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Pour le Qatar, la crise du Golfe constitue une opportunité pour les droits de l’homme

En réformant sa loi sur la nationalité, en ratifiant la Convention sur les réfugiés et en adhérant à la Cour pénale internationale, le Qatar peut devenir un État modèle dans la région – et se protéger des attaques

Le vieil adage qui veut que chaque crise offre des opportunités est plus vrai que jamais au Qatar aujourd’hui. Sans nul doute, le gouvernement du Qatar est sous une pression intense exercée par ses voisins autrefois frères, dirigés par l’Arabie saoudite.

Pourtant, il peut prendre des mesures immédiates pour atténuer l’impact de la crise sur ses citoyens, ainsi que sur ceux qui ont cherché refuge dans ce pays pour fuir des gouvernements plus répressifs de la région. Il peut également prendre des mesures qui peuvent dissuader ses voisins de violer le droit de la guerre sur son territoire. Ces actions ne sont pas seulement les bonnes choses à faire pour le Qatar ; elles sont également intelligentes, avec une portée directe et pratique pour la sécurité de son peuple.

Droits de citoyenneté

Peut-être avec une mesure facile, rapide et déjà pleinement en son pouvoir : le gouvernement du Qatar peut décider d’accorder automatiquement la citoyenneté aux enfants nés de mères qataries et de pères non-qataris. Comme beaucoup de pays du Moyen-Orient, le Qatar n’autorise pas les femmes à transmettre automatiquement leur nationalité à leurs enfants, en violation des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et une insulte envers au moins 100 000 Qataries qui sont privées de ce droit fondamental.

Le Premier ministre peut émettre un décret du jour au lendemain indiquant que le gouvernement approuvera automatiquement toute demande de naturalisation présentée par une personne née d’une Qatarie

Le Qatar permet aux enfants adultes nés de Qataries et de pères non-qataris de demander leur naturalisation, mais il a des critères stricts, notamment 25 ans de résidence au Qatar. Le processus peut prendre des années et est souvent arbitraire. Les familles qataries subissent le préjudice de cette politique injustifiable en cette période actuelle de confrontation entre le Qatar et ses voisins, car les enfants et leurs pères en Arabie saoudite, à Bahreïn et aux Émirats arabes unis ne peuvent rejoindre leur famille au Qatar.

En juin, Human Rights Watch a discuté avec un homme de 36 ans qui expliquait que, bien qu’il soit né au Qatar d’une mère qatarie, et qu’il ait vécu toute sa vie là-bas, il avait passé des années à attendre en vain une réponse à sa demande de naturalisation.

Lors de notre rencontre à Doha la semaine dernière, le Premier ministre du Qatar, Abdallah ben Nasser ben Khalifa al-Thani, a déclaré qu’il serait difficile de modifier la loi sur la nationalité, car cela requiert le même vote majoritaire et les mêmes procédures par le Conseil consultatif, l’organe législatif du Qatar, que pour changer la Constitution.

Cependant, le Premier ministre peut émettre un décret du jour au lendemain indiquant que le gouvernement approuvera automatiquement toute demande de naturalisation présentée par une personne née d’une Qatarie, sans que cela nécessite de modifier la loi.

Un tel correctif de procédure résoudra non seulement la crise à laquelle de nombreuses familles du Qatar se heurtent aujourd’hui et mettra le Qatar plus en conformité avec ses obligations en matière de droits de l’homme envers ses citoyens. Cela fera du Qatar un meilleur modèle parmi les États du Conseil de coopération du Golfe (CCG), où les lois discriminatoires sur la nationalité restent endémiques.

Deuxièmement, le Qatar devrait immédiatement ratifier la Convention de 1951 sur les réfugiés et établir des procédures pour ceux qui ont fui la persécution politique pour demander l’asile. Quelques-uns des voisins du Qatar ont provoqué un tapage à propos des exilés politiques « qu’abrite » le Qatar, venus de certains régimes tyranniques de la région, comme l’Égypte et la Libye, ce qui est en fait une tradition courageuse et honorable pour ce petit État du Golfe.

J’ai parlé avec plusieurs de ces exilés à Doha, reconnaissants pour le refuge offert, mais leur statut ne leur offrant aucune sécurité, ils restent sujets à l’expulsion à tout moment et, dans de nombreux cas, ne peuvent pas voyager en raison des passeports expirés de leur pays d’origine.

