Souveraineté contre argent ? L'accord entre l’Arabie saoudite et les Maldives fait des vagues
C'est l'une des destinations touristiques les plus en vue au monde, avec chaque année plus d'un million d'étrangers en petite tenue jouissant de ses scintillantes plages de sable blanc et de ses eaux cristallines.
Plus tard ce mois-ci, l'État des Maldives, dans l'océan Indien – particulièrement populaire auprès des jeunes mariés –, devrait accueillir un visiteur très différent : le roi Salmane ben Abdelaziz d'Arabie Saoudite, qui vient pour des discussions officielles et des vacances.
Au sommet de l'ordre du jour des pourparlers avec le gouvernement à Malé, la capitale exiguë des Maldives, pourrait bien se trouver un projet d'investissement saoudien de 10 milliards de dollars qui, rapporte-t-on, inclut l'achat ou le bail emphytéotique par Ryad de dix-neuf atolls coralliens de l’île.
Bien qu’il ait refusé de révéler les détails de l’accord, le président des Maldives Abdulla Yameen a déclaré que le projet comprendrait « des sports nautiques internationaux, un développement mixte, un développement résidentiel haut de gamme, de nombreuses stations touristiques, de nombreux aéroports et d'autres industries ».
Le Parti démocrate des Maldives (MDP), un parti d’opposition dirigé par l'ancien président Mohamed Nasheed – qui vit actuellement en exil en Grande-Bretagne – a exprimé son indignation devant de tels plans.
« Aucune information sur le projet proposé n'a été partagée avec le public », a déclaré le MDP dans un communiqué. « Les plans permettraient à une puissance étrangère de contrôler l’un des 26 atolls du pays. Cela s’apparente à une forme insidieuse de colonialisme. »
On estime que 4 000 personnes vivraient sous la menace d’un déplacement forcé si la vente des atolls aux Saoudiens se poursuivait, ce qui est source d’inquiétude parmi la population. Récemment, une manifestation a été dissoute par la police, qui a également perquisitionné les domiciles de personnes accusées d’avoir planifié une manifestation pendant la visite du monarque saoudien.
Le pays le plus plat de la terre
On craint également que le développement, avec ses travaux de construction et les activités de dragage à grande échelle, menace de provoquer des dommages irréparables à ce qui constitue l'une des régions écologiques les plus vierges mais aussi les plus vulnérables du monde.
Les Maldives, composées de plus de 1 200 îles coralliennes, est le pays le plus plat de la terre. Les scientifiques avertissent qu’avec le changement climatique et l'élévation du niveau de la mer, il existe une possibilité très réelle que la majorité de la superficie de l'île soit recouverte par les eaux d'ici à la fin du siècle.
Pour faire connaître les problèmes causés par le changement climatique, l'ancien président Mohamed Nasheed avait un jour organisé une réunion gouvernementale sous-marine
L'ancien président Nasheed – qui a été renversé en 2012 dans le cadre de ce qu’il dénonce comme un coup d'État et qui a été condamné par contumace à treize ans de prison – a été un fervent partisan de la lutte contre le changement climatique pendant son mandat, appelant la communauté internationale à sauvegarder son pays.
Pour faire connaître les problèmes causés par le changement climatique – et les dommages causés aux récifs coralliens des Maldives par le réchauffement des mers –, Nasheed avait un jour organisé une réunion gouvernementale sous-marine.
Abdulla Yameen, le président actuel – qui a fermement démenti les allégations de corruption récemment émises à l’encontre de son gouvernement par la chaîne qatarie Al Jazeera –, insiste sur la nécessité de la croissance économique et considère l’immense investissement saoudien comme une clé de prospérité future.
« Nous n'avons pas besoin de réunions gouvernementales sous-marines », a déclaré le gouvernement. « Nous avons besoin de développement. »
Des liens toujours plus étroits
Les liens entre l’Arabie saoudite et les Maldives – un pays majoritairement musulman (sunnite) avec une population d'un peu moins de 400 000 personnes, dont environ 100 000 travailleurs étrangers – se sont renforcés ces dernières années.
L'opposition du pays affirme que les projets de développement de Ryad, qui s’élèvent à plusieurs milliards de dollars, pourraient s’expliquer en partie par un plan saoudien d’établir un relais et une zone économique spéciale, agrémentés d’installations portuaires, pour les exportations de pétrole et de gaz du royaume vers l'Asie, en particulier vers la Chine.
