Trump ou Clinton ? Un énorme problème pour l’Égypte
Pour les Égyptiens qui croient en une révolution – celle laminée en ce moment même par une contre-révolution emmenée par Sissi, les élections présidentielles américaines sont un enjeu crucial.
S’il devait les remporter, Donald Trump ferait perdre toute crédibilité à la démocratie et au droit international sur la scène mondiale.
Vous croyez, comme l’Égyptien lambda, que l’élection n’aura guère d’impact sur l’Égypte ? Vous pensez que la situation ne pourra jamais être pire que sous une présidence Sissi ? Vous vous trompez !
Vous êtes Égyptien et vous estimez que cette élection n’aura qu’un faible impact sur l’Égypte ? Ouvrez grand les yeux et les oreilles, parce que le gagnant des élections, quel qu’il soit, aura un impact considérable sur l’Égypte. Vous pensez que la situation ne pourra jamais être pire que sous une présidence Sissi ? Vous vous trompez !
Une présidence Trump, sans l’ombre d’un doute, fera imploser l’ordre mondial d’une façon dont peu de gens ont une idée précise à l’heure actuelle. Pire encore, pour une Égypte à fleur de peau, une victoire d’Hillary n’apportera pas de grands changements dans le delta égyptien.
Ainsi, l’arithmétique politique américaine, qui va bientôt connaître sa résolution, n’offre le choix qu’entre une catastrophe absolue pour tout de suite, ou un délitement progressif.
Quoi qu’il en soit, d’ici au jour du scrutin américain, des millions d’Égyptiens scanderont « Notre patience a des limites », comme le chante Oum Kalthoum, diva légendaire de la musique arabe.
« Un type fantastique »
La patience envers Abdel Fattah al-Sissi, qui incarne la philosophie de l’ancrage de l’establishment militaire dans toutes les affaires civiles, n’est pas une marchandise en quantité inépuisable. Ce contrôle draconien rend cette nation particulièrement vulnérable aux acteurs politiques externes comme Trump.
L’observateur qui vous écrit a un pied au Caire et un autre dans l’État-empire américain. Il est donc particulièrement bien placé pour voir arriver une catastrophe annoncée. À quelques heures d’intervalle, la semaine dernière, deux journaux américains, USA Today et le Washington Post, ont pris des positions qui ne sont certes pas franchement pro-Hillary, mais leurs mises en garde contre son narcissique adversaire sont bien plus vives : il représente un danger mortel.
« Le comité de rédaction, par consensus unanime, estime que Donald Trump est impropre à la présidence ». USA Today n’a pas mâché ses mots. « Trump a démontré qu’il ne possède ni le tempérament, ni les connaissances, ni la stabilité psychologique, ni l’honnêteté que l’Amérique a besoin de trouver chez ses présidents », a ajouté le journal.
Que cette dénonciation musclée s’applique aussi justement à Sissi n’est qu’une délicieuse cerise sur le gâteau. Or, les déclarations de ce genre, loin d’être l’exception, sont la règle. En voici un autre exemple, dont la véhémence n’a rien à envier au précédent : « Un président Trump risquerait de bouleverser unilatéralement les fondements même de ce pays. En reconfigurant les relations des États-Unis avec certaines nations du monde, il risquerait aussi de remodeler le monde de fond en comble », a lancé le Washington Post.
Les analystes, ainsi que des millions d’Américains, déplorent le QI politique atrophié d’un homme dépourvu d’expérience politique, tant internationale que nationale. Trump affiche toujours son profond attachement au racisme comme au sexisme, et il a clairement l’intention d’enrichir toujours plus les riches, ce qui est contraire au rêve américain.
Par rapport à l’Égypte, l’opinion qu’a Trump de Sissi ne saurait être plus claire : « C’est un type fantastique... Le courant passe bien entre nous, nous nous sommes très bien entendus ». Que ce type « fantastique » ait mis bien plus de 6 000 Égyptiens derrière les barreaux pour délit d’opinion politique, et qu’il en ait fait disparaître plus de 1 500, ne constituent visiblement pas des raisons rédhibitoires d’effaroucher un homme qui ne se contente pas de flirter avec le fascisme, mais le met en pratique.
