Les immenses richesses de la Libye pourraient contribuer à mettre fin à la violence politique
Malgré le grave conflit et la croissance économique négative de ces trois dernières années en Libye, il est surprenant d’apprendre que l'économie du pays est en bien meilleure santé que celle de nombreux autres pays, y compris dans les pays voisins.
Les fondamentaux de l'économie libyenne sont solides et le potentiel de croissance et de prospérité énorme. La Libye n’a pratiquement aucune dette extérieure envers les institutions financières internationales, alors que d'autres pays voisins ont déclaré des milliards de dollars de dettes en 2017, dont l'Égypte (67 milliards de dollars), le Maroc (47 milliards de dollars) et la Tunisie (28 milliards de dollars).
Rivalités autour des richesses de la Libye
La Libye dispose également de 67 milliards de dollars (54 milliards d’euros) d'actifs de fonds souverains nationaux dispersés dans le monde entier, mais gelés par l'ONU depuis 2011. Le pays possède également d'énormes réserves de pétrole et de gaz, avec des disponibilités en pétrole brut de 48 milliards de barils – les plus importantes d’Afrique et les neuvièmes du monde. La Libye se classe également au cinquième rang mondial pour les réserves de schistes bitumineux récupérables, estimées à 26 milliards de barils.
Ses diverses réserves minérales, non encore exploitées à l'échelle commerciale, incluent de très grandes réserves aurifères, surtout dans le sud.
Pourtant, malheureusement, cette immense richesse s’avère pour les Libyens une sorte de malédiction et une cause profonde de conflit. La nature rentière de l'économie libyenne signifie que l'État est la principale source de revenus et de richesse. En l'absence d'un contrat social établissant un système équitable et pacifique de partage des richesses, les Libyens ont été conduits à prendre les armes et à recourir à la violence, surtout au cours de ces trois dernières années.
Le conflit porte essentiellement sur la question de savoir qui contrôle le pouvoir politique et, par conséquent, la richesse.
L'économie libyenne est en bien meilleure santé que celles de la Tunisie et de l'Égypte voisines, entravées par une dette extérieure élevée, un chômage important et des ressources naturelles limitées
Autre facteur intrinsèque nuisant à l'économie libyenne : une culture profondément enracinée de la corruption, qui ronge la plupart des budgets alloués par le gouvernement. Le manque de transparence et de mécanismes de responsabilisation, conjugué à la très faible capacité institutionnelle de mettre en œuvre des politiques de bonne gouvernance, constitue une faiblesse majeure et contribue à l’exode économique.
La violence en Libye a été alimentée par des pays, proches et lointains, avides de se partager ses richesses. Les conflits sur le contrôle des installations pétrolières, y compris les champs pétrolifères et les terminaux d'exportation, ont fait chuter les exportations quotidiennes de pétrole brut par la Libye à seulement 200 000 barils par jour en 2014-2015, contre un maximum de 1,5 million de barils par jour auparavant.
Cette brutale réduction des exportations de pétrole a fait chuter les recettes en devises, et le cours du dinar libyen a fortement baissé par rapport aux devises étrangères. Entre autres effets, citons la spirale de l'inflation, la hausse des prix et une grave pénurie de liquidités dans les banques, entraînant de graves souffrances socio-économiques pour les Libyens ordinaires.
Signes d'amélioration
Au cours des trois dernières années, le conflit a également conduit à une scission des principales institutions économiques du pays : la Banque centrale de Libye, la National Oil Corporation et l'Autorité libyenne des investissements.
Cependant, fin 2017, certains facteurs économiques ont commencé à s’avérer plus positifs : en 2017, les exportations de pétrole libyen n’ont jamais été aussi fortes depuis quatre ans, atteignant environ un million de barils par jour, alors que les signes d'une amélioration des conditions de sécurité incitaient certaines des plus grandes compagnies pétrolières du monde à revenir en Libye.
