Pour l'Arabie saoudite et les Émirats, la Palestine n'est plus une priorité
Le sort de Jérusalem est au centre des préoccupations du monde musulman. Déjà, en 1969, c'est la tentative d'incendie criminel de la mosquée al-Aqsa par un extrémiste juif australien qui avait conduit à la fondation de ce qu’on appelait à l'époque l'Organisation de la conférence islamique (OCI).
Basée à Djeddah en Arabie saoudite, cette organisation internationale qui possède une délégation permanente aux Nations unies, regroupe les 57 pays musulmans à travers le monde. En plus de la défense de Jérusalem, elle vise à renforcer la solidarité entre ses États membres.
Il n'est d'ailleurs pas anodin que le sommet exceptionnel d'aujourd'hui ait été convoqué par la Turquie, et qu'il se tienne à Istanbul et non à La Mecque
Pendant longtemps, l’institution n’avait qu’un rôle honorifique. Soumise aux rivalités politiques qui clivent le monde musulman, elle a souvent été sous domination saoudienne. Mais depuis la guerre du Golfe de 1990, les choses ont changé et l'état des rapports de force depuis une vingtaine d'années ne semble plus aller dans le sens de la diplomatie de Riyad.
Il n'est d'ailleurs pas anodin que le sommet exceptionnel d'aujourd'hui ait été convoqué par la Turquie, et qu'il se tienne à Istanbul et non à La Mecque.
Depuis la décision du jeudi 6 décembre de l'administration américaine de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël, le monde musulman est en ébullition. Depuis une semaine, des manifestations s’organisent dans le monde entier et de nombreux rassemblements ont eu lieu devant les ambassades américaines.
Timide pour ne pas dire plus, la réaction des gouvernements musulmans a été dénoncée par une grande partie des opinions. L'événement d’aujourd’hui est donc une forme de riposte des États afin de montrer qu’eux aussi restent préoccupés par la préservation du troisième lieu saint de l’islam.
Deux lignes qui s’opposent
Preuve également du caractère transversal de la question palestinienne, des pays non musulmans, comme le Venezuela, ont tenu à participer en tant qu’observateur au sommet. La semaine dernière déjà, la Bolivie avait demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l'ONU suite à la décision de Washington.
Néanmoins, au sein du monde islamique, deux lignes s'opposent. La première est conduite par la Turquie et l'Iran qui ont tenu des propos durs à l'endroit de l'administration Trump en la mettant en garde contre une décision irresponsable qui ne fait que jeter de l'huile sur le feu. Suivi par plusieurs États musulmans comme la Malaisie, l’Algérie, la Tunisie, le Maroc ou le Qatar, ce duo a pris la tête de la contestation.
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Multipliant les discours et déclarations fracassantes, Recep Tayyip Erdoğan a même menacé de rompre les liens diplomatiques avec Israël. La récente visite de Vladimir Poutine à Ankara au cours de laquelle un important accord militaire a été signé, entre également dans ce cadre.
Au Moyen-Orient en effet, un nouvel axe stratégique joignant la Turquie à l'Iran devient de plus en plus une réalité. Soutenu par le Qatar et parrainé par la Russie, ce camp semble avoir le vent en poupe et, tournant le dos à la crise syrienne qui avait profondément clivé la région, il semble aujourd'hui vouloir mettre la question de la Palestine en tête de ses priorités.
A contrario, l'autre front est représenté par l'Arabie saoudite, l'Égypte et les Émirats arabes unis. Ce trio qui a décidé le blocus du Qatar au mois de juin, est également celui qui a tissé les relations les plus fortes ces derniers mois avec Israël.
Totalement décomplexés et ayant imposé une véritable chape de plomb à leur opinion en multipliant les arrestations de tous ceux (émirs, ministres ou oulémas) se risquant à une critique de leur politique, les tenants de cette vision appellent ouvertement à l’établissement d’une nouvelle alliance avec Tel Aviv.
L’« expansionnisme iranien », prioritaire sur la cause palestinienne
Dans leur viseur, « l'expansionnisme iranien » est considéré comme la menace la plus grave qui pèse sur la stabilité du Moyen-Orient. Dans ce contexte, la cause palestinienne n'est plus considérée comme prioritaire, et il appartient aux États arabes de s'allier de manière résolue avec l’administration Trump et le gouvernement Netanyahou pour faire pièce à un ennemi commun.
Figure de la scène littéraire saoudienne et homme bénéficiant de l’écoute des plus hauts dirigeants du royaume, le romancier saoudien Turki al-Hamad a déclaré à cet effet : « La Palestine n’est plus la cause numéro un des Arabes depuis que les propriétaires de cette cause l’ont vendue ».
Les dirigeants égyptien, émirati et saoudien semblent aujourd'hui particulièrement gênés par le sommet d’Istanbul
Pour mettre en place leur vision, les dirigeants de ces trois pays (auxquels on peut ajouter Bahreïn, devenu de facto un protectorat saoudien) semblent aujourd'hui particulièrement gênés par le sommet d’Istanbul. En témoigne la représentation minime qu'ils ont envoyé à l’évènement.
Tandis que Le Caire et Abou Dabi dépêchaient leurs ministres des Affaires étrangères, Riyad n’envoyait « que » son ministre des Affaires religieuses. Alors que la question de Jérusalem domine tous les esprits et qu'elle reste historiquement la cause fédératrice d'un monde arabe et musulman qui cherche encore son unité, nul doute que cette posture risque encore d'aggraver le déficit de légitimité dont ces trois régimes disposent aujourd'hui dans le monde musulman.
Dénoncés par de nombreux observateurs comme étant des « sionistes arabes », il y a peu de chance de voir ce camp évoluer dans le sens des intérêts palestiniens.
Pire, certaines fuites dans la presse israélienne et américaine ont dévoilé que la décision de Trump sur Jérusalem n’aurait pas été prise sans l’aval et le soutien de certains pays arabes comme l’Égypte et l’Arabie saoudite.
- Nabil Ennasri est docteur en science politique et directeur de L'Observatoire du Qatar. Il est aussi l'auteur de L'énigme du Qatar (Armand Colin). Vous pouvez le suivre sur Twitter : @NabilEnnasri
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Photo : Traditionnelle "photo de famille" à l'ouverture du sommet extraordinaire de l'Organisation de la coopération islamique (OCI), le 13 décembre 2017 à Istanbul (AFP).
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