Pourquoi une telle tension entre Paris et Téhéran ?
Une enquête des services secrets français a démontré la responsabilité du ministère du Renseignement de la République islamique dans l’attentat déjoué de Villepinte contre le rassemblement annuel d’un groupe d’opposition iranienne en France, l’Organisation des moudjahidine du peuple iranien (OMPI).
Trois personnes, dont un diplomate iranien, avaient été arrêtées cet été dans le cadre de l’enquête. La France a fait part de ses conclusions à l’Iran, sans recevoir de réponse satisfaisante ou crédible de Téhéran. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a insisté sur la « nécessité d’une approche exigeante » dans les relations de Paris avec Téhéran.
La France avait-elle vraiment besoin de cette conclusion d’enquête pour se montrer exigeante envers les ayatollahs ?
Au moment où le ton monte entre Paris et Téhéran, les zones d’ombre s’étendent et les interrogations se multiplient. La France avait-elle vraiment besoin de cette conclusion d’enquête pour se montrer exigeante envers les ayatollahs, hautement contestés de l’intérieur par les Iraniens et de l’extérieur par la communauté internationale ?
Les quatre dernières décennies de crises et de chaos perpétrés jour après jour par les ayatollahs de Téhéran n’étaient pas suffisantes pour que les dirigeants politiques français se méfient de la République islamique, ce régime qui n’est ni républicain ni islamique ?
Depuis le lendemain de la révolution iranienne de 1979, les dirigeants de ce pays ont prouvé leur capacité d’imposer leurs volontés par la terreur.
De l’attentat de Buenos Aires en 1994, dont Téhéran est formellement accusé d’être responsable, jusqu’à l’implication ouverte de l’armée révolutionnaire iranienne dans la guerre au Yémen, en passant par le Liban, l’Irak, la Syrie… la République islamique s’est systématiquement mêlée des conflits régionaux, commanditant des activités redoutables contre ses ennemis de l’extérieur, et donnant libre cours à la répression de ses opposants, à l’intérieur du pays. Pourtant, la France n’a jamais critiqué un tant soit peu les ayatollahs.
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Or, qu’y a-t-il de nouveau dans cette enquête pour qu’aujourd’hui la France hausse enfin le ton contre les ayatollahs ?
Il est évident que l’Organisation des moudjahidine du peuple visée par l’attentat de Villepinte ne constitue pas la cause principale de cette tension. Cette organisation, qui était déjà en lutte armée contre le chah, n’a pas trouvé sa place dans le régime postrévolutionnaire des ayatollahs et, très vite, est entrée en guerre contre eux, perdant ainsi quelque 120 000 de ses membres et sympathisants.
L’asymétrie des rapports de force entre le régime iranien et les moudjahidine a poussé ces derniers à faire des alliances redoutables avec les dirigeants les plus corrompus de ce monde – entre autres, Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi –, se livrant ainsi à des activités violentes, à la hauteur de celles du régime lui-même.
Ces activités ont largement sapé la popularité des moudjahidine parmi les Iraniens. Elles ont également eu pour conséquence de mettre leur nom sur la liste américaine des organisations terroristes, une inscription maintenue jusqu’en 2014.
La France n’a jamais voulu accorder la moindre reconnaissance aux contestations légitimes des Iraniens qui, depuis janvier dernier et dans plus de cent villes du pays, se sont pacifiquement opposés à la politique destructrice des ayatollahs
Depuis, les moudjahidine ont essayé de se racheter à tout prix une nouvelle légitimité et ont réussi à se faire passer auprès de certains politiciens américains pour une alternative valable face au régime actuel de Téhéran. Pourtant, en l’absence d’assise populaire en Iran, les moudjahidine restent un groupe d’opposition marginal, trop marginal pour entraver la bonne entente entre Paris et Téhéran.
Des va-nu-pieds manipulés
Sur un autre registre, la France n’a jamais voulu accorder la moindre reconnaissance aux contestations légitimes des Iraniens qui, depuis janvier dernier et dans plus de cent villes du pays, se sont pacifiquement opposés à la politique destructrice des ayatollahs sur le plan national et régional.
Même les médias français se sont gardés de couvrir les contestations pacifiques des Iraniens, sans parler des experts de tous bords qui ont systématiquement jeté un voile de discrédit sur l’identité et, par conséquent, la légitimité des opposants iraniens. Ceux-ci ont été qualifiés de va-nu-pieds, manipulés et, pire, de faire partie des moudjahidine.
Après la sortie des Américains de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien, les Français ont tenté en vain de sauver l’accord et de résister aux sanctions économiques imposées par les Américains.
Ces derniers, ayant largement les moyens nécessaires pour faire valoir leur politique, ont menacé de boycotter toute entreprise qui continuera à travailler avec l’Iran, réussissant à défaire tous les contrats commerciaux avec ce pays.
Même la fraîche décision de la Cour internationale de justice, incitant Washington à mettre fin aux sanctions contre l’Iran pour les biens « à des fins humanitaires », ne peut guère ramener les entreprises européennes en Iran.
Les sanctions américaines vont donc être officialisées le 4 novembre prochain et, mis à part des médicaments et des produits alimentaires, aucun autre type de commerce avec l’Iran ne sera plus envisageable pour les Européens.
Sous les sanctions, les attractions du marché iranien ne risquent plus d’aveugler les dirigeants des pays européens sur la répression des opposants, sur l’empiètement des droits fondamentaux des Iraniens et, surtout, sur les activités redoutables des agents du régime islamique à l’étranger.
Peut-être que désormais, pourrait-on espérer que la France se montrera plus critique envers cette République islamique aujourd’hui certes plus affaiblie que jamais, mais qui continue à réprimer son peuple en toute impunité.
- Mahnaz Shirali est sociologue et politologue, spécialiste de l’Iran. Elle est directrice d’études à l’Institut de science et de théologie des religions de Paris (ISTR-ICP). Elle enseigne également à Sciences Po Paris. Elle est l’auteure de plusieurs livres sur l’Iran et l’islam, notamment : La malédiction du religieux, la défaite de la pensée démocratique en Iran (2012).
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Photo : le président français Emmanuel Macron (à droite) rencontre le président iranien Hassan Rohani (à gauche) en marge de l'Assemblée générale des Nations unies au siège de l'ONU, le 25 septembre 2018 à New York (AFP).
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