Les exportations pétrolières ont triplé en 2017, pour atteindre 14 milliards de dollars, contre 4,8 milliards en 2016. Signe d’un regain de confiance, les géants Royal Dutch Shell et BP ont récemment, et pour la première fois depuis des années, signé des contrats annuels d’achat de brut libyen.
La banque centrale libyenne a annoncé qu'elle porterait à 500 dollars en 2018 le montant annuel de devises étrangères disponible pour chaque membre d’une famille, contre 400 dollars en 2017. Cela a facilité l'accès aux devises étrangères à un taux de change officiel beaucoup plus bas que celui du marché noir parallèle, presque six fois plus élevé.
Ces dernières années, un autre facteur accable l'économie libyenne : la contrebande de carburants, fortement subventionnés, et de denrées alimentaires de base vers les pays voisins et à travers le monde. Selon Mustafa Sanalla, chef de la National Oil Corporation, la contrebande par terre et par mer passant par la Tunisie pourrait représenter jusqu' à 40 % de la consommation du pays.
Or, une récente répression des réseaux de contrebande a permis à la Libye d'économiser des centaines de millions de dollars en argent public, perdu auparavant aux mains des passeurs et de leurs clients à l'étranger.
Impacts sur les pays voisins
Autre évolution bienvenue : le renforcement du dinar libyen de plus de 50 % par rapport aux devises étrangères sur le marché noir. Le dinar a été soutenu par un afflux massif de devises en provenance de la Banque centrale, car la hausse des prix du pétrole et l'augmentation des recettes d'exportations ont allégé la pression financière pesant sur la Libye.
Depuis le début de l'année, la banque centrale a également injecté plus d'argent en faveur des importateurs, contribuant ainsi à faire baisser tant les prix des biens que l'inflation.
La hausse des exportations de pétrole et des prix du brut génère davantage de recettes étrangères pour la Libye, désormais plus proches des niveaux d'avant le conflit. Le véritable potentiel de l'économie libyenne, cependant, réside dans les immenses ressources naturelles et les importants avoirs gelés du pays. Comme la Libye n’a aucune dette envers les institutions financières internationales, elle se retrouve libre d'adopter des politiques fiscales sans pression ou ingérence internationale.
À LIRE : Des élections en 2018 mettront-elles fin au conflit en Libye ?
Tout cela devrait montrer aux factions libyennes qu’elles ont énormément à gagner à mettre fin à leur conflit et obtenir stabilité et unité. D'importantes améliorations économiques encourageraient les Libyens ordinaires à participer aux élections prévues, en leur offrant l’espoir de voir la lumière au bout du tunnel.
L'économie libyenne est en bien meilleure santé que celles de la Tunisie et de l'Égypte voisines, entravées par une dette extérieure élevée, un chômage important et des ressources naturelles limitées. La Libye a, au fil des décennies, attiré des centaines de milliers de travailleurs égyptiens et tunisiens – et, après la fin du conflit, elle pourrait facilement en attirer davantage, contribuant ainsi à relancer leur économie.
L'Égypte dispose d'un fort pouvoir d'influence sur certaines factions dans le conflit libyen, dont le général Khalifa Haftar. Elle pourrait donc exercer une véritable influence lorsqu'il s'agira d’obtenir un accord politique et la paix. D'un point de vue géopolitique, une Libye stable et prospère constituerait un immense atout économique pour ses voisins et beaucoup moins une menace pour leur sécurité nationale.
- Guma el-Gamaty, universitaire et homme politique libyen, est à la tête du parti Taghyeer en Libye et membre du processus de dialogue politique libyen soutenu par l’ONU.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Des Libyens brandissent leur drapeau national dans le port de Benghazi, lors d'une cérémonie marquant sa réouverture en octobre 2017 – il était en effet resté fermé pendant trois ans, en raison de l'occupation de la ville par des groupes rebelles (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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