Après l’affaire Harvey Weinstein, les Tunisiennes dénoncent le harcèlement sexuel
TUNIS – En Tunisie, le hashtag #Metoo importé d’Hollywood s’est transformé en #أنا_زادة (moi aussi, en dialecte tunisien) depuis quelques jours sur Facebook.
Inspirée par l’actrice Alyssa Milano après l’affaire du producteur Harvey Weinstein, le producteur d’Hollywood accusé de harcèlement par plusieurs dizaines d’actrices parfois de nombreuses années après les faits, la campagne #Metoo veut encourager les femmes à témoigner pour ne plus laisser sous silence le harcèlement sexuel.
Plusieurs témoignages en anglais, en arabe ou bien en français ont inondé le Facebook tunisien, parfois juste avec le hashtag en guise de soutien, parfois accompagné d’histoires personnelles des internautes toutes générations confondues.
Les témoignages ont même incité plusieurs étudiantes de la faculté des Sciences juridiques de Tunis à lancer une pétition pour dénoncer un professeur à la retraite toujours présent sur le campus et accusé de harceler les étudiantes. Soutenues par la présidente de l’Association des femmes démocrates (ATFD), Monia ben Jémia, elles ont récolté le mardi 17 octobre 50 signatures réclamant l’expulsion définitive de ce professeur.
Le partage de l’intime via Facebook
« Il est très important d’utiliser les réseaux sociaux pour témoigner. Ce n’est pas seulement une affaire de langues qui se délient, mais aussi de témoignages intimes qui relèvent du ‘’moi’’ auxquels chacun peut s’identifier, pour ne plus avoir peur d’en parler si d’autres le font », témoigne Amal Khlif, membre du collectif féministe Chaml qui avait commencé dès 2014 à se réunir pour partager des expériences de harcèlement ou de violences.
« Cela a commencé avec l’affaire d’Eya, brûlée vive par son père en 2014. Nous avions fait une campagne sur Facebook avec le hashtag #Moi_Aussi_J_Ai_Eté_Violentée. Nous savions que la société était rongée par une violence dont personne ne parlait, les témoignages ont commencé à partir de ce moment-là. Chacun pouvait s’identifier à Eya, ou à Meriam, la jeune fille violée par des policiers en 2013 », raconte Amal.
Pour elle, les réseaux sociaux ont permis de démocratiser une lutte qui restait encore limitée aux institutions, peu publique. « Une expérience, vous ne pouvez pas la partagez dans le cadre d’un projet associatif, et c’est en cela que Facebook a aidé ».
Avec plus de six millions de Tunisiens connectés, Facebook a toujours été un puissant média pour relayer certains débats de société. En 2015, plusieurs organisations de la société civile s’en étaient servies pour former une coalition contre le harcèlement sexuel à travers la campagne « Un jour…un combat », en référence à une journée qui a lieu tous les ans le 9 novembre, sur une initiative de la Coalition pour les droits sexuels et corporels dans les sociétés à majorité musulmanes (CSBR).
Pour Amal, si partager un témoignage sur Facebook ne fait pas tout, l’action en Tunisie révèle une tendance commune. « On voit que de nombreuses femmes partagent parce qu’elles se sentent frustrées de n’avoir pas agi quand ça leur est arrivé, d’avoir eu honte ou même d’avoir culpabilisé, c’est aussi là-dessus qu’il faut que l’on travaille désormais. »
Débat sur le harcèlement dans l’espace public
La campagne #Metoo survient alors que la Tunisie a voté pendant l’été une loi contre les violences faites aux femmes. La loi comprend toute une partie sur le harcèlement dans l’espace public, désormais puni de trois mois de prison ferme et/ou 100 à 500 dinars d’amende (30 à 171 euros).
Elle a également suscité des campagnes d’action sur les réseaux sociaux comme celle du Centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme (Credif) avec la société des transports de Tunis.
Après avoir mené une étude sur la violence fondée sur le genre dans l’espace public en Tunisie, le Credif s’est aussi emparé des réseaux sociaux pour sa nouvelle campagne contre le harcèlement dans les transports en commun, #Ma yerkbech (il [le harceleur] ne monte pas avec moi).
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Près de 53,5 % des femmes concernées par l’enquête disent avoir subi une forme de violence dans l’espace public au cours des quatre dernières années, et 75,4 % rapportent avoir vécu des violences sexuelles dans l’espace public.
La majorité dit aussi avoir subi des violences dans les transports, dans 63,9 % des cas de la part d’un passager.
De nombreux usagers ont pris en photo les bus avec les affiches et les ont diffusées sur les réseaux sociaux.
« Les réseaux sociaux ont joué un rôle en publiant un spot de sensibilisation qui ensuite a encouragé la publication de vidéos de témoignages personnels », explique à Middle East Eye Dalenda Larguèche, présidente du Crédif.
Délier les langues et médiatiser davantage
« C’est le bon moment pour en parler, en raison du passage de la loi, mais aussi parce que chacun brise les tabous petit à petit. Nous avons reçu des appels de femmes qui cherchent à dénoncer leur harceleur, certaines appellent même le numéro vert mis en place par la Transtu [transports de Tunis] » ajoute-t-elle en soulignant que si le changement des mentalités prendra du temps, la médiatisation de la campagne et des témoignages est essentielle.
« Nous avons été invitées à parler sur des plateaux télé des violences faites aux femmes. Plus on fait de la publicité et plus on en parle, plus on marque les gens. C’est d’ailleurs cette médiatisation et ce relais sur les réseaux sociaux qui ont fait qu’on nous appelle maintenant pour demander d’étendre la campagne aux régions au-delà du Grand Tunis », affirme-t-elle.
Le Credif est aussi en train de former les services de sécurité à la nouvelle loi sur les violences faites aux femmes : 110 agents de l’école de formation de la Garde nationale à Chebika (sud de la Tunisie) ont été formés pendant deux semaines début octobre. La semaine prochaine, ce sera au tour de la police.
Reste aussi après la formation, la question de l’évaluation de l’application de la nouvelle loi et son impact dans la société tunisienne car dans l’étude du Credif, seulement 2 % des femmes victimes de violences portent plainte, « souvent parce qu’on banalise la violence dont elles sont victimes et c’est décourageant », admet Dalenda Largueche.
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