Les Maldives, qui sont fortement dépendantes du tourisme et importent 90 % de leur nourriture, connaissent de graves problèmes économiques. En 2013, les Saoudiens leur ont accordé un « prêt bonifié » de 300 millions de dollars.
Aux Maldives, l’islam intègre par tradition des éléments de soufisme et d'autres religions. Mais ces dernières années, une forme plus stricte de « wahhabisme » de style saoudien a commencé à s'imposer
Aux Maldives, l’islam intègre par tradition des éléments de soufisme et d'autres religions. Mais ces dernières années, une forme plus stricte de « wahhabisme » de style saoudien a commencé à s'imposer. On craint qu'un certain nombre de Maldiviens aient rejoint le groupe État islamique (EI) en Syrie et en Irak.
À la fin de l’année 2015, une femme ayant avoué avoir commis un adultère a été, pour la première fois aux Maldives, condamnée à mort par lapidation.
Les Saoudiens se sont engagés à construire ce qu'ils décrivent comme dix mosquées « de classe mondiale » dans l'archipel et ont fait don de 100 000 dollars pour des bourses d'études en Arabie saoudite.
Le président Yameen a effectué plusieurs visites en Arabie saoudite. En 2015, les Saoudiens ont ouvert une ambassade aux Maldives. Début 2016, le gouvernement de Malé a rompu ses liens diplomatiques avec l'Iran, affirmant que les politiques de Téhéran au Moyen-Orient étaient préjudiciables à la paix dans l'océan Indien.
Début 2016, le gouvernement de Malé a rompu ses liens diplomatiques avec l'Iran, affirmant que les politiques de Téhéran au Moyen-Orient étaient préjudiciables à la paix dans l'océan Indien
Un nombre croissant de Saoudiens visitent les Maldives. Début 2014, Salmane, qui n’était alors que prince, aurait dépensé 30 millions de dollars pour s’arroger la jouissance de trois stations balnéaires des Maldives pendant un mois, au grand dam des touristes dont les vacances auraient été annulées.
Le vice-prince héritier Mohammed ben Salmane, le puissant ministre de la Défense saoudien, a organisé une fête d'anniversaire somptueuse aux Maldives à la mi-2015. La chanteuse Shakira et le rappeur Pitbull auraient été de la partie.
Les liens croissants entre Riyad et Malé ont suscité des inquiétudes dans la région, en particulier en Inde.
L'année dernière, le groupe Binladin, le conglomérat de construction saoudien en difficulté, a obtenu – pour une somme non divulguée – un contrat de construction d’un nouvel aéroport international aux Maldives. Un accord antérieur avec une entreprise indienne a par conséquent été résilié ; il est probable que les Maldives aient à débourser des millions de dollars de compensation.
Poussée vers l'Asie
La visite du roi saoudien conclura ce qui a été décrit comme la plus grande initiative diplomatique jamais effectuée par Riyad en Asie, avec des arrêts en Malaisie, à Brunei, en Indonésie, au Japon et en Chine, avant de se poser sur les îles coralliennes de l'océan Indien.
Les analystes estiment que ce voyage en Asie vise à étendre l'influence saoudienne, à diversifier l'économie du royaume loin du pétrole et du gaz, et à investir dans la région.
Les dirigeants saoudiens n’ont pas coutume de voyager léger. L'entourage royal – estimé à 1 500 personnes – comprend vingt-cinq princes et dix ministres, embarqués sur six avions de transport de passagers Boeing, plus un avion de transport militaire pour les 500 tonnes de bagages.
Cette logistique extravagante a fait grand bruit, certains médias rapportant que des hôtels et compagnies de limousine des pays concernés avaient du mal à répondre à la demande.
Lorsque la délégation saoudienne effectuera son dernier arrêt aux Maldives, le gouvernement de Malé espèrera un coup de pouce plus que nécessaire pour booster son économie.
L'opposition du pays met en garde toutefois contre une perte imminente de souveraineté et davantage de problèmes environnementaux dans un pays considéré par beaucoup comme un paradis touristique.
- Kieran Cooke, ancien correspondant à l’étranger pour la BBC et le Financial Times, collabore toujours avec la BBC et de nombreux autres journaux internationaux et radios.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : l’île de Cocoa aux Maldives (Wikimedia).
Traduit de l’anglais (original).
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