Paradoxe saoudien aux négociations de Paris sur le climat
PARIS – Le pavillon de la Chine fourmille de fonctionnaires donnant des conférences de presse, de photographes et d’équipes de télévision se marchant sur les pieds. À côté, les délégations du Pérou et d’Indonésie sont occupées à régaler les délégués de la conférence à coup de musique et de danse. Plus loin, dans le pavillon des États-Unis, une porte-parole s’agite dans une présentation véhémente des dangers d’un réchauffement de la planète.
En revanche, tout est calme et serein au sein du pavillon du Conseil de coopération du Golfe (CCG), l’un des plus grands et opulents du hall gigantesque qui fait partie de la petite ville qui a été montée au Bourget, à la périphérie de Paris, pour ce qui est présenté comme les négociations climatiques les plus importantes jamais menées.
Il n’y a pas à douter de l’état d’esprit ici : un réel effort est fait pour mettre fin à l’âge des combustibles fossiles et parvenir à une transition vers une économie mondiale décarbonée d’ici à 2050. Savoir si cet objectif sera atteint ou non est la question à plusieurs milliards de dollars, mais si tel n’est pas le cas, comme on nous l’a répété, nous pouvons nous attendre à un avenir de plus en plus sombre – et très chaud.
Au milieu de toutes les négociations de Paris – un événement mi-discussion sérieuse, mi-cirque mondial – les États du Golfe, et l’Arabie saoudite en particulier, ont un considérable problème de crédibilité.
Des techniciens saoudiens conduisent le visiteur occasionnel du pavillon du CCG à travers une série d’expositions interactives : oui, disent-ils, nous cherchons à diversifier notre économie. Nous avons de grands desseins pour les projets d’énergie renouvelable. Nous nous inquiétons de la façon dont l’augmentation des températures entraînera des pénuries d’eau encore plus graves et plusieurs autres conditions climatiques indésirables pour le pays.
Pourtant, l’Arabie saoudite, le plus grand exportateur de pétrole du monde, emprunte la direction opposée sur le changement climatique – en continuant à pomper de plus en plus de pétrole – et rejetant des millions de tonnes supplémentaires de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
Dire que sa politique économique – centrée sur le fait de retirer autant de revenus du pétrole que possible afin de faire face à un trou noir qui s’agrandit rapidement dans ses finances publiques – est en contradiction avec ce qui est discuté à Paris constitue un doux euphémisme.
Ce qui suscite la perplexité ici, ce sont les plans de l’Arabie saoudite concernant ce qu’on appelle dans le jargon du climat de l’ONU « les contributions prévues déterminées au niveau national » ou CPDN – des engagements qu’ont pris plus de 180 pays afin de savoir comment et quand chacun a l’intention de réduire ses émissions de gaz à effet de serre, le CO2 en particulier, ainsi que le volume de ces réductions.
L’Arabie saoudite s’est engagée à réduire ses émissions de 130 millions de tonnes d’équivalent de CO2 par an d’ici à 2030. Le fait que le royaume – pas connu pour se soucier outre mesure des questions liées aux changements climatiques – a quand même pris la peine de présenter une CPDN au sommet de Paris a été salué comme une avancée considérable par certains dans le processus de négociation des Nations unies.
Le problème est que l’engagement de l’Arabie saoudite s’accompagne de fortes réserves qui rendent son engagement caduc : le pays ne respectera son engagement de réduction des émissions qu’en cas de « forte contribution des revenus d’exportation de pétrole à l’économie nationale ».
En outre, Riyad a averti les négociateurs de Paris qu’elle ne serait liée par aucun accord conclu pendant la COP qui pourrait créer ce qu’elle a désigné comme une « charge anormale » sur l’économie saoudienne. Si tel était le cas, le pays agirait rapidement pour revenir sur les engagements en matière de changement climatique.
Le Climate Action Tracker (CAT), une organisation indépendante basée au Royaume–Uni qui a suivi et analysé les engagements soumis à Paris, qualifie également la position de l’Arabie de paradoxale et inadéquate.
L’approche de Riyad semble être, avant tout, de continuer à pomper et à exporter des quantités presque record de pétrole – et au diable les conséquences pour la planète – et pour l’Arabie saoudite elle–même.
Le CAT estime que, si les actuelles politiques d’exportations élevées se poursuivent, les émissions saoudiennes ne diminueront certainement pas – en fait, elles devraient augmenter de 158 % par rapport aux niveaux de 2010 d’ici à 2030 – ou de 680 % par rapport aux niveaux de 1990.
Les négociateurs de Paris indiquent que la hausse des températures moyennes au niveau mondial en 2050 doit être limitée à 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels : si les températures augmentent davantage, le monde sera confronté à des changements potentiellement catastrophiques du climat.
La région du Golfe est particulièrement sensible à toute hausse des températures ou aux changements des précipitations.
« Les projets saoudiens pour le climat sont en contradiction avec les impacts climatiques prévus pour la région, une région où le réchauffement moyen est plus élevé que la moyenne mondiale », selon le CAT.
« Dans un monde avec 3–4 °C de plus, les trois quarts du pays vont souffrir de sécheresse excessive d’ici la fin du siècle. »
Autre incohérence de la position saoudienne : la probabilité qu’au cours des 25 prochaines années, les ressources pétrolières s’épuiseront, les dernières prévisions indiquant que le royaume deviendra un importateur net de pétrole à la fin des années 2030.
Pour la santé des générations futures à la fois du pays et à travers le monde ainsi que pour le bien de sa propre économie, l’Arabie saoudite devrait réduire de manière drastique sa production de pétrole et foncer tête baissée dans les énergies renouvelables ; or elle s’engage plutôt dans la direction opposée.
D’autres pays du Golfe ne font guère mieux. Les scientifiques disent que, pour éviter un changement climatique désastre, les émissions de carbone du monde entier doivent être limitées – dans un futur assez proche – à deux tonnes par habitant et par an.
Atteindre cet objectif est une tâche immense : selon les chiffres de la Banque mondiale, les émissions par habitant en Chine sont aujourd’hui d’environ 7 tonnes par an, en Europe, elles s’élèvent à environ 9 tonnes, et à 16 tonnes aux États–Unis.
Et dans le Golfe ? Les émissions annuelles par habitant sont de 18 tonnes en Arabie saoudite, 20 tonnes à Oman et aux Émirats arabes unis, 28 tonnes au Koweït. Le Qatar remporte le prix mondial des crapules pour son indulgence vis-à-vis des combustibles fossiles avec une énorme contribution d’émissions par habitant : 44 tonnes par an.
Pas étonnant alors que, au milieu des négociations passionnées, du tralala et du chaos qui règnent ici, le pavillon du CCG est étrangement calme.
- Kieran Cooke est un ancien correspondant à l’étranger pour la BBC et le Financial Times, et continue de contribuer à la BBC et à un large éventail de journaux internationaux et de radios.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des femmes prennent un selfie devant l’auditorium « Génération climat », le 2 décembre 2015, pendant la Conférence mondiale sur les changements climatiques (COP21), au Bourget, en banlieue de la capitale française (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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