La géopolitique à la Trump promeut Sissi au rang d’« énorme » (il met cet adjectif à toutes les sauces) allié dans la lutte contre l’État islamique (EI) et d’ami d’Israël. Tout le reste compte pour du beurre. Problème : il se trouve que tout le reste correspond aux aspirations du peuple égyptien.
Les meilleurs amis du monde
Les adulateurs de Sissi feraient bien de se souvenir que c’est ce même Trump qui, au début de sa campagne, a appelé à « interdire strictement à tous les musulmans de mettre les pieds aux États-Unis ».
Que ce même Trump, et son goût prononcé pour l’extrême-droite, se dise favorable au régime de Sissi (malgré tous ce qu’on peut reprocher à ce despote), tout en démontrant une telle suspicion envers l’ensemble des musulmans, est typique de son paradigme, pétri de contradictions, d’illogisme et de racisme.
Fondamentalement, l’homme d’affaires Donald Trump est le champion des tours de passe-passe : s’il devait arriver au pouvoir, ce qu'il promet à Sissi risque de s’avérer fort différent de ce qu’il lui servira.
Néanmoins, on se doute bien que deux hommes qui ont une vision aussi peu nuancée du monde et n’aiment rien tant que s’écouter parler sont en bonne voie pour s’entendre comme larrons en foire. Il est tout à fait cohérent que ces deux amis s’entichent de Vladimir Poutine, lui qui joue à intimider le reste du monde, et le présentent comme le meilleur modèle à suivre.
Pensez-vous que ce couple imparfaitement assorti ne posera pas de problèmes à l’Égypte ? Imaginez un instant que survienne une attaque terroriste majeure au Caire, en plein milieu d’une présidence Trump et quelques jours avant des élections en Égypte. Il s’ensuivrait immédiatement une réaction implacable au terrorisme, aux mains de l’administration ultra-belliciste de Sissi.
Il n’est absolument pas irréaliste d’imaginer que des milliers d’autres Égyptiens innocents soient alors emprisonnés, que des centaines d’autres encore disparaissent et que des dizaines soient assassinés – et que Trump monte à la tribune pour féliciter son allié au Caire et applaudir à de telles exactions.
Sissi n’attend pas après Trump pour recevoir sa bénédiction pendant qu’il s’engage plus avant sur la voie d’une dictature toujours plus draconienne. Cependant, puisque Trump – la star de The Apprentice devenue apprenti sorcier politique – n’a aucune idée du pouvoir déstabilisateur des mesures drastiques de Sissi, le binôme Trump-Sissi s’avèrerait catastrophique aussi bien pour les Égyptiens que les Américains.
Politique du bâton – et encore du bâton
Dans un Moyen-Orient et une Afrique du Nord où le prochain conflit est, de toute évidence, tout prêt d’éclater, une présidence Trump ne ferait que radicaliser une Égypte hautement inflammable.
Cette nation a connu, à seulement quarante-huit heures d’intervalle, une nouvelle tentative d’assassinat contre un important procureur général adjoint à la nouvelle ville du Caire et l’assassinat par balles de cinq conscrits des forces centrales de sécurité.
De telles attaques ne sont que la partie émergée d’un iceberg en train de fondre. Quand il s’agit de trouver des solutions contre le terrorisme, Trump et Sissi, jumeaux idéologiques, sont convaincus qu’on doit répondre au bâton par des coups de bâton. Ils ne peuvent concevoir une autre riposte, et ils en rajoutent souvent un peu, avec une saine pincée de torture, dûment sanctionnée par la communauté internationale
Ces postures aussi simplistes ont eu pour seul résultat d’exacerber le terrorisme sous le régime de Sissi. Mais le plus inquiétant, c’est que l’arithmétique de Trump considèrerait cela comme simple dommage collatéral, tout à fait acceptable – tant que l’instabilité reste confinée à la région du Nil. Seulement voilà, elle s’exportera à coup sûr.
L’option la moins pire ?