Fournir l’asile

Si le Qatar ratifiait la Convention de 1951 sur les réfugiés et établissait une procédure d’asile, cela permettrait au gouvernement d’examiner les demandes d’asile de manière rigoureuse et ordonnée et de fournir l’asile – et des droits, pas uniquement de la compassion – à ceux qui sont jugés admissibles. Et personne ne serait en mesure de critiquer le Qatar pour avoir fait ce que tant d’autres pays ont fait en fournissant l’asile politique aux « indésirables » d’aujourd’hui, dans le cadre de ses obligations en vertu du droit international.

Des réfugiés syriens à la frontière entre la Syrie et la Turquie, à Kilis (AFP)

Certains responsables du Qatar ont exprimé leur inquiétude quant au fait que l’adhésion à la Convention sur les réfugiés exposerait le Qatar à un flot de réfugiés du monde entier, mais en réalité, l’emplacement géographique du Qatar rend cela très peu probable. Ceux qui en bénéficieront sont les réfugiés et les demandeurs d’asile que le Qatar abrite déjà, mais d’une manière qui leur permettrait de voyager et de bénéficier des protections de base.

Le Qatar montrerait une fois encore le chemin du progrès pour le monde arabe, où de nombreux États n’ont pas ratifié la Convention sur les réfugiés, ni établi de procédures d’asile.

Alors que les États du Golfe ont été généreux en signant des chèques pour soutenir l’hébergement de réfugiés syriens par la Jordanie et le Liban, et ont généralement permis aux Syriens dans leurs pays de rester indéfiniment, l’absence de procédures d’asile les empêche de les reconnaître en tant que réfugiés avec les protections légales qui accompagnent ce statut. Le Qatar peut montrer au monde arabe qu’il peut faire mieux.

Statut de Rome et CPI

Enfin, le Qatar devrait agir d’urgence pour adhérer au Statut de Rome et rejoindre la Cour pénale internationale (CPI), ainsi que la Convention sur les armes à sous-munitions. L’adhésion à ces traités n’est pas seulement la chose à faire sur le plan moral. Les protections qu’ils offrent en ce moment critique ne sont pas hypothétiques. Ils pourraient fournir un important bouclier de dissuasion contre les voisins du Qatar, en particulier l’Arabie saoudite et les EAU, s’ils envisagent d’imiter les tactiques militaires illégales qu’ils ont utilisées au Yémen.

Peut-être que le risque de faire face à des accusations de crimes de guerre pourrait-il les faire réfléchir à deux fois avant de commettre de potentiels crimes de guerre, comme le lancement de frappes sur le siège d’Al Jazeera

Nous savons que la coalition saoudienne, dont Qatar faisait partie il y a encore quelques semaines, a bombardé à plusieurs reprises les écoles, les hôpitaux, les marchés et les maisons au Yémen. Nous avons documenté 81 attaques de la coalition apparemment illégales, dont certaines s’apparentent probablement à des crimes de guerre qui pourraient relever du contrôle du procureur de la CPI si le Yémen était un membre du tribunal. Nous savons que la coalition saoudienne a pilonné le Yémen avec des armes à sous-munitions, dont les sous-munitions non explosées, à moins d’être nettoyées, laisseront une contamination en héritage dans le pays pour les générations futures.

Peut-être les Saoudiens et les Émiratis réfléchiraient-ils à deux fois à l’utilisation de tactiques odieuses au Qatar si le conflit politique actuel devait dégénérer en conflit armé.

Peut-être s’arrêteront-ils avant de déployer des bombes à fragmentation le long de la frontière du Qatar, sachant que le poids considérable de la communauté internationale, y compris l’État ciblé, considère que leur utilisation est de facto illégale ; peut-être que le risque de faire face à des accusations de crimes de guerre pourrait-il les faire réfléchir à deux fois avant de commettre de potentiels crimes de guerre, comme le lancement de frappes sur le siège d’Al Jazeera, que certains chroniqueurs les ont encouragés à cibler de manière répétée.

Ce ne sont pas seulement des politiques sensées qui profiteront aux femmes et aux familles qataries, à ceux qui ont fui la violence et la persécution dans les pays voisins et aux civils qataris.

Ce ne sont pas seulement des politiques qui profiteront à la réputation du Qatar en tant qu’État engagé à respecter ses obligations en matière de droits de l’homme et leader dans le monde arabe. Ce sont des politiques qui résonneront au bénéfice de toute l’humanité et ouvriront la voie à une région plus pacifique et plus respectueuse des droits.

- Sarah Leah Whitson est directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Bâtiments visibles de l’autre côté de la baie à Doha, Qatar, le 5 juin 2017 (Reuters).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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