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L'Irak, après l’invasion : des néoconservateurs aux néo-Soviétiques

L'Irak a subi les invasions des colonisateurs britanniques, des alliés des soviétiques, des néoconservateurs américains et des mollahs iraniens. C’est maintenant au tour de l'empire russe de prendre sa part du gâteau

Tout au long de la Guerre Froide, États-Unis et Union soviétique ont rivalisé pour prendre le contrôle de zones d'influence au Moyen-Orient. La concurrence entre ces superpuissances y fut particulièrement féroce, cette région étant d’une grande importance stratégique et possédant de vastes réserves de pétrole et de gaz. De fait, le sort de chaque pays était à la merci de l'équilibre des pouvoirs entre ces deux puissances mondiales.

Pendant les premières années de la Guerre Froide, l'Union soviétique a cherché à imposer sa volonté sur les pays de cette région, au moyen des branches armées des partis communistes locaux, sans aucun égard pour les sensibilités sociales et religieuses des peuples qu’elle ciblait.

Ce fut le cas en Irak, pays dont la structure socioculturelle était de toute évidence en contradiction avec les principes du communisme.

La foi dans les traditions et dans les croyances du Moyen-Orient était également enracinée dans la société irakienne. Ce pays ne pensait pas que son aspiration à l'équité économique devait être importée de Russie. 

La majorité des Irakiens n’était guère attirée par une rhétorique concentrée sur la classe ouvrière et une apparente loyauté absolue envers le parti des camarades à Moscou. Cela n’a pas empêché l’Union soviétique de cibler avec succès l'Irak sous le régime militaire du colonel Abdul Karim Kassem (qui était sympathisant communiste), au pouvoir après l'indépendance des Britanniques en 1958.

Les années suivantes, les bouleversements politiques engendrés par le communisme ont provoqué hostilités et fortes divisions au sein du peuple irakien. Des milliers d'irakiens ont été tués ou ont disparu, dans ce qui constitue des violations des droits de l’homme des plus horribles. 

En 1959, suite à un soulèvement contre le colonel Kassem, les adversaires du communisme ont été autorisés à se venger de leurs adversaires : certains furent mutilés, d’autres pendus - déjà morts - à des lampadaires et poteaux électriques.

Les Irakiens en sont venus à s’entretuer au nom du communisme et, pendant ce temps-là, l’Irak a été éhontément dépouillé de ses ressources naturelles, au profit non pas des Irakiens mais de l'Union soviétique. Cette pratique s’est répétée dans d'autres pays du Moyen-Orient jusqu'au début des années 70. Cependant, vers la fin des années 80, les Soviétiques ont été chassés de la plus grande partie de cette région.

Intervention américaine

L'effondrement économique de l'Union soviétique à la fin des années 1980 et au début des années 90 a fourni aux États-Unis l'occasion de pratiquer, en toute impunité, leur propre version d’une politique étrangère au Moyen-Orient : répandre la démocratie.

La détermination des États-Unis (quand les néoconservateurs étaient aux manettes) à répandre leur version de la démocratie dans la région n'était pas très éloignée de celle de l'Union soviétique, quand elle cherchait à y disséminer le communisme. 

Chaque idéologie fut, en fin de compte, promue en vue de servir non pas les peuples de cette région mais les intérêts des superpuissances, chacune à leur tour. Elles étaient, l’une comme l’autre, étrangères à la culture de cette région. Elles ont toutes les deux été imposées en dépit de la volonté populaire. Et elles ont, l’une comme l’autre, démontré leur ignorance exceptionnelle - voire pire, leur indifférence – relativement  aux pratiques sociales et culturelles des populations locales.

Au moyen de ses pays mandataires, l'Union soviétique a tenté de changer la réalité du mode de vie irakien pour le faire cadrer avec les idéaux de l'idéologie communiste. Cette pratique s’est avérée être une erreur fondamentale de discernement politique qui a, in fine, empêché les Soviétiques d’exercer la moindre influence dans la région. Néanmoins, les États-Unis ont cherché à faire de même.

La politique adoptée par les États-Unis afin de diffuser une version de la démocratie conforme à leur vision fut l’intervention militaire directe, ainsi que l’armement et le financement de soit-disant groupes d'opposition. La « guerre contre le terrorisme » s’est transformée en programme politique. Ce fut un moyen de déstabiliser  voir d’éliminer tout régime tombé en disgrâce aux yeux des États-Unis ou faisant peser une menace sur les ambitions régionales d'Israël.

