Libyens, prenez garde ! Voici venir les chevaux de Troie
Méfiez-vous de ce cheval, Troyens. Quel qu’il soit. Je crains les Grecs, même s’ils viennent chargés de présents.
La Libye ne sait plus que faire de tant d’attentions, si généreusement prodiguées. Il lui incombe d’examiner très attentivement toutes ces propositions d’aide, sans se laisser leurrer par le joli papier cadeau.
La France fait depuis quelques temps de fracassantes déclarations pour attester de sa « profonde inquiétude face aux violences en Libye » et elle offre aux Libyens d’intensifier son aide pour endiguer « la vague de violence qui frappe surtout le sud du pays ». Tant de sollicitude envers la région du Fezzan, au sud, cache mal les autres préoccupations françaises, qui dépassent la question libyenne et ne sont pas totalement partagées par les Libyens.
Il y a bien longtemps que la France s’émeut de perdre son ascendant sur ses anciens alliés d’Afrique du Nord et de la région du Sahel. Ce n’est pas tant l’escalade de la violence en Libye qui suscite ce regain d’inquiétude, mais bien la proximité croissante des Etats-Unis et des pays de la région du Sahel.
Rien, aux yeux de la France, n’illustre mieux l’emprise croissante des Etats-Unis sur les anciennes colonies françaises que le renforcement de la coopération américano-algérienne dans la région, y compris en Libye. Il suffit d’écouter les récentes déclarations officielles de l’Algérie sur « la réconciliation en Libye » : elles font parfaitement écho à celles des responsables américains.
Américains et Algériens sont effectivement sur la même longueur d’onde, et pas seulement à propos de la Libye.
Lors de la visite en l’Algérie du Secrétaire d'Etat américain John Kerry en avril dernier, Alger et Washington ont entamé des pourparlers « stratégiques » sur la sécurité régionale. Les deux pays se sont engagés à conjuguer toujours plus leurs efforts pour lutter contre le « terrorisme islamiste » en Algérie et au Maghreb.
« Pour lutter contre le ‘’terrorisme islamique’’ », les Américain ont jeté leur dévolu sur l’Algérie – surprenant choix de partenaire. C’est faire fi en effet des analyses d’observateurs de la pointure d’un Jeremy Keenan, autorité mondiale sur la région du Sahara-Sahel et professeur à l’Ecole des études orientales et africaines (SOAS). Il évoque les « louches imbroglios » du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), le service de renseignement algérien, qui se serait commis avec des groupes d'extrémistes locaux. John Schindler, ancien haut responsable de la National Security Agency Counterintelligence, semble confirmer cette analyse.
Pourquoi donc les Etats-Unis s’associent-ils ainsi à l’Algérie, et ignorent-ils les conclusions d’études occidentales pointant que ce pays n’est pas le partenaire le plus crédible pour combattre le « terrorisme islamiste », contrairement à ce qu’il prétend officiellement ? Se pourrait-il que les liens entre ces deux nations soient plus pérennes que ce front commun, aussi spontané qu’artificiel, contre le « terrorisme islamiste » ?
Chercher du côté du pétrole
Les Français sont convaincus que tout est affaire de pétrole. L’Algérie est l’un des volets d’une politique plus large visant à diversifier leurs sources d’énergie, motivée par l’imminence de problèmes d’approvisionnement. D’ici 2035, la demande mondiale de pétrole excèdera encore les capacités des sites de production existants, et la demande en gaz aura augmenté.
Platform, l’observatoire londonien du gaz et du pétrole, a eu entre les mains des documents émanant du gouvernement britannique qui indiquent que le Royaume-Uni joue un rôle prépondérant dans la détermination de l’Occident à cimenter ses liens énergétiques avec l'Algérie.
L’accord de coopération anti-terroriste d’avril 2014 revient à lier les deux pays les plus riches en pétrole de chaque côté du Sahara par un complexe de mesures sécuritaires à l’architecture toute américaine. En est sorti la Trans-Saharan Counterterrorism Initiative, qui finit par être absorbée par l’Africa Command de l'armée américaine.
La stratégie du Royaume-Uni s’inscrit donc dans un politique plus large, conduite par les Etats-Unis en vue d’avoir la haute main sur les ressources inexploitées de pétrole et de gaz dans cette région.
Les inquiétudes des Français vont au-delà de simples appréhensions quant à leur statut et prestige international. Ils ont acquis la conviction que leurs approvisionnements énergétiques sont en danger.
Quand on se met à leur place, on comprend aisément pourquoi leurs futurs besoins énergétiques inquiètent tant les Français. Néanmoins, les Libyens ne peuvent tolérer que ce pays tente d’instaurer au Sahel une Pax Francia incluant une « présence française accrue au Fezzan ».
Les efforts déployés par la France pour lutter contre ce qu’elle perçoit comme une Pax Americana par trop dominatrice en Afrique du Nord et au Sahel risquent fort de fâcher non seulement les Etats-Unis mais aussi l'Algérie.
Les Libyens ont quant à eux intérêt à rester très attentifs à la complexité de la partie qui se joue dans la région et, surtout, à développer leur capacité politique à voir plus loin que le bout de leur nez, sauf à risquer d’être instrumentalisés à leur insu – simples pions et chair à canon, dans une partie d’échec qui les dépasse largement.
Ils feraient donc bien de regarder attentivement les dents du cheval dont on veut tant leur faire cadeau, et oser le retourner à l’envoyeur, accompagné d’un poli – mais ferme – « merci, mais… non merci ».
Ils seraient aussi bien avisés de s’inspirer du conseil de Sophocle :
Tout ce que j’ai reçu des Grecs ne m’a valu que des ennuis.
Désormais, je me range à ce vieux proverbe :
Les cadeaux d’un ennemi n’en sont pas, car ils n’apportent rien de bon.
- Abdullah Elmaazi, intellectuel libyen expert en histoire et politique libyennes, a participé à l’élaboration de la Libyan National Crisis Resolution Initiative (LNCRI). En 1984, il a fondé Sigma Consult, prestataire de formations et conseils au secteur gazier et pétrolier d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
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Traduction de l'anglais (original).
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