendant de l’année 2016 à l’occasion des Online Media Awards pour un article qu’il a rédigé pour Middle East Eye. Il a reçu le prix de Chroniqueur britannique de l’année lors des British Press Awards de 2013. En 2015, il a démissionné de son poste de chroniqueur politique du quotidien The Daily Telegraph. Il a publié de nombreux livres dont Le triomphe de la classe politique anglaise, The Rise of Political Lying et Why the West is Wrong about Nuclear Iran.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : panneau à néons pour le référendum de 2016 sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union Européenne affiché aux portes de la salle des annonces de l’hôtel de ville de Manchester, dans le nord-ouest de l’Angleterre, le 23 juin 2016 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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