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Face au plan Trump, la Palestine n’a rien à attendre du reste du monde

La grossièreté diplomatique de Donald Trump a le mérite de révéler l’impotence et la pusillanimité du reste du monde, en particulier de ses alliés européens 
Le président Donald Trump lors de la conférence de presse avec le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou à la Maison-Blanche, le 28 janvier 2020 à Washington (AFP)

Le président américain ne feint pas la prudence et l’équité. Au Moyen-Orient, Donald Trump a des alliés (Israël, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis), des partenaires parfois récalcitrants (la Turquie) et des ennemis (l’Iran et ses alliés).

Pour les Américains, le seul droit qui compte est le droit du plus fort : Israël n’a rien à céder

Il y a aussi les acteurs qu’il méprise encore plus que ses alliés arabes – qu’il n’hésite pas à moquer publiquement –, ceux pour lesquels il n’a aucune espèce de considération. C’est parmi ceux-là qu’il faut classer les Palestiniens. 

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de voir Washington vouloir décider de leur destin sans tenir compte de leur avis.

Pour les Américains, le seul droit qui compte est le droit du plus fort : Israël n’a rien à céder et les Palestiniens n’ont rien à réclamer.

Après avoir reconnu Jérusalem comme « capitale indivisible d’Israël » et le Golan syrien comme territoire israélien, Trump propose désormais un plan qui prévoit ni plus ni moins que l’annexion des colonies israéliennes en Cisjordanie.

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On aurait pu s’attendre à un rejet universel d’une proposition qui défie la raison. On en est loin. Certes, comme les dirigeants palestiniens eux-mêmes, « l’axe de la résistance » (Téhéran et le Hezbollah, notamment) réfute l’initiative américaine.

Désormais, la cause palestinienne est sacrifiée y compris dans le discours. On ne fait plus semblant

La diplomatie turque s’est aussi distinguée en qualifiant ce plan de « mort-né ». Fidèle à sa proximité avec l’islam politique, Ankara met l’accent sur le statut de Jérusalem et entend faire de la cause palestinienne une cause musulmane.

Mais les dirigeants arabes de la région, comme les dirigeants européens, manifestent une retenue qui confine parfois à la complaisance. Une retenue encore plus flagrante qu’à la fin de l’année 2017, quand Trump reconnaissait Jérusalem comme capitale d’Israël.

Équilibrisme russe et complaisance arabe

Relativement ferme et claire dans les autres dossiers internationaux et moyen-orientaux depuis quelques années, la diplomatie russe ne dit rien d’intelligible s’agissant de la question palestinienne. Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, s’est contenté d’exprimer une position attentiste : « Nous ne savons pas si la proposition américaine est acceptable par les deux parties. » Mais qui ne sait pas que cette proposition n’est pas acceptable pour les Palestiniens ? 

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou devrait exposer et défendre le plan américain auprès de Vladimir Poutine à Moscou.

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Officiellement, la diplomatie russe s’enquiert du point de vue des Palestiniens. La Russie dispose d’un atout non négligeable : contrairement aux Américains, elle peut discuter avec l’ensemble des acteurs de la région, y compris le Hamas. Mais l’équilibrisme qui consiste à renvoyer dos à dos Israéliens et Palestiniens ne peut que faire les affaires des premiers. 

Parmi les pays arabes de la région, la complaisance et la prudence dominent. En s’accrochant à l’idée d’un État palestinien indépendant dans les frontières de 1967, la Jordanie fait figure d’exception. 

L’axe Riyad-Abou Dabi, allié privilégié de Washington, salue prudemment le plan américain. Quant à l’Égypte, elle se contente d’inviter « les parties concernées à examiner de manière attentive et minutieuse la vision américaine pour parvenir à la paix ». En somme, désormais, la cause palestinienne est sacrifiée y compris dans le discours. On ne fait plus semblant. 

L’une des grandes inconnues concerne le poids de l’opinion publique dans ces pays. L’absence de structures démocratiques n’exclut pas une réaction populaire.

En effet, en Palestine comme ailleurs dans le monde arabe, un plan aussi humiliant est susceptible de générer un mécontentement dont l’ampleur et les conséquences restent à mesurer. Un pays désormais sensible au soft power comme les Émirats arabes unis pourrait en tenir compte. 

Sornettes européennes 

Si les Palestiniens n’ont pas grand-chose à attendre de leurs voisins arabes, ce n’est certainement pas vers l’Europe qu’ils peuvent se tourner. L’Union européenne, si encline à sanctionner (les adversaires d’Israël, par exemple), n’a strictement rien de concret à proposer dans le dossier palestinien.

Bizarrement, la position allemande apparaît comme la moins complaisante à l’égard d’Israël et de Donald Trump

Qu’il s’agisse de la colonisation ou des massacres, aucune pression à l’encontre d’Israël ne semble envisagée par l’Union européenne. 

Du côté des États européens, les discours creux dominent. Bizarrement, la position allemande apparaît comme la moins complaisante à l’égard d’Israël et de Donald Trump, même si Berlin s’est contenté de rappeler la nécessité d’impliquer les parties concernées dans les négociations afin d’aboutir à une solution à deux États. 

Sans surprise, les Britanniques ont qualifié de « sérieuse » la proposition américaine.

À Paris aussi, ce « plan de paix » semble pris au sérieux, comme le montre la déclaration de la porte-parole du Quai d’Orsay : « La France salue les efforts du président Trump et étudiera avec attention le plan de paix qu’il a présenté. Elle exprime sa conviction que la solution des deux États, en conformité avec le droit international et les paramètres internationalement agréés, est nécessaire à l’établissement d’une paix juste et durable au Proche-Orient. »

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En Europe, évoquer dans le vide un droit international célébré dans les discours et ignoré dans la réalité est hélas devenu une habitude.

Mais tandis qu’Israël piétine impunément ce droit international, ses partenaires européens sont prompts à le récompenser en tentant de façonner des droits nationaux sur mesure, à l’instar des efforts pour confondre antisionisme et antisémitisme. 

En définitive, la modération des réactions à l’initiative de Donald Trump est tout à fait compréhensible. Il se contente de dire tout haut ce qui se fait tout haut.

Il ne fait qu’exprimer grossièrement le résultat concret de tous les discours d’équilibristes qui renvoient dos à dos Israéliens et Palestiniens.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Adlene Mohammedi est docteur en géopolitique et notamment spécialiste de la politique arabe de la Russie postsoviétique. Il dirige le centre d’études stratégiques AESMA, ainsi qu’Araprism, association et site dédiés au monde arabe
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