Le régime saoudien ne représente pas les musulmans
Le Moyen-Orient traverse la période la plus mouvementée de son histoire depuis l’effondrement de l’Empire ottoman et la montée des États-nations.
2011 fut l’année de la chute des régimes autocratiques en Tunisie, Égypte, et Libye, ainsi qu’au Yémen, et aussi du début d’une guerre civile en Syrie. Nous avons vu ces régimes ne reculer devant aucune brutalité pour s’accrocher au pouvoir, et appliquer la tolérance zéro à l’encontre de ceux qui ont participé à la première vague du Printemps arabe.
Le défunt roi Abdallah avait compris le danger qui menaçait la monarchie saoudienne, et qu’il allait faire face à des appels similaires en faveur de la démocratie, la liberté et l’égalité, de façon imminente. Pour y échapper, Abdallah a soudoyé le peuple en augmentant à tout va salaires et dépenses publiques dans tout le royaume.
Impitoyable camp antirévolutionnaire
De plus, avec l’aide du prince héritier Mohammed ben Zayed aux Émirats arabes unis (EAU), il a dirigé dans le Golfe un nouveau camp antirévolutionnaire, impitoyable. Ensemble, ils ont soutenu le complot du général égyptien Abdel Fattah al-Sissi qui fomenta un coup d’État contre le gouvernement élu de Mohamed Morsi.
L’Arabie saoudite a offert une aide se montant à plusieurs milliards de dollars à Sissi, qui renvoya l’ascenseur en qualifiant les Frères musulmans – dont Morsi était membre – d’organisation terroriste ; et mobilisé les médias d’État pour lancer une virulente campagne de relations publiques contre la notion même d’islam politique. Sissi a également prétendu, à tort, que la confrérie était à l’origine de la radicalisation dans la région.
Aujourd’hui, avec l’odieux assassinat de Jamal Khashoggi – un fier Saoudien et un ambassadeur inégalé pour son pays – le monde a enfin pris conscience de la brutalité qui accable ce pays depuis des décennies
À l’époque, l’Égypte avait recruté d’innombrables groupes de pression pour que l’administration Obama s’engage à adopter une totale neutralité devant ce coup d’État. Le silence honteux de l’Amérique sur le massacre de centaines de manifestants sur la place Rabia-El-Adaouïa atteste qu’elle a succombé à ces efforts de lobbying – sans comprendre à l’époque que combattre et opprimer l’islam politique revenait à se tirer une balle dans le pied.
Jamal Khashoggi, assassiné il y a deux mois au consulat saoudien d’Istanbul, avait un jour déclaré que la famille dirigeante saoudienne n’avait pas intérêt à affronter les Frères musulmans, mais devrait plutôt faire équipe avec eux. « L’Arabie saoudite... est la mère et le père de l’islam politique », avait-il souligné.
Le vrai sens de l’islam
Et pourquoi pas ? La famille al-Saoud gouverne depuis près d’un siècle sous l’égide de l’islam, affirmant qu’elle applique la charia islamique et gouverne de façon conforme au Coran.
Grâce à l’immense richesse pétrolière qu’elle a accumulée depuis la Seconde Guerre mondiale, son wahhabisme reposait sur un principe de loyauté et d’obéissance aux ordres – principe insidieux de l’islam qu’elle répandait activement dans la région et au niveau international. Elle n’a jamais placé en tête de ses priorités ni la communauté ni le bien commun.
Indubitablement, le régime saoudien n’a jamais voulu mettre en pratique les vraies valeurs et vertus de l’islam. Les princes n’ont jamais remis leurs agissements en question, les lois ont toujours été appliquées de manière sélective et les minorités – ainsi que les non-Saoudiens – ont été victimes de discrimination. Les gens n’ont jamais vraiment eu leur mot à dire et pas vraiment participé au gouvernement.
Essentiellement, le roi est considéré comme un quasi-dieu, dont les ordres ne sauraient être remis en question, ni même discutés. La richesse du pays était donc assimilée à celle du roi, et c’était donc à lui de décider comment la distribuer.
Le régime saoudien avait probablement raison de voir une menace dans le Printemps arabe, surtout lorsque les Frères musulmans arrivèrent au pouvoir. Si les Frères réussissaient à appliquer un régime démocratique propice au bien-être du peuple, les monarchies, qui prétendaient également agir au nom de l’islam, seraient les premières à être sommées d’appliquer ces mêmes règles. Si les gens se révoltaient et contestaient leurs dirigeants, les monarchies de plus en plus fébriles de la région compteraient parmi les premières victimes.
Vide moral
Aujourd’hui, avec le meurtre odieux de Jamal Khashoggi – un fier Saoudien et un ambassadeur inégalé pour son pays – le monde a enfin pris conscience de la brutalité qui accable ce pays depuis des décennies. La CIA a conclu que le prince héritier était impliqué dans l’assassinat de Khashoggi et, de fait, il ne reste que très peu d’options à ce dirigeant.
Cette situation tragique met en évidence le vide moral au cœur de la direction saoudienne. Même dans une région où la démocratie est si brutalement écrasée par les autocraties familiales et les despotes militaires soutenus par l’étranger tels que Sissi, on ne saurait oublier quel est le vrai visage de l’Arabie saoudite.
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Si ce prince irresponsable s’accroche obstinément au pouvoir, il augmentera l’instabilité au sein d’une population généralement pacifique, qui sait pertinemment qu’il ne la représente pas, ni elle, ni sa religion.
Des relents d’hypocrisie émanent sans conteste de l’élite saoudienne – famille qui asservit le voile de la piété religieuse à ses propres fins politiques, mais dont les actes montrent désormais de façon si flagrante sa totale déconnexion d’avec ses fidèles, eux si férus de la paix promue par cette grande religion.
- Yehia Hamed est un ancien ministre égyptien de l’Investissement. Il a servi dans le gouvernement démocratiquement élu de Mohamed Morsi, renversé lors du coup d’État de 2013.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Djeddah, le 25 septembre : le roi saoudien Salmane assiste à l’inauguration d’un nouveau train à grande vitesse entre La Mecque et Médine, les villes saintes de l’islam (Bandar al-Jaloud/Saudi Royal Palace/AFP).
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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