Une présidence Hillary Clinton apporterait logique politique et savoir-faire (en français dans le texte) international, le tout étayé par des décennies d’expérience politique. Pourtant, cela n’augure pas nécessairement d’un avenir plus radieux pour les droits de l'homme en Égypte, encore moins pour la démocratie.
Si l’expérience était une table, ses pieds politiques s’appelleraient opportunisme et cynisme. Clinton a bien compris qu’elle doit continuer à être perçue comme pro-israélienne : elle n’a donc eu aucun scrupule à rencontrer Sissi lors de la récente visite de ce dernier aux Nations unies.
Il faut savoir que la protection de la frontière entre Israël et l’Égypte est affaire de vie ou de mort politique pour un candidat à la présidence des États-Unis.
Qu’on ne s’y trompe pas, les avantages politiciens de cette posture l’emportent sur sa répugnance à être perçue comme l’alliée d’un oligarque militaire – responsable, directement ou indirectement, du meurtre de plus de 1 800 Égyptiens, comme il y a quatorze mois, et des tortures et viols de milliers d’autres dans les geôles de ce pays.
Quand Clinton a exprimé son intention de « rencontrer l’homme fort de l’Égypte », elle a été « fustigée » par les universitaires et militants qui se sont élevés contre une rencontre qui ne manquera pas d’être perçue comme « une marque d’approbation en Égypte et dans le monde entier ». Elle n’en a pas moins décidé de maintenir son tête-à-tête avec lui.
On a vu Clinton opiner du chef pendant qu’un interprète simultané lui traduisait l’évocation par Sissi d’« une Égypte activement engagée sur la voie d’une nouvelle société civile, respectueuse de la primauté du droit, des droits humains et des libertés » – quelques jours à peine après le gel par l’Égypte des avoirs de deux défenseurs des droits de premier plan. L’image qu’elle a ainsi produite relève d’une incommensurable sottise. Hillary ne saurait donc être prise pour autre chose qu’une partisane du statu quo dans les relations égypto-américaines.
Ceux qui font de Clinton une femme d’État de grande envergure ont bien raison – mais pas tout le temps. Elle a prêté l’oreille aux apologistes des Frères musulmans, comme Shadi Hamid, quelques jours après la révolution. Il lui a alors relayé le message des Frères musulmans : « En aucun cas nous ne souhaitons gouverner ». Le reste appartient à l’histoire – une série de bains de sang.
Quelques années plus tard, la même Hillary Clinton admettrait pendant la campagne électorale actuelle qu’elle avait « formulé des mises en garde contre le renversement de Moubarak puisque nous assistons maintenant au retour de ce qu’il faut bien taxer de dictature militaire ». L’ironie c’est que cette déclaration lui vaudra la méfiance du camp de Sissi mais aussi du parti révolutionnaire.
Encore pire
Les Égyptiens ont l’habitude d’avoir à choisir en Charybde et Scylla. En 2012, ils ont eu le choix entre le militaire Ahmed Shafik et le chef de la Fraternité, Mohamed Morsi. La comparaison s’arrête là cependant.
Si Trump devait siéger à la Maison Blanche pendant quatre ans, il s’agirait du « règne du plus imprévisible et saugrenu de tous les présidents de l’histoire des États-Unis », lisait-on la semaine dernière dans l’éditorial du Wall Street Journal. Trump serait également le seul à pouvoir promener son doigt sur le bouton de l’arme nucléaire – dans un match de foot dont l’enjeu serait l’anéantissement du monde.
La bataille pour la Maison Blanche n’a rien à voir avec la Belle et la Bête des studios Disney. Ni Clinton ni Trump ne seront en capacité de forcer la main de Sissi et, très franchement, l’Égypte n’a rien d’une priorité – à moins que le modèle Sissi se mette à imploser.
Pourtant, en fin de compte, une victoire de Trump sera considérée comme un coup dur d’une ampleur gigantesque par une opposition égyptienne qui se renforce lentement mais sûrement.
- Amr Khalifa est journaliste indépendant et analyste. Il a récemment été publié dans Ahram Online, Mada Masr, The New Arab, Muftah et Daily News Egypt. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cairo67unedited.
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Traduit de l’anglais (original) par [email protected].
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