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Au Maroc, la chasse aux météorites est une affaire lucrative pour les nomades

Le commerce international de pierres tombées de l’espace est une affaire lucrative mais les universitaires tentent de faire passer une nouvelle loi pour y mettre fin
Bachir Boudine, 51 ans, patron d’une boutique vendant des fossiles et des météorites, inspecte une pierre à Erfoud, le 10 octobre 2016 (MEE/Sebastian Castelier)

ERFOUD, Maroc – L’artère principale d’Erfoud, dans la région de Draa-Tafilalt au sud du Maroc est presque vide, mais rien n’échappe aux yeux perspicaces de Hakim. Assis, cigarette à la main, à la terrasse d’un café, il attend patiemment son prochain client potentiel. Chaque fois que passe un touriste, il se lève de sa chaise et se dirige vers le voyageur crédule pour lui présenter son assortiment habituel.

Pendant la conversation, si Hakim sent que son interlocuteur s’intéresse à ce qu’il lui propose, il l’escorte alors vers ce qu’on appelle ici les vendeurs de météorites.

On estime que 70 % de la population d’Erfoud vivent de l’extraction et de la vente de son patrimoine géologique

Bachir Boudine en fait partie. À 51 ans, il se rend aux États-Unis plusieurs fois par an avec son plus jeune frère, où il fait passer clandestinement des météorites dont la vente lui rapporte un généreux bénéfice.

Aux abords de la ville d’Erfoud, en direction de Merzouga, Boudine possède un petit magasin touristique qui propose des « chondrites ». Ces fragments d’astéroïde ne sont pas très chers : selon la forme de la pierre et son état, elle se vend pour 30 dollars environ, voire plus.

« Les plus belles sont cachées dans ma maison », confie Boudine en souriant.

Les plus spéciales sont réservées aux collectionneurs de météorites qui viennent du monde entier se livrer ici à leur passion et enrichir leurs propres collections privées.

Quand les météorites tombent dans le désert marocain aride, leur état original est préservé parce qu’elles ne sont pas altérées par de l’eau ou un sol humide.

Au départ, Boudine ne vendait pas des météorites, elles servaient plutôt à décorer sa maison. Il ne se doutait pas à l’époque qu’il en ferait un commerce qui allait lui rapporter gros.

Avec le temps, il a compris qu’il existait une forte demande et il s’est mis à les vendre. Il s’est lancé il y a vingt ans et depuis, son entreprise est florissante.

Des touristes espagnols quittent le village de Merzane, au Maroc. Aidés de leur guide touristique local, certains sont partis à la recherche de météorites pour les rapporter chez eux en « souvenir » (MEE/Sebastian Castelier)

Les météorites sont cotées en fonction de leur taille, de leur rareté, de leur beauté et de leur origine. Boudine refuse de livrer trop de détails sur ses bénéfices, mais il accepte de préciser qu’il tire de belles sommes de ses pièces les plus parfaites : après les avoir achetées à des nomades, il les revend à ses clients et se fait une marge pouvant atteindre 700 dirhams (65 euros).

Pendant qu’il explique ses rituels de vente, un homme entre dans la pièce et montre à Boudine deux petites pierres tirées de son portefeuille.

Boudine les inspecte à la loupe et affirme aussitôt qu’elles n’ont rien de spécial. Il estime que les reflets brillants que présente la pierre proviennent de l’évaporation d’un lac.

Le chef de chantier de 53 ans repart les mains vides, déçu que ses découvertes ne lui fournissent pas cette fois-ci un peu d’argent supplémentaire.

On estime que 70 % de la population d’Erfoud vivent de l’extraction et de la vente du patrimoine géologique de la ville.

Amar Nogot, qui fait le commerce de divers fossiles et météorites à Erfoud, présente deux météorites dans le creux de ses mains, le 10 octobre 2016 (MEE/Sebastian Castelier)

Ismail Mohammed, fils d’une famille nomade, repense à la façon dont le commerce des météorites a commencé, au début des années 1990.

Louis Carion, expert français et géologue qui fait avec son père le commerce de météorites depuis plus de vingt ans, est particulièrement bien connu à Erfoud pour avoir contribué à introduire ce commerce au Maroc.

« Au début des années 90, nous avons distribué des petits aimants aux nomades, quelques brochures et des échantillons de l’intérieur d’une météorite, pour que les nomades puissent facilement distinguer les météorites des pierres ordinaires », raconte Carion.

Commerce par les nomades

C’est ainsi que la famille de Carion est devenue pionnière du commerce des météorites en France. Mohammed explique que, quand il était enfant, le commerce de météorites a aidé sa famille à s’installer.

Adolescent, il était assez âgé pour prendre part à l’entreprise familiale. Mohammed et ses « nombreux cousins » fouillaient le sable des dunes pour trouver des pierres qui semblaient inhabituelles et spéciales.

Avec l’apparition du commerce des fossiles pendant les années 1970, le commerce des météorites a, naturellement, largement bénéficié de l’arrivée massive d’étrangers. C’est pourquoi les services de guide touristique de Mohammed sont devenus si populaires.

Mohammed s’entraina à identifier les endroits où trouver des météorites et il s’est mis à guider les géologues dans la région de Draa-Tafilalt. À l’origine dédiée à l’agriculture, cette région est rapidement devenue le lieu de rendez-vous des amateurs de pierres extraterrestres.

