Crise du Qatar : que redoute Israël ?
Israël n’a jamais approuvé le soutien du Qatar au Hamas.
Toutefois, alors que les pays du Golfe exigent à présent que Doha cesse de soutenir le groupe palestinien, Israël redoute ce qui pourrait advenir ensuite.
Le Hamas, qui contrôle Gaza depuis 2007, est considéré comme un mouvement issu des Frères musulmans, un allié de longue date du Qatar.
L’émirat a transféré des centaines de millions de dollars à Gaza, tout en aidant le Hamas sur le plan diplomatique en octroyant l’asile à ses dirigeants et membres exilés. C’est à Doha que le groupe a publié sa nouvelle charte en mai.
Au lendemain de la dernière guerre qui a eu lieu à Gaza en 2014, le Qatar s’est engagé à donner 1 milliard de dollars à Gaza pour financer la reconstruction de la bande côtière, des projets humanitaires, les coûts de l’électricité et les salaires des fonctionnaires.
Les analystes politiques affirment qu’Israël a autorisé ces transferts de fonds à Gaza – qui subit un siège israélien depuis 2007 – en raison de leur effet stabilisateur, empêchant ou peut-être retardant un effondrement total de la bande déchirée par la guerre.
Réponse prudente d’Israël
Les sanctions prises à l’encontre du Qatar le 4 juin dernier ont été saluées comme une victoire par une grande partie du public et des médias israéliens. Cependant, la réponse du gouvernement a été étrangement muette.
Eli Avidar, ancien chef de la délégation israélienne au Qatar, a déclaré à MEE qu’il fallait qu’Israël soutienne agressivement l’Arabie saoudite et d’autres pays contre le Qatar. « C’est une occasion d’en finir avec cette pagaille. Israël devrait faire pression sur Washington, faire pression sur le Qatar pour qu’il cesse de financer le terrorisme, mais il ne le fait pas. »
« Je me pose constamment la question : pourquoi Israël n’est-il pas plus actif et ne s’exprime-t-il pas plus directement en ce qui concerne les mesures contre le Qatar ? »
Le ministre israélien de la Défense, Avigdor Lieberman, a été le seul représentant de l’État à avoir commenté la crise. Le 5 juin, au lendemain de l’annonce de l’isolement du Qatar, il a déclaré que l’initiative « ouvr[ait] de nombreuses possibilités de collaboration dans la lutte contre la terreur ».
Un porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères a indiqué à MEE qu’il avait reçu pour instruction formelle de ne pas commenter la situation et ses répercussions sur Israël et la Palestine.
Qu’y a-t-il derrière cette réponse passive ? Beaucoup d’universitaires, d’analystes et de sources des renseignements israéliens suggèrent qu’Israël pourrait avoir plus à perdre qu’à gagner dans cette crise.
Je me pose constamment la question : pourquoi Israël n’est-il pas plus actif et ne s’exprime-t-il pas plus directement en ce qui concerne les mesures contre le Qatar ?
- Eli Avidar, ancien chef de la délégation israélienne au Qatar
Yoel Guzansky et Kobi Michael, de l’Institut israélien pour la recherche en matière de sécurité de l’Université de Tel Aviv, ont affirmé que la crise était « la plus grave depuis la création du Conseil de coopération du Golfe en 1981 ».
Ils expliquent que l’approche d’Israël vis-à-vis du Qatar est double. « D’une part, il y a du ressentiment en raison de son soutien au Hamas et de l’asile qu’il offre à ses dirigeants […]. D’autre part, Israël attribue une grande importance au soutien qatari pour la réhabilitation de la bande et pour l’argent qu’il fournit pour les salaires et les services civils de Gaza. »
« L’intérêt israélien est de soutenir une médiation américaine qui mettra fin à cette affaire en sapant la position de l’Iran et du Hamas, mais sans nuire sérieusement aux actions positives du Qatar vis-à-vis de la bande de Gaza et à sa médiation avec le Hamas. »
Leur étude a identifié trois résultats possibles qu’Israël chercherait à éviter : une relation plus forte entre l’Iran et le Hamas ; un effondrement de la situation humanitaire à Gaza ; et une prise de contrôle de Gaza par l’Autorité palestinienne (AP).
1. La peur de l’Iran
Certains observateurs craignent que le vide créé par l’absence du Qatar ne puisse forcer le Hamas à chercher une autre source de soutien financier – et se tourner ainsi vers l’Iran.
Le rapport de Yoel Guzansky et Kobi Michael souligne qu’« Israël reconnaît qu’il y a plus d’avantages que d’inconvénients à coopérer avec le Qatar, ce dernier affaiblissant l’influence de l’Iran sur le Hamas et la bande de Gaza ».
« Il n’y a pas de plus grand signal d’alarme pour l’Égypte, l’Arabie saoudite, le Koweït, l’Amérique de Trump et Israël qu’une organisation palestinienne alliée à l’Iran », a expliqué à MEE Shaul Yanai, chercheur israélien spécