Le soulèvement égyptien, quatre ans plus tard
Comme à l’accoutumée, au soir du 25 janvier 2011, Metwali, un jeune homme issu de la classe moyenne d’une banlieue du Caire, était assis au café du quartier pour discuter avec ses amis et se raconter les dernières nouvelles. C’est dans ce cadre paisible qu'il a entendu parler des manifestations et des affrontements qui se déroulaient place Tahrir.
Plus tard ce soir-là et le lendemain matin, Metwali (nom d’emprunt) avait été frappé par la contradiction entre les émissions de cuisine et les paisibles vues panoramiques du Caire diffusées à la télévision égyptienne, loin de refléter un quelconque air de soulèvement, et les propos de ses amis sur ce qui se passait au-dehors. Il décida alors de sortir et de prendre part aux événements.
Il téléphona à son meilleur ami et lui confia : « S’ils essaient de cacher ce qui se passe vraiment sur la place Tahrir, c’est qu’il y a quelque chose qui cloche. Ils sont sûrement en train de concocter quelque chose et essayent de nous le cacher ».
« Sortons, et allons chercher le changement que nous méritons », avait-il dit à son ami. « Nos frères sont attaqués et tués, ils ont besoin de nous ».
N’ayant connu qu'un seul président durant toute sa vie, à 26 ans Metwali rêvait de démocratie et de faire changer les choses.
Donc, le 26 janvier il rejoignit les milliers d'Egyptiens à travers le pays - hommes, femmes et enfants - qui allaient affronter les forces de police pendant 18 jours, scandant à l’unison « aish, huriya, adala igtimaiya » (« pain, liberté, justice sociale »). Les milliers, sortis pour conquérir leurs libertés et les conditions, longtemps espérées, d’une vie digne, se sont transformés en millions pour faire tomber leur président despotique, Hosni Moubarak, et son régime. Au moins 846 personnes sont mortes au cours de ces 18 jours.
Au premier jour de son implication dans les manifestations, les slogans des manifestants se sont faits plus pressants, clamant « hukm Moubarak batel batel » (« le régime de Moubarak est nul, nul »). Au milieu de la foule amassée autour de la place Tahrir, Metwali perdit de vue son meilleur ami, puis fut pris dans des échauffourées avec la police alors qu'il tentait de le retrouver.
Metwali raconte que la police le frappa à coups de matraque avant de l’embarquer avec 37 autres hommes dans un fourgon fait pour contenir 15 personnes au maximum. Entassés, ils ont passé plus de six heures dans ce fourgon mal ventilé, cherchant le peu d’air qu'ils pouvaient respirer à travers les quelques espaces étroits des ouvertures grillagées donnant sur l'extérieur. Beaucoup autour de lui s’étaient évanouis.
Finalement, ils ont été mis dans une cellule de prison, mais encore une fois, bien trop petite pour contenir tous les détenus.
« La plupart des gens dormaient debout parce qu'il n'y avait pas assez de place pour s’allonger », explique-t-il. « Nous étions plus de 230 personnes obligées à uriner dans un seau car personne n’était autorisé à sortir de la cellule pendant deux jours, sauf pour les interrogatoires ».
Les détenus devaient payer pour le peu de nourriture disponible, un seul repas pendant deux jours.
Pour garder le moral, Metwali chantait avec ses nouveaux compagnons de cellule les refrains révolutionnaires qu'il avait appris place Tahrir ainsi que de vieilles chansons nationalistes – forçant la voix chaque fois qu'un agent de police se présentait.
L'un des détenus, un garçon de 16 ans, lui raconta qu'il avait été arrêté alors qu’il quittait son immeuble du centre du Caire plus tôt dans la journée pour aller acheter des médicaments pour sa grand-mère. En sortant, il fut surpris par une foule pourchassée par la police, et rapidement embarqué par cette dernière.
Relâché au bout de 48 heures, Metwali retrouva son ami. Il avait également été arrêté.
Leur libération s’était accompagnée d’un avertissement d'un gardien de prison : « Nous vidons les prisons pour ceux de demain. Si vous êtes arrêtés à nouveau demain, vous ne ressortirez pas ».
Le lendemain en question, le 28 janvier, était annoncé comme le « vendredi de la colère ». La police s’attendait apparemment à un grand nombre de nouveaux détenus puisque les Frères musulmans, principale force politique organisée d'Egypte à l'époque, avait prévu de se joindre aux manifestations.
Quatre ans, deux présidents élus et six premiers ministres plus tard, avec peu d'espoir pour une quelconque démocratie à venir, Metwali, désormais âgé de 30 ans va bientôt quitter l'Egypte. « Même si c’est ma patrie, et que je l’aimerai toujours, c’est tout simplement trop déprimant et autodestructeur d’y rester », dit-il. C’est un sentiment que beaucoup partagent.
Au cours des deux dernières semaines, à l'approche du quatrième anniversaire du soulèvement de 2011, Moubarak est passé du statut de pharaon à celui de phœnix. Une peine à perpétuité pour avoir ordonné l'assassinat de manifestants pendant le soulèvement qui l’avait renversé a été annulée en 2013. En novembre 2014, un nouveau procès venait également annuler les charges retenues contre lui. La dernière condamnation, relative à des accusations de corruption, a été rejetée par un tribunal du Caire le 13 janvier dernier. Le tribunal a ordonné un nouveau procès, mais Moubarak, 86 ans, devrait être relâché en attendant la finalisation des procédures officielles relatives à sa libération, selon ses avocats.