Le régime du président Saddam Hussein n’avait plus l’heur de plaire aux États-Unis. C’est pourquoi les États-Unis ont mis en pratique cette même politique en Irak, et l’effet fut dévastateur. Pour se débarrasser d'un seul homme, l'Irak fut occupé et détruit. L'État irakien, tel que mis en place par les Britanniques en 1914, fut démantelé. Une constitution sectaire fut imposée pour remplacer la constitution laïque historique de l'Irak, afin de diviser et régner par la peur.

Des centaines de milliers de civils irakiens ont été tués sous des bombardements barbares, aveugles, et destinés à mettre les populations en état de choc et d’hébétude. Des millions ont fui leur pays. Une armée nationale irakienne très respectée fut remplacée par des armées de veuves et d’orphelins, sans parler des nouveau-nés frappés de troubles génétiques par contamination à l'uranium appauvri. Maintenant, ce sont les milices fidèles à Téhéran qui manient les armes.

Une fois de plus, les Irakiens s'entre-tuent - cette fois au nom de la démocratie. Une fois de plus, les vastes ressources naturelles de l'Irak sont pillées à un rythme alarmant - non dans l’intérêt du peuple irakien mais bien des États-Unis et de ces individus corrompus à la tête d'un régime imposé à l'Irak par la constitution sectaire des États-Unis.

A ce jour, la politique américaine, prétendument destinée à promouvoir la démocratie au Moyen-Orient - par la force armée - a semé mort, destruction et famine. C’est par conséquent une tragédie humaine indescriptible. D’où la crise des réfugiés à laquelle l'Europe doit faire face aujourd'hui, puisque de plus en plus de gens fuient l'Irak, la Syrie, la Libye et l’Afghanistan. Ils n’ont pas choisi de vivre en Europe : leurs maisons sont en ruine et ils cherchent refuge et protection.

État défaillant

D’où la radicalisation de tous ces jeunes qui cherchent à redresser ce qu’ils perçoivent comme une injustice. Les groupes vers lesquels ils se tournent - al-Qaïda et l'État islamique - sont des groupes religieux extrémistes formés, financés et soutenus par les États-Unis, qui, une fois leur utilité perdue, furent abandonnés et donnèrent libre cours aux ravages de leur violence.

Que ce soit en Irak ou en Afghanistan, les régimes installés et soutenus par les États-Unis au nom de la propagation de la « démocratie » présentent des similitudes remarquables. Divisions sectaires, corruption, États faillis, abus des droits de l’homme et absence de l’État de droit.

Comme si cela ne suffisait pas, la récente intervention militaire de la Russie en Syrie devrait déclencher une incontournable prise de conscience et pousser les États-Unis à modifier leur politique étrangère dans cette région.

Libérés de leur ancienne dévotion au communisme, les Russes pourraient bientôt trouver un ancrage politique permanent dans la région, sous le masque du sauveur du peuple arabe, bouclier contre la tyrannie des États-Unis et de leur politique étrangère, aussi interventionniste que destructrice.

De toute évidence, l’échec de la politique étrangère des États-Unis est incontestable. En Irak, le régime actuel n’est pas tenable. L'Irak est un État failli. Par conséquent, les États-Unis ont deux options: maintenir le statu quo de l'occupation en soutenant un parti Dawa soutenu par l'Iran, mais sans participation des Irakiens ; ou un état irakien indépendant, souverain et laïc, sans le parti Dawa. Une force économique avec laquelle faire des affaires. Un État capable d’entretenir la stabilité régionale et de contrecarrer le réveil des ambitions régionales iraniennes.

L'Irak est en panne et doit être réparé. La politique américaine fondée sur les divisions sectaires a fait la preuve de ses effets contre-productifs. La solution n’est plus de tuer toujours plus d’Irakiens sous les bombes. Les États-Unis doivent persuader l'Iran d’abandonner ses velléités interventionnistes en Irak. Et œuvrer main dans la main avec les groupes politiques nationaux à établir un gouvernement d'unité nationale : il servira et protégera les intérêts de tous les Irakiens et pas seulement d’un seul groupe sectaire.

Si les États-Unis ne changent pas de politique étrangère dans la région, ils obtiendront inévitablement les mêmes résultats désastreux que l'Union Soviétique. Les États-Unis seront bientôt chassés de cette région et ils ne pourront plus y exercer la moindre influence. Pour reprendre Marx, l'histoire se répète. Au départ, c’est une tragédie ; elle se rejoue ensuite, mais alors c’est une farce.  

-Dr Burhan Al-Chalabi, FRSA (membre de la Royal Society of Arts), est l'ancien président de la Fondation britannique irakienne, et l'éditeur du London Magazine.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo: Drapeaux et bannières rouges sont déployés sur le défilé de l’Immortal Regiment, lors de la parade militaire marquant le Jour de la Victoire, a Moscou, le 9 mai 2015 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies

 
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