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Pourquoi l’ONU a « enterré » une résolution sur la crise environnementale et sanitaire à Gaza

Le blocage d’un vote de l’ONU sur la résolution pour Gaza a été orchestré par les États-Unis et Israël sur la base d’un détail technique qui a été appliqué de manière sélective

Un projet de résolution des Nations unies visant à appeler une équipe d’experts de l’ONU à évaluer l’impact environnemental des opérations militaires menées par Israël dans la bande de Gaza en novembre 2012 et en juillet-août 2014 a été effectivement « enterré » samedi par les États-Unis, le Canada et Israël.

La dernière série de réunions gouvernementales à l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement (UNEA) au cours de la dernière semaine de mai a donné lieu à l’adoption de 25 résolutions, dont une résolution historique appelant les États à appliquer dans leur législation nationale l’intégralité du droit international en matière de protection de l’environnement en temps de guerre.

Toutefois, le projet de résolution pour Gaza appelant à une évaluation sur le terrain par l’ONU des dommages environnementaux causés par les guerres de 2012 et 2014 a été avorté, suscitant une vive controverse.

La pression américano-israélienne

La résolution avait été présentée à l’origine par le Maroc avec le soutien de la Ligue arabe, du Liban, d’Oman, de l’Égypte, de l’Algérie, de l’Afrique du Sud, de Djibouti, du Venezuela et du Nicaragua.

Selon des sources ayant assisté à la rencontre, le débat houleux sur la résolution a été suivi par un tour de passe-passe technique qui a permis aux délégués de déclarer que le vote sur la résolution pour Gaza était impossible.

La résolution d’origine, proposée par le Maroc, a rencontré l’opposition de trois États membres, à savoir les États-Unis, le Canada et Israël, tandis que l’Union européenne a suggéré de supprimer des sections considérables du texte.

Selon un témoignage de Doug Weir, du Toxic Remnants of War Project, qui a assisté aux discussions, l’absence de consensus a contraint le Maroc à retirer son texte, qui a été rapidement remplacé par une résolution technique de cinq paragraphes parrainée par le G7 et la Chine.

« Au cours de négociations houleuses et d’une série de consultations informelles [...], il est devenu évident que les objections d’Israël ne pouvaient être surmontées et que les États-Unis auraient préféré voir cette résolution être enterrée dans le silence », a déclaré Doug Weir.

Un tour de passe-passe

Israël a finalement exigé un vote sur la résolution pour Gaza à la fin du dernier jour des pourparlers de l’ONU, ce qui en a surpris beaucoup ; cependant, cette demande soudaine semble avoir été tactiquement conçue pour bloquer de façon permanente un vote sur la résolution.

« Un vote de procédure a finalement eu lieu quant à la tenue ou non du vote, uniquement pour qu’il apparaisse que les délégations restantes lors de la séance plénière n’ont pas atteint le quorum tel que défini par les Règles de procédure de l’UNEA-2, a expliqué Weir. Un appel final des délégations présentes à 3 heures du matin a confirmé qu’il y avait suffisamment de délégations dans la salle pour se réunir et débattre légalement, mais pas assez pour voter ou prendre des décisions. »

Plusieurs États membres, dont le Pakistan et l’Égypte, ont toutefois « vivement critiqué » le secrétariat de l’UNEA dans la mesure où aucun appel de ce type n’avait été effectué au début de la séance plénière afin de garantir le quorum permettant l’adoption des 25 résolutions précédentes. Ces derniers ont « remis en question avec colère la légitimité et la légalité des résolutions adoptées plus tôt dans la nuit ».

Bien qu’aucun quorum n’ait été prouvé pour ces résolutions, « les interventions de la Chine, de l’Union européenne et de beaucoup d’autres membres ont montré que la majorité des États jugeaient les résolutions légales ».

Néanmoins, selon Doug Weir, si la résolution pour Gaza avait été soumise à un vote, elle aurait probablement été adoptée à la majorité.

Le blocage du vote de l’ONU sur la résolution pour Gaza a été orchestré par les États-Unis et Israël sur la base d’un détail technique qui a été appliqué de manière sélective à la question de Gaza, sans l’avoir été pour les 25 autres résolutions qui avaient déjà été adoptées.

« La résolution a été enterrée pour l’instant, mais la nécessité de soulager cette souffrance ne faiblit pas », a observé Weir.

Une urgence persistante en matière de santé publique

La catastrophe humanitaire et sanitaire qui touche la bande de Gaza en raison de l’impact environnemental des opérations militaires israéliennes a récemment fait l’objet de discussions lors d’un séminaire organisé le 15 avril à Londres par la section d’épidémiologie et de santé publique de la Royal Society of Medicine.

Sarah Phillips, chirurgienne orthopédique au Kings College Hospital qui travaille avec un organisme de bienfaisance médical à Gaza, a déclaré lors de la rencontre que l’approvisionnement en eau de Gaza est tellement contaminé en raison de la destruction de l’infrastructure de traitement des eaux usées et du blocus israélien que les hôpitaux doivent utiliser de l’eau de mer pour nettoyer les instruments chirurgicaux. « Cela corrode tout », a-t-elle déploré.

Le dernier rapport sur la situation de Gaza de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) décrit la crise persistante « de l’eau et de l’assainissement [...] L’extraction actuelle de l’eau de l’aquifère pour répondre aux besoins globaux est bien supérieure au réapprovisionnement. Comme le niveau de la nappe phréatique chute par conséquent, l’eau de mer s’infiltre depuis la mer Méditerranée voisine. Aujourd’hui, plus de 90 % de l’eau est impropre à la consommation humaine. »

Seulement un quart des eaux usées peut être traité et utilisé dans les espaces verts et pour certaines activités d’agriculture, a indiqué le rapport. Environ 90 000 mètres cubes d’eaux usées brutes ou partiellement traitées sont libérés tous les jours dans la mer Méditerranée, « ce qui est source de pollution, de risques pour la santé publique et de problèmes pour l’industrie de la pêche ».

L’UNRWA reproche au « blocus de Gaza et [aux] cycles répétés de conflit armé, notamment les dévastations sans précédent causées par le dernier conflit en 2014 », la destruction d’«une grande partie de l’infrastructure de l’enclave, dont les réseaux hydrauliques et de traitement des eaux usées ».

Le blocus qui dure depuis dix ans a empêché en particulier toute perspective d’un rétablissement significatif face à cette catastrophe écologique, qui s’avère être une violation de la résolution même de l’UNEA sur les conflits armés qui vient d’être adoptée. Les restrictions importantes sur la circulation des biens et des personnes à Gaza et en dehors ont « écrasé l’économie de l’enclave basée à l’origine sur le commerce » et ont entraîné « une montée en flèche du taux de chômage, de l’extrême pauvreté et de l’insécurité alimentaire [tout en contribuant] à une situation de dépression, de désespoir et d’isolement, en particulier chez les jeunes ».

- Nafeez Ahmed est journaliste d’investigation et auteur à succès. Titulaire d’un doctorat, il s’est spécialisé dans les questions de sécurité internationale, examinant ce qu’il appelle les « crises de civilisation ». Il a obtenu une récompense de la part de l’organisation Project Censored dans la catégorie « Outstanding Investigative Journalism » (« journalisme d’investigation d’exception ») pour un reportage d’investigation, publié par le journal The Guardian, sur l’intersection des crises globales de nature écologique, énergétique et économique et des conflits et géopolitiques régionales. Il a également écrit pour The IndependentSydney Morning HeraldThe AgeThe ScotsmanForeign PolicyThe AtlanticQuartzProspectNew StatesmanLe Monde diplomatique et New InternationalistSon travail sur les causes profondes et les opérations secrètes liées au terrorisme international a officiellement contribué à l’établissement de la Commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis du 11 septembre 2001 et à l’enquête du Coroner sur les attentats du 7 juillet 2005 à Londres.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un garçon palestinien fouille un tas d’ordures à la recherche de déchets recyclables et d’autres articles qu’il espère pouvoir vendre, dans une décharge d’ordures à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 16 avril 2015 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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