« Un jour, alors que nous parcourions le désert avec un géologue français, raconte Mohammed, nous avons trouvé les tentes de quelques nomades. Les hommes étaient absents mais une femme nous a proposé de nous vendre des météorites. »

« Elle a tiré de son soutien-gorge la pierre qu’elle y avait cachée. Elle en demandait environ 1 500 dirhams [140 euros] le gramme ! »

- Ismail Mohammed, nomade

« Elle a commencé avec un prix plutôt bas, autour de 1 500 dirhams [140 euros] le kilo. Dès la fin de la transaction, elle nous a discrètement fait savoir que, si cela nous intéressait, elle avait une météorite très rare à nous proposer. Elle a tiré de son soutien-gorge la pierre qu’elle y avait cachée. Elle en demandait environ 1 000 dirhams [93 euros] le gramme ! »

Mohammed explique qu’un grand nombre de nomades ont eu pu vivre confortablement grâce au tourisme géologique, qu’on appelle parfois la « ruée sur les pierres ».

« Le commerce des pierres a sorti de nombreuses familles nomades de la pauvreté », affirme-t-il.

Ahmad Boutsia, un nomade de 46 ans habillé d’une tunique bleue, est éleveur de chameaux et ancien chercheur de météorite. Avant de trouver un emploi plus permanent avec un revenu stable, il a fait le commerce des météorites pendant dix ans. Bien que le commerce de météorite soit très profitable, il est souvent irrégulier.

Ahmad Boutsia faisait dans le commerce des météorites dans la région d’Erfoud, au Maroc (MEE/Sebastian Castelier)

Quand je me déplaçais avec mon troupeau, je gardais les yeux à terre. Et je parcourais la région toute la journée », raconte Boustia en souriant.

« Je n’y connaissais rien en [météorites], mais j’avais éduqué mon œil à repérer diverses pierres, que je ramassais quand elles me semblaient inhabituelles ».

Avec le temps, un commerce bien organisé s’est développé. De nombreux nomades viennent de toute la région à Erfoud pour y vendre leurs pierres.

« Ils viennent tous ici car cette ville se trouve au carrefour entre l’Algérie, la Mauritanie, le Mali et le Niger. Et, à la différence des autres pays, la vente de météorites est légale au Maroc », explique Carion.

En 2011, une météorite martienne rare, datant de plus de 700 000 ans s’est écrasée au Maroc. Cette belle roche à la surface noire brillante a été baptisée Tissint, du nom d’un village proche. On pense que c’est la météorite la plus importante à être tombée ces cent dernières années, d’après la BBC.

Le musée d’histoire naturelle de Londres a acquis cette rareté à un prix qui « représentait plusieurs fois le budget annuel d’acquisition du musée », a écrit le New  York Times  en 2012.

Loi équivoque

La législation marocaine actuelle sur l’exploitation minière au Maroc, passée en 1951, est équivoque sur le commerce des météorites.

La loi prévoit que « les activités d’extraction, de ramassage et de vente d’échantillons minéralogiques, de fossiles et de météorites », doivent être régulées par des dispositions et règlements spécifiques. Cependant, jusqu’à présent, aucune loi n’a été en mesure de réguler l’extraction et le commerce des météorites.

Le ministre de l’Énergie, des Mines, de l’Eau et de l’Environnement a refusé à Middle East Eye tout commentaire sur la question et les négociations en cours sur la réforme.

Mohamed Boutakiout, professeur de paléontologie et de géologie à l’Université Mohammed V à Rabat, opposé au commerce des météorites, a qualifié de « mafia » ceux qui se livrent à ce commerce.

Mohamed Boutakiout, professeur de géologie, prononce un discours à l’assemblée générale pour la préservation de l’héritage géologique marocain, en octobre 2016 (MEE/Sebastian Castelier)

Boutakiout et son organisation, l’Association pour la protection du patrimoine géologique marocain, ont proposé des amendements à la loi. Boutakiout précise que les négociations sur la nouvelle loi sont en cours avec les fonctionnaires.

« Je ne peux pas vous livrer tous les détails puisque les négociations sont en cours. Mais ce que je peux dire c’est que les négociations sont au point mort depuis quatre mois maintenant. Les météorites appartiennent à notre pays, à notre histoire et c’est un riche patrimoine à transmettre à la jeune génération. »

« Les météorites appartiennent à notre pays, à notre histoire et c’est un riche patrimoine à transmettre à la jeune génération »

« Nous proposons de créer une commission nationale et régionale destinée à protéger l’héritage marocain. Cette commission a l’intention d’interdire strictement la vente et l’exportation de toute météorite », ajoute-t-il.

Il a proposé d’infliger une lourde amende aux gens qui essaient d’acquérir ou de faire le commerce de météorites, car il pense qu’elles devraient être propriété de l’État.

« Les météorites appartiennent à notre pays, à notre histoire et c’est un riche patrimoine à transmettre à la jeune génération. »

Selon lui, les météorites marocaines devraient être conservées dans les musées et les universités du pays pour que tout le monde puisse les étudier et les admirer.

Carion pense exactement le contraire : il croit que ce commerce devrait continuer, car l’interruption de cette activité appauvrirait la région.

« Certains universitaires marocains poussent en ce sens, mais si le gouvernement interdit ce commerce, beaucoup de gens ici mourront de faim », prévient-il.

« Si le gouvernement interdit ce commerce, beaucoup de gens ici mourront de faim »

- Louis Carion, géologue français

Pendant ce temps, à Erfoud, dans un café à proximité du marché central, Hami Tahiri, vendeur de météorites, exprime sans hésiter son mépris pour ces projets de loi. Il affirme que le gouvernement a déjà commencé à distribuer des brochures indiquant que certains types de pierres sont interdits à la vente.

« C’est mauvais signe. S’ils nous interdisent ce commerce, comment feront les gens pour vivre ici ? Les dates, les pierres et le sable sont les trois activités principales du coin. »

Traduit de l'anglais (original) par Dominique Macabiès.

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