Message contradictoire de Cameron sur l'extrémisme et la démocratie
Tout au long de son premier mandat, David Cameron a pris l'habitude de faire ses déclarations les plus importantes sur les musulmans britanniques quand il est à l'extérieur de la Grande-Bretagne.
Le célèbre discours sur le « libéralisme musclé » a été prononcé à Munich. Le mois dernier, il a intensifié sa rhétorique à propos de ce qu'il aime à appeler « l'extrémisme non-violent » lors d'une réunion d'experts de la sécurité à Bratislava, capitale de la Slovaquie. Les déclarations du week-end du Premier ministre au sujet de Daech ont été faites à la télévision aux États-Unis.
Pour rendre les choses encore pires, les meilleures remarques de M. Cameron sur l'islam lors de ces événements ont souvent été communiquées à l'avance à la presse qui a fait un compte-rendu stigmatisant les musulmans britanniques, surtout dans la presse de Murdoch.
L'effet principal de ses diverses déclarations internationales a donc été de renforcer les préjugés de ceux qui détestent déjà ou se méfient de l'islam. Cette approche a envoyé le message clair aux musulmans britanniques que son gouvernement s’intéresse aux conférences, mais pas au dialogue.
Ce message a été renforcé par l'échec systémique de David Cameron à accorder une attention sérieuse aux voix musulmanes traditionnelles. Incroyablement, il n’est entré dans une mosquée qu'une seule fois au cours des cinq années de son mandat. C’est le record misérable d'un Premier ministre qui a affirmé à plusieurs reprises qu'il chérissait les minorités britanniques.
Le discours du Premier ministre sur l'islam hier a eu lieu à Birmingham. La décision de se trouver en Grande-Bretagne était en elle-même un grand pas en avant. Cela devrait être apprécié. Le Premier ministre a explicitement reconnu qu'il n'y a pas de contradiction entre l'Islam et les valeurs britanniques.
C’est une déclaration qui va décevoir certains de ses partisans conservateurs, qui avaient argué avec une confiance croissante que la fidélité à l'État britannique ne peut pas se concilier avec la foi musulmane.
Cameron a même reconnu, à quelque chose près, que les musulmans peuvent être soumis à l'islamophobie : « Nous devons lutter ensemble contre les théories du complot à propos de nos communautés musulmanes, je sais trop quelle douleur elles peuvent causer. »
En général, cependant, l'analyse du Premier ministre reste à ce point viciée que l’on pourrait la qualifier de délirante. Comme Tony Blair avant lui, le Premier ministre est réticent ou incapable d’accepter les liens prouvés entre la politique étrangère occidentale et le terrorisme domestique.
Cet échec est particulièrement déroutant parce que les responsables du renseignement qui conseillent le Premier ministre ont été clairs pendant de nombreuses années sur l’existence d’un lien.
Pour le Premier ministre, le problème a très peu à voir avec la réalité. En fait, cela se résume à un seul concept qu'il appelle « l'extrémisme islamiste ».
Il y a d'énormes problèmes intellectuels avec l'analyse de M. Cameron, et il n'a même pas commencé à les résoudre dans le discours d'hier.
Le premier problème concerne la définition. David Cameron pense que des extrémistes entretiennent « des idées hostiles aux valeurs libérales fondamentales telles que la démocratie, la liberté et l'égalité des sexes ».
Selon cette définition, Tim Farron, le leader libéral-démocrate nouvellement élu qui n’accepte pas le mariage homosexuel en raison de sa foi chrétienne, est sans aucun doute un extrémiste.
Les fervents croyants sont ainsi dans la plupart, sinon toutes les religions du monde. David Cameron a promis qu'un projet de loi contre l'extrémisme serait publié par le Parlement après sa pause estivale. En l'état actuel des choses, son projet de loi est une vraie pagaille conceptuelle.
