Pourquoi la politique étrangère néoconservatrice de Hillary aggravera le problème de l’islamophobie
En Khizr et Ghazala Khan (les parents pakistano-américains d’un soldat américain tué en Irak en 2004), le Parti démocrate semble avoir trouvé la riposte parfaite contre Donald Trump. Depuis que ce dernier a proposé d’interdire aux musulmans de pénétrer aux États-Unis, sa campagne a cherché à exploiter la crainte des musulmans, selon lui dangereux et déloyaux. Mais qui pourrait penser cela des Khan agitant la Constitution, un couple si patriotique dont le fils est mort en combattant pour les États-Unis ?
Trump a suggéré que Ghazala Khan ne s’était pas exprimée parce qu’en tant que musulmane, elle n’en avait pas le droit. Mais cela s’est retourné contre lui et l’épisode semble lui avoir nui dans les sondages. Pendant ce temps, Hillary Clinton a pu se poser en tant que candidate de la tolérance et du progrès libéral.
Néanmoins, en y regardant de plus près, les choses ne sont pas aussi simples que cela. On perd aisément de vue pourquoi les Khan ont perdu leur fils en premier lieu. Humayun Khan est mort en menant une guerre illégale en Irak, lancée sur la base de mensonges islamophobes et soutenue par Hillary Clinton, alors sénatrice de New York.
En 2011, Clinton était une figure de proue des partisans d’une action militaire en Libye. Elle a d’abord présenté la campagne de bombardement comme un moyen de créer une zone d’exclusion aérienne afin de protéger les civils. En trois semaines, l’objectif réel était devenu évident : un changement de régime.
Lorsque la nouvelle est tombée que le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi avait été capturé, battu et tué, Clinton a alors plaisanté avec un journaliste de CBS News : « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort ». Comme en Irak, le résultat a été l’effilochage complet du tissu social du pays, apportant l’insécurité et le déplacement massif de population, tandis que le groupe État islamique (EI) a pu exploiter le chaos pour établir une présence.
Il semble évident que Clinton poursuivra sa politique étrangère belliciste si elle est élue. Il est presque certain qu’elle renforcera l’action militaire en Syrie. Environ 600 civils ont déjà été tués par les bombardements de la coalition au cours des deux dernières années, dont 163 enfants.
Avec Clinton à la Maison Blanche, de nombreux autres civils seront tués par l’armée américaine au Moyen-Orient, alors que les causes profondes des conflits ne seront toujours pas traitées. La politique étrangère des États-Unis sera plus alignée avec la droite de Netanyahou en Israël qu’elle ne l’a été au cours des huit dernières années. Clinton est intervenue personnellement pour s’assurer que l’on n’entende aucune critique contre Israël lors de la convention du Parti démocrate.
Le néoconservateur Robert Kagan a dit de Clinton en 2014 : « Je me sens en confiance avec elle sur la politique étrangère… Si elle poursuit la politique que nous pensons qu’elle poursuivra, on aurait pu la qualifier de « néoconservatrice ». Mais ses partisans ne l’appelleront manifestement pas ainsi ; ils choisiront un autre qualificatif. »
En d’autres termes, elle poursuivra une politique étrangère néoconservatrice habillée des éléments de langage de l’intervention humanitaire. Pas étonnant que les néoconservateurs comme Kagan se soient tournés vers elle au lieu de Trump et la soutiennent aussi activement que possible : Kagan a récemment organisé une collecte de fonds pour Clinton à Washington DC.
Ses soutiens néoconservateurs comprennent ce que ses partisans libéraux ne voient pas : en cas de conflit entre ses valeurs libérales et les exigences de l’empire américain, elle choisit toujours le pouvoir sur ses principes. Lorsque de véritables mouvements démocratiques émergent et menacent les intérêts américains, comme au Honduras en 2009 et en Égypte en 2011, Clinton se range du côté de ses amis autoritaires plutôt que des révolutionnaires descendus dans les rues.
Cela a également des implications aux États-Unis. Tant que le gouvernement ne cessera pas de faire la guerre au Moyen-Orient, il sera difficile de contrer les préjugés anti-musulmans parmi les Américains lambda.
Près de la moitié des Américains est persuadée que l’islam est plus susceptible que les autres religions d’encourager ses fidèles à la violence. Cette croyance est fausse : en effet, des sondages internationaux montrent que les Américains sont plus favorables à la violence contre les civils que d’autres peuples dans le monde. L’attitude envers la violence a peu à voir avec la foi.
La croyance en la violence intrinsèque de l’islam se développe parce qu’elle fournit une explication commode aux conflits violents au Moyen-Orient sans avoir à reconnaître le propre rôle du gouvernement américain
Cependant, la croyance en la violence intrinsèque de l’islam se développe parce qu’elle fournit une explication commode et simpliste aux conflits violents au Moyen-Orient sans avoir à reconnaître le propre rôle du gouvernement américain dans la promotion et l’exacerbation de la violence. L’islamophobie de Trump est un symptôme de ce problème plus profond. Toujours est-il que la politique étrangère néoconservatrice de Clinton ne fera qu’aggraver le problème.
Si les États-Unis choisissent de suivre Clinton, l’acceptation des musulmans pourrait dépendre leur capacité à se montrer aussi patriotiques que les Khan. Ceux qui sont en désaccord ou critiquent le gouvernement des États-Unis ou Israël continueront à être traités comme suspects et déloyaux. Vu sous cet angle, que Clinton prenne sous son aile des musulmans patriotiques comme les Khan a, semble-t-il, moins à voir avec les principes libéraux qu’avec la création d’une image de communication visant à détourner les critiques de la politique étrangère américaine.
Ce n’est pas traiter les musulmans comme des concitoyens ; cela revient à les traiter comme des pions sur un échiquier géopolitique. Ces images positives des musulmans peuvent aider à arrêter Trump, mais elles peuvent également être utilisées pour renforcer les structures du racisme anti-musulman dans la politique intérieure et étrangère.
Donc, allez-y et soutenez Clinton pour barrer la route à Trump. Toutefois, ne soyez pas satisfaits d’être de bons libéraux si telle est votre décision. En réalité, ce que vous faites, c’est choisir les bombes de Clinton plutôt que les interdictions de Trump.
Cet article a initialement été publié dans le cadre du Grayzone Project d’Alternet.
- Arun Kundnani est l’auteur de The Muslims are Coming ! Islamophobia, Extremism, and the Domestic War on Terror et maître de conférences à l’Université de New York.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton fait le « V » de la victoire aux côtés des combattants libyens fidèles au Conseil national de transition (CNT) lors de son départ après une visite d’une journée à Tripoli, le 18 octobre 2011 (AFP)
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation
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