Le 22 janvier, un tribunal du Caire a également ordonné la libération des deux fils de Moubarak, Alaa et Gamal, dans l’attente d’un nouveau procès.
Alors que ces derniers sont libres, la place Tahrir, cœur symbolique du soulèvement, est de nouveau marquée par les signes et les sons de la répression. A la veille de l’anniversaire du 25 janvier, les chars de l'armée et les fourgons de la police ont bloqué tout accès, et une manifestante, la militante Shaimaa Sabbagh, a été tuée.
L'Alliance populaire socialiste, dont Sabbagh était membre, a indiqué que la jeune femme a été tuée par les forces de sécurité. Les médias sociaux étaient inondés d’images de Shaimaa portant une couronne de fleurs pour aller la déposer sur la place Tahrir lorsque la fusillade s’est produite. Le 23 janvier, une autre jeune manifestante, Sondos Reda Abo Bakr, 15 ans, était tuée lors d’affrontements ayant éclaté à Alexandrie.
Peu a été fait pour tenir les forces de sécurité et les autorités égyptiennes responsables de la mort de manifestants au cours des quatre dernières années. Pendant ce temps, les libertés politiques continuent de s’éroder.
Depuis l’arrivée de l'actuel président Abdel Fattah al-Sissi au pouvoir en juillet 2013, plus de 40 000 Egyptiens ont été arrêtés et poursuivis, selon la base de données statistiques indépendante Wikithawra. En mai dernier, celle-ci indiquait que seulement 4% des arrestations étaient liées à des actes de terrorisme, tandis que 89% étaient liées à des activités politiques. En juin, Amnesty International et Human Rights Watch déclaraient que l'Egypte était « au milieu d'une crise des droits de l’homme plus grave qu’à toute autre période de l'histoire moderne du pays ».
Sissi a récemment annoncé que les Egyptiens avaient le droit de protester, mais que cela était susceptible de nuire à l'économie. Les actions de son gouvernement ne corroborent guère ce qu'il dit.
Les jeunes militants sont soit tués soit mis en prison pour avoir manifesté. Le 21 janvier, Alaa Abdel Fattah, blogueur de 33 ans, a été transféré dans un hôpital carcéral après 80 jours de grève de la faim. Il avait été arrêté en octobre avec 19 autres personnes pour avoir enfreint une loi interdisant de manifester. Plusieurs détenus sont en grève de la faim pour protester contre leur emprisonnement.
Mohamed Soltan, citoyen américain de 27 ans, est détenu sans inculpation dans une prison égyptienne depuis 16 mois. Le 20 janvier, sa famille a publié six photographies prises dans la prison qui montrent le jeune homme inconscient, du sang coulant de sa bouche, des plaies sur les lèvres et gencives, et de larges contusions sur les mains et les bras.
Selon Reporters sans frontières, 16 journalistes seraient actuellement emprisonnés en Egypte. Seuls la Chine, l'Erythrée et l'Iran dépassent ce nombre. Sont inclus les trois journalistes d'Al-Jazeera anglais, condamnés à une peine de sept à dix ans d’emprisonnement lors d’un procès largement critiqué par des journalistes, défenseurs des droits de l'homme et avocats de par le monde.
Pendant ce temps, le président Sissi continue de chercher à asseoir sa légitimité à l’international et à attirer les investisseurs. Il s’est exprimé en Suisse cette semaine lors du prestigieux forum de Davos qui rassemble des personnalités politiques et du monde des affaires de premier plan. Un peu plus tôt ce mois-ci, il recevait en Egypte la plus grande mission commerciale du Royaume-Uni de ces dix dernières années. Et en mars, une conférence économique majeure se tiendra dans la station balnéaire de Charm al-Cheikh. Tout cela ne fait qu’amenuiser les espoirs de voir la communauté internationale faire pression pour que les autorités égyptiennes respectent les droits de l’homme et l’Etat de droit.
Selon l’éditorialiste du Financial Times Gideon Rachman, « des questions embarrassantes sur le coup d'Etat militaire qui a aidé à propulser M. Sissi au pouvoir en 2013 – ainsi que l'effusion de sang et la répression qui ont suivi – n’ont pas été posées lors du forum [de Davos] ». Au lieu de cela, il fut reçu « chaleureusement » par l'élite politique internationale. L’ancien politicien allemand Philipp Rösler a même déclaré à Sissi : « La communauté de Davos compte sur votre leadership ».
Rachman explique que ceci survient dans un contexte où la communauté internationale se trouve plus préoccupée que jamais par la menace de groupes extrémistes comme l’Etat islamique et al-Qaïda, particulièrement après la tuerie de Charlie Hebdo en France ce mois-ci.
Même si la renonciation au respect des droits de l’homme dans la lutte contre le « terrorisme » par les gouvernements de par le monde est désormais une formule bien connue, cette approche reste décevante et vouée à l’échec. L’Egypte de Sissi n’est pas un modèle à suivre en la matière. Quatre ans après le soulèvement populaire, des manifestants pacifiques continuent d'y être tués.
- Nadine Marroushi est une journaliste anglo-palestinienne. Elle a travaillé pour Bloomberg et la version anglaise d’al-Masry al-Youm (aussi connue sous le nom d’Egypt Independent). En tant que journaliste free-lance, elle a écrit pour le journal national des Emirats arabes unis et pour le blog de la London Review of Books. Elle a aussi réalisé des articles pour le Financial Times et d’autres publications internationales.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Légende photo : drapeau égyptien flottant sur une statue place Tahrir, au Caire, 2011 (AFP).
Traduction de l'anglais (original).
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