Mais il y a un problème encore plus important pour le Premier ministre, s’il veut que quelqu’un prenne ses remarques d'hier au sérieux. Cela concerne la cohérence. Le Premier ministre a donné des leçons aux musulmans hier (pourquoi est-ce seulement des musulmans, et pas les membres d'autres religions, dont on parle de cette façon ?) en disant qu'ils doivent se soumettre aux valeurs libérales de la liberté d'expression, de la démocratie, de l'égalité sexuelle, de tolérance etc.
Tout cela est bien beau. Toutefois, les musulmans sont certainement en droit d'attendre que l'Etat britannique lui-même accepte et respecte ces qualités essentielles. Il ne le fait assurément pas en politique étrangère, et surtout pas lorsque la politique étrangère concerne des pays musulmans.
Prenons la crise en Egypte, où le gouvernement Cameron a discrètement approuvé la prise de contrôle militaire qui a évincé Mohamed Morsi, le président démocratiquement élu des Frères musulmans. Les ministres britanniques ont tellement peur d’irriter la junte sanguinaire qui gouverne maintenant le pays qu'ils n’ont même pas utilisé le terme de coup d'Etat pour décrire ce qui est arrivé.
Depuis la prise de contrôle par les militaires, la liberté d'expression a été supprimée avec une brutalité tout à fait exceptionnelle. Des milliers de personnes ont été assassinées par l'Etat pour avoir protesté contre un régime illégal.
La réponse de David Cameron ? Il a invité le général Sissi à Londres en visite d'Etat. Cette visite est prévue pour plus tard cette année, et est susceptible en effet de se produire à peu près au même moment où le Premier ministre britannique dévoilera son projet de loi de lutte contre l'extrémisme.
L'Arabie saoudite est un exemple typique. Voici un état qui ne connaît pas la signification de la liberté d'expression, qui décapite ses citoyens, tolère les mariages forcés, définit l'opposition politique comme terrorisme, et organise la persécution des homosexuels (l'année dernière un Saoudien a été condamné à trois ans de prison et 450 coups de fouet après avoir été pris alors qu’il utilisait Twitter pour organiser des rencontres avec d'autres hommes : un homme marié trouvé en train de se livrer à des actes homosexuels peut être lapidé à mort). Pourtant, David Cameron traite l'Arabie saoudite comme l'un de nos alliés les plus proches.
Cela signifie que le Premier ministre britannique envoie simultanément deux messages diamétralement opposés à un jeune musulman désorienté de Bradford envisageant de rejoindre Daech.
Son système d'alliances internationales fait la déclaration sans équivoque qu’il est permis de décapiter, torturer des homosexuels, tuer ses adversaires sans procès et forcer des femmes au mariage.
Dans son pays, cependant, David Cameron enseigne aux musulmans que tel comportement est extrémiste et il les met en garde de ne pas entrer dans ce qu'il appelle une « voie » au terrorisme violent.
La contradiction entre l'appui du Premier ministre à la démocratie en Grande-Bretagne et aux dictateurs du Moyen-Orient est très dangereuse. Al-Qaïda et Daech s’en servent. Ils utilisent les contradictions dans l'argumentation de David Cameron pour soutenir que les déclarations selon lesquelles l'Occident croit en la démocratie libérale sont cyniques et fausses. Ils ont un point fort.
Il y a un certain bon sens dans le discours du Premier ministre. C’est une amélioration grâce à des efforts récents. Toutefois, si le Premier ministre croit sincèrement, selon sa propre rhétorique, que la lutte contre Daech est le défi de notre génération, alors il a besoin de réfléchir à nouveau.
Son affirmation selon laquelle il n'y a pas de lien significatif entre la politique étrangère britannique et le terrorisme domestique est ridiculement faux. David Cameron a un besoin urgent d'une nouvelle analyse si la Grande-Bretagne veut vraiment lutter contre Daech.
- Peter Oborne a reçu le prix de chroniqueur de l’année 2013 décerné par la presse britannique. Il a récemment démissionné de son poste de chroniqueur politique en chef au Daily Telegraph. Parmi ses livres, citons : The Triumph of the Political Class, The Rise of Political Lying et Why the West is Wrong about Nuclear Iran.
Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye
Traduction de l'anglais (original) par Emmanuelle Boulangé
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