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Y-a-t-il une part de vérité dans les rumeurs de dissension au sein du palais royal saoudien ?

Il est peu probable que les informations faisant état d’un fossé grandissant entre le roi Salmane et son fils soient exactes. Il est même dans l’intérêt de MBS de faire circuler de telles rumeurs
Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane s’entretient avec le roi Salmane à Riyad en décembre (archive/SPA/AFP)

Les rumeurs d’une dissension entre le roi Salmane et son fils, le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS), ne sont pas fondées et sont attribuées à des sources anonymes.

Récemment, un article de The Guardian laissait entendre que le roi Salmane, 83 ans, désapprouvait la décision de MBS – prise alors que le roi assistait à un sommet dans la station balnéaire de Charm el-Cheikh – de nommer la princesse Reema bint Bandar bin Sultan ambassadrice à Washington, en remplacement de son frère, le prince Khaled ben Salmane, devenu ministre adjoint de la Défense.

Le fait que MBS n’ait pas accueilli son père à l’aéroport à son retour du sommet de février a également été mentionné comme le signe d’un fossé qui se creuse. 

Un roi qui n’en a pas le titre

MBS a été désigné vice-roi pendant que son père était à l’étranger, comme il est d’usage dans de telles circonstances. Lorsque le roi Salmane était en Égypte, selon l’article de The Guardian, son entourage « s’inquiétait tellement de la menace éventuelle contre son autorité » qu’un nouveau détachement de sécurité composé de 30 personnes a été envoyé par avion pour remplacer l’équipe existante.

Alors, le roi craignait-il que son fils organise un coup d’État et se présente comme le nouveau monarque pendant qu’il était à l’étranger ? 

Le roi a peut-être pensé que MBS allait un peu trop loin, mais l’avenir du trône importait davantage que la vérité

C’est peu probable et ridicule, car MBS n’a pas besoin d’aller jusqu’à destituer son père. Il est déjà roi même s’il n’en a pas le titre, et s’étant déjà attiré l’hostilité de nombreuses factions royales, il hésitera avant de déséquilibrer davantage la barque.

En destituant son père, MBS serait à jamais considéré comme le destructeur ultime de la cohésion royale. Cet acte perfide lui serait rappelé jusqu’à sa mort. Cependant, il ne se sent probablement pas obligé de le faire puisque l’âge avancé de son père et sa confiance sans bornes lui permettent de régner de facto

Ce qui est plus intriguant, c’est que le roi Salmane n’ait pas encore nommé de vice-prince héritier. Si quelque chose devait arriver à MBS, l’Arabie saoudite n’a pas de remplaçant. Étant donné que le roi est aujourd’hui très âgé – il était à peine cohérent lors de sa lecture d’une brève déclaration à Charm el-Cheikh –, une vacance du pouvoir pourrait apparaître si MBS devait disparaître. 

À l’abri des critiques

Les informations faisant état d’un fossé qui se creuse restent ambiguës, ne servant qu’à renforcer l’emprise de MBS sur le pouvoir. Puisque les affaires royales saoudiennes restent top secrètes, les fuites et les rumeurs sont attendues avec impatience ; le public comprend mal la façon dont les décisions sont prises au sein de la famille royale.

Il est dans l’intérêt de MBS de faire circuler de telles rumeurs dans la presse occidentale. Le prince héritier tire parti du parapluie que lui fournit son père pour se protéger des critiques grandissantes chez lui comme à l’étranger. 

Le jeune prince peut changer d’avis sur presque toutes les questions politiques – de la privatisation d’Aramco à la suppression des subventions concernant les carburants – lorsque des conséquences négatives apparaissent. On peut alors présenter le roi comme ayant exprimé des objections face aux décisions erratiques de son fils. Toutes sont attribuées à Salmane dans la mesure où il est toujours considéré comme étant à la barre, tandis que MBS ne perd pas la face.

Un manifestant porte un masque représentant le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, les mains peintes en rouge, lors d’une manifestation devant le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, le 25 octobre 2018 (AFP)
Manifestation devant le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul suite au meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, le 25 octobre 2018 (AFP)

Si le roi Salmane avait vraiment des réserves sur la manière dont son fils gère les affaires du royaume, en particulier après le terrible assassinat du journaliste Jamal Khashoggi à Istanbul en octobre dernier, il aurait agi immédiatement. Au lieu de cela, il a parcouru le royaume avec son fils à ses côtés, envoyant un message fort indiquant que ce dernier conserve le soutien total de la cour royale.  

Le roi n’a pas percé à jour les nombreux mensonges qui entourent la mort de Khashoggi, des dénégations initiales du meurtre à l’équipe de « dissimulation » qui aurait été envoyée pour se débarrasser du corps. Le roi Salmane n’a exigé qu’une enquête saoudienne, à l’instar de son fils.

Le roi a soutenu son fils et a été son complice en le protégeant d’une enquête sérieuse et indépendante. Le roi a peut-être pensé que MBS allait un peu trop loin, mais l’avenir du trône importait davantage que la vérité. 

Redessiner la politique étrangère

Sur des questions régionales plus générales, il est dit que le roi Salmane a eu une réaction plus vive face à la décision de déménager l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, au moment où les Saoudiens cheminaient vers une plus grande normalisation avec Israël. De temps à autre, le roi a évoqué l’épineuse question de Jérusalem, tandis que son fils a pleinement approuvé une coopération économique et militaire accrue avec Israël. 

L’été dernier, le roi Salmane aurait dit à des responsables américains que tout plan de paix devait inclure Jérusalem-Est comme capitale d’un État palestinien. Cela n’a visiblement pas dérangé son fils outre mesure. Sa nouvelle équipe de journalistes saoudiens a inondé les médias de complaisance envers la coopération accrue entre l’Arabie saoudite et Israël.

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Les réserves du roi Salmane servaient à offrir un semblant de réticence en vue d’apaiser une éventuelle opposition publique, alors qu’il était clair que Riyad avait adopté une stratégie consistant à courtiser Israël pour contrer l’Iran.

Malgré les rumeurs de dissension entre père et fils, tout observateur sérieux des affaires intérieures saoudiennes devrait se garder de croire des informations non étayées. De nombreux observateurs espèrent peut-être que le roi limoge un jour MBS, mais cette perspective est irréaliste.  

Les gouvernements étrangers devraient savoir comment traiter avec le prince héritier maintenant – avant qu’il ne devienne roi – plutôt qu’attendre de voir si son père le limoge. Il s’agit de redéfinir la politique étrangère et de penser différemment l’Arabie saoudite sous MBS. 

Les gouvernements occidentaux, dont les intérêts économiques et financiers en Arabie saoudite perdureront avec ou sans cet erratique prince héritier, doivent reconsidérer leurs relations avec Riyad afin de ne pas permettre à MBS et à ses semblables de se tirer d’un meurtre en toute impunité.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Madawi al-Rasheed is visiting professor at the Middle East Institute of the London School of Economics. She has written extensively on the Arabian Peninsula, Arab migration, globalisation, religious transnationalism and gender issues. You can follow her on Twitter: @MadawiDr
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