Que disent de l’État islamique les pactes du prophète Mohammed avec les chrétiens ?
Imaginez : un chef musulman tend la main à un groupe de chrétiens et les invite dans son pays. Les chrétiens acceptent volontiers l’invitation, tandis que le chef musulman prépare son peuple à leur arrivée. C’est la première fois que les deux communautés se rencontrent dans une délégation officielle. Les affaires d’État, la politique et la religion sont les sujets de discussion. Les deux groupes sont d’accord sur la plupart des questions mais conviennent également d’être en désaccord sur des questions théologiques. Si une expression pouvait décrire au mieux leur rencontre, ce serait « respect mutuel ».
À la fin de leurs pourparlers, les chrétiens disent aux musulmans : « Il est temps pour nous de prier ». Le problème pour les chrétiens est qu’il n’y a pas d’église à proximité pour pratiquer leur culte. Au lieu de laisser les chrétiens prier dans les rues sales, le chef musulman dit aux chrétiens : « Vous êtes des adeptes du Dieu unique et véritable ; s’il vous plaît, venez prier dans ma mosquée. Nous sommes tous frères en humanité. » Les chrétiens conviennent d’utiliser l’« espace islamique » comme le leur. Un pont entre ces communautés religieuses est établi au nom de la paix et de la bienveillance.
Cette histoire n’est pas un conte de fées. C’est un fait historique (même si j’ai imaginé des citations pour illustrer la façon dont l’interaction pourrait s’être déroulée). Le chef musulman dans cette histoire est le prophète Mohammed et les chrétiens sont originaires de Najran, l’actuel Yémen. L’événement en question a eu lieu à Médine, en 631. Ce moment constitue l’un des premiers exemples de dialogue islamo-chrétien, mais surtout l’un des premiers actes de pluralisme religieux dans l’histoire de l’islam.
Revenons maintenant à l’an 2016, à Damas, en Syrie. La ville, comme une grande partie du Moyen-Orient, est plongée dans les ténèbres. Le pasteur Edward Awabdeh dirige une prière dans une église malgré les menaces prononcées contre sa vie par le groupe militant autoproclamé « État islamique ». Le pasteur Awabdeh entretient la foi chrétienne, bien que beaucoup de ses coreligionnaires aient fui un pays désormais classé comme étant le cinquième pays le plus dangereux au monde pour les chrétiens.
Le groupe militant persécute régulièrement les minorités religieuses dans les vastes étendues de territoire syrien qu’il a conquises et son but ultime est de détruire toute trace de christianisme au Moyen-Orient.
Mais pour dire les choses sans ménagement, les enlèvements, meurtres, décapitations et destructions perpétrés quotidiennement par les fanatiques de l’État islamique contre les chrétiens vulnérables du Moyen-Orient entrent en contradiction directe avec la vision que le prophète Mohammed avait d’un État islamique.
D’après les pactes du prophète Mohammed avec les chrétiens de son époque, les chrétiens vivant au sein de l’oumma (terme arabe pour désigner la communauté islamique) étaient protégés et défendus. Ces pactes ont été rédigés entre 622 et 632 et ont été conçus pour protéger les communautés chrétiennes pacifiques, pas pour les attaquer.
Ils ont été localisés dans des monastères obscurs du monde entier et dans des livres épuisés depuis des siècles. John Andrew Morrow, islamologue et auteur de Covenants of the Prophet Muhammad with the Christians of His Time (Angelico Press, 2013), est responsable de la traduction des documents et de leur distribution à un large public. Les chercheurs comme moi se tournent désormais vers ces derniers dans l’espoir de contrer la violence généralisée contre les chrétiens au Moyen-Orient.
Dans « Le Pacte du prophète avec les chrétiens de Najran », le prophète s’est montré catégorique sur la question de la liberté totale de religion. Il ne reléguait pas les chrétiens au statut de citoyens de seconde classe. Au contraire, le prophète les traitait comme des citoyens égaux de l’État islamique.
Mohammed a ainsi écrit ces mots : « [Je déclare] protéger par mes cavaliers, mes fantassins, mes armées, mes ressources et mes partisans musulmans, les chrétiens jusqu’aux plus éloignés [...] Je m’engage à les appuyer, à prendre sous ma protection leurs personnes, leurs églises, leurs chapelles, leurs oratoires, les établissements de leurs moines et les demeures de leurs anachorètes partout où ils seront [...] Je protégerai leur religion et leur Église [...] [Je m’engage] à les préserver de tout mal et de tout dommage, a les exempter de toute réquisition et de toute obligation onéreuse, et à les protéger par moi-même, par mes auxiliaires, mes suivants et ma nation contre tout ennemi, qui m’en voudrait à moi, et à eux. »
Le prophète Mohammed l’indique clairement : les chrétiens doivent être libres d’être chrétiens lorsqu’ils vivent dans l’oumma. Ceci fait partie intégrante de tout « État islamique ». Des passages similaires voire identiques figurent dans d’autres pactes du prophète avec les chrétiens qui vivaient en Égypte, en Perse et à Jérusalem.
« Le Pacte du prophète avec les chrétiens de Najran » va au-delà du simple fait de tolérer ou de soutenir les chrétiens dans la pratique de leur religion. Mohammed a stipulé que les musulmans avaient le devoir d’aider les chrétiens et de prendre soin d’eux.
Dans un récent article examiné par des pairs publié dans la revue académique Religions, je soutiens que le principe du pluralisme religieux adopté dans les pactes par Mohammed peut et doit être utilisé pour améliorer encore les relations entre les musulmans et les chrétiens non seulement dans les « États islamiques », mais aussi dans le monde entier.
Les pactes révèlent que Mohammed préfère le pluralisme religieux à la simple idée de tolérance. Il a appelé les musulmans à participer énergiquement à la diversité à la fois culturelle et religieuse et a appelé ses fidèles à adhérer à des engagements et à des accords dépassant le clivage religieux. En fin de compte, les pactes montrent que le prophète de l’islam a encouragé les membres de l’oumma à célébrer la différence au lieu de la dénoncer. La tolérance est après tout une fondation trop mince pour une communauté faite de différence et de proximité religieuses.
Les pactes du prophète Mohammed avec les chrétiens de son époque montrent clairement que les « États islamiques » modernes qui maltraitent les chrétiens ne peuvent être justifiés à la lumière des commandements et de la vision du prophète Mohammed. En tenant compte du fait que le traitement des chrétiens par l’État islamique est si sévère qu’il a été qualifié de « génocide » par les États-Unis, il est difficile d’harmoniser les visions de Mohammed avec les actes de l’État islamique.
L’héritage chrétien fait partie du tissu social du Moyen-Orient et en a toujours fait partie. Le traitement des chrétiens par le prophète Mohammed en est un témoignage. Ses pactes peuvent être considérés comme une sorte de médicament pour guérir les maladies que sont l’islamophobie et l’extrémisme islamique. Il est temps pour l’État islamique et ses sympathisants de prêter attention à cet appel.
- Craig Considine, titulaire d’un doctorat du Trinity College de Dublin, est maître de conférences au département de sociologie de l’Université Rice de Houston, au Texas (États-Unis). Ses recherches portent notamment sur les relations islamo-chrétiennes, l’islamophobie, le prophète Mohammed et la relation entre l’islam et l’identité américaine. Son site web se trouve à l’adresse craigconsidinetcd.com. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @CraigCons
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des pèlerins musulmans marchent à l’extérieur de la mosquée du prophète Mohammed, dans la ville sainte de Médine (Arabie saoudite), le 13 décembre 2008 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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