L’offensive sur Tripoli exacerbe la bataille pour le pétrole libyen
Le conflit entre groupe rivaux en Libye, qui ronge le pays depuis la chute du régime de Kadhafi en 2011, ne présente aucun signe indiquant une fin prochaine. Au contraire, il s’intensifie depuis l’offensive lancée le 4 avril par le général Khalifa Haftar contre la capitale, Tripoli.
Les divisions concernent le contrôle du pouvoir et des richesses, dans un pays où la richesse découle quasi exclusivement des recettes du pétrole. À mesure que progresse l’offensive sur Tripoli, le pétrole en deviendra probablement un enjeu majeur.
Les réserves de pétrole libyennes sont estimées à 48 milliards de barils, les plus importantes d’Afrique et les neuvièmes mondiales, et les réserves de pétrole de schiste techniquement récupérables sont quant à elles estimées à 26 milliards de barils. Les exportations de pétrole et de gaz représentent environ 90 % des revenus de la Libye, toute perturbation majeure signifie donc une forte baisse de ces revenus.
Rivalité acharnée
La Libye dispose d’une économie rentière typique, où l’État est le principal employeur, fournissant un salaire à quasiment 1,8 million de personnes, soit environ un tiers de la population totale.
Les lucratifs marchés pétroliers et gaziers du pays suscitent une rivalité internationale acharnée, surtout parmi les acteurs du secteur pétrolier. Le contrôle des considérables ressources naturelles est également un moteur essentiel des groupes libyens, beaucoup rivalisant pour s’assurer une part des bénéfices. L’actuelle escalade des violences mènera-t-elle à un conflit généralisé pour le contrôle des ressources pétrolières de Libye ?
Cela pourrait encourager Haftar à jouer davantage la carte pétrolière s’il ne parvient pas à prendre Tripoli et le pouvoir politique par la force
Divers groupes ont déjà tenté par le passé d’utiliser les installations pétrolières comme outil de négociations et levier pour obtenir des gains financiers et politiques. Les ports les plus importants du croissant pétrolier de l’Est libyen ont été bloqué par une milice locale entre 2013 et 2016. Par ailleurs, en 2014, les exportations de pétrole ont plongé sous la barre des 200 000 barils par jour (bpj) contre une moyenne d’environ 1,6 million bpj avant le soulèvement.
En 2016, Haftar a pris le contrôle des installations et terminaux de l’Est libyen, principalement dans le croissant pétrolier. Plus tard, il a étendu son contrôle aux installations du sud, s’emparant des gisements pétroliers el-Sharara et el-Feel. Le Gouvernement d’union nationale (GNA) reconnu par la communauté internationale à Tripoli contrôle toujours d’autres installations offshore.
Dynamique du conflit
Les recettes tirées des exportations pétrolières arrivent toujours à la Banque centrale libyenne de Tripoli, laquelle collabore avec le GNA. La National Oil Corporation (NOC), qui domine le secteur pétrolier libyen, tente de rester en dehors des conflits politiques et de rester une institution neutre.
Au-delà des complications de la dynamique du conflit libyen, le gouvernement de l’Est – non reconnu et allié à Haftar – a créé une NOC parallèle à Benghazi, qui a tenté à plusieurs reprises de vendre du pétrole libyen sur le marché étranger. Ces tentatives ont été avortées par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies empêchant les exportations illicites de pétrole brut.
Des rapports récents indiquent que Haftar militarise actuellement des installations pétrolières dans la région du croissant pétrolier et a commencé à utiliser des ports pétroliers et des aérodromes pour des activités de guerre. Suite à cette décision, la NOC a publié une déclaration condamnant l’utilisation de ses installations à des fins militaires, détaillant la prise de la piste d’atterrissage de Sidra et la mise à quai des navires de guerre dans le terminal de Ras Lanouf par les forces de Haftar. « La dernière vague d’hostilités représente une menace sérieuse pour nos opérations, notre production et l’économie nationale », a déclaré le dirigeant de la NOC, Mustafa Sanallah.
Après le lancement de l’offensive sur Tripoli de Haftar, il a été largement rapporté qu’il avait reçu un appel de Donald Trump au cours duquel le président américain « reconnaissait le rôle important du maréchal Haftar dans la lutte contre le terrorisme et la protection des ressources pétrolières libyennes ».
Cela pourrait encourager Haftar à jouer davantage la carte pétrolière s’il ne parvient pas à prendre Tripoli et le pouvoir politique par la force.
Moyen de pression politique
Selon un responsable de la présidence française, Haftar s’est plaint de ne pas bénéficier, lui et ses forces, des ventes de pétrole dans l’Est du pays. Il a également rejeté les appels à un cessez-le-feu lors d’une récente visite au président Emmanuel Macron.
Malgré le fait que Haftar contrôle la plupart des actifs pétroliers en Libye, ses plaintes montrent qu’il pourrait maintenant chercher à avoir accès à un revenu provenant de la richesse pétrolière de la Libye. Cela indique un changement de cap de Haftar, qui serait peut-être disposé à mettre en jeu le contrôle des exportations et recettes du pétrole de la Libye dans le conflit en cours.
Haftar peut tenter d’exporter directement sur le marché et, s’il n’y parvient pas, il peut aller jusqu’à faire cesser complètement les exportations dans les régions sous son contrôle. Cela équivaudrait à une grave escalade.
Si le GNA, à la suite de la récente offensive sur Tripoli, parvient à repousser les forces de Haftar de l’ouest de la Libye et à reprendre les régions pétrolières clés, il serait privé d’importants moyens de pression politiques qui réduiraient considérablement sa pertinence, tant au plan national que sur la scène internationale.
La communauté internationale doit s’inquiéter de toute perturbation des exportations de pétrole en provenance de Libye, car cela pourrait entraîner une hausse des prix du pétrole sur le marché mondial. Idéalement, les ressources pétrolières du pays devraient être complètement épargnées par le conflit, car tout obstacle a des conséquences dévastatrices pour l’économie et aggrave les souffrances de l’ensemble de la population.
- Guma el-Gamaty, universitaire et homme politique libyen, est à la tête du parti Taghyeer en Libye et membre du processus de dialogue politique libyen soutenu par l’ONU. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @Guma_el_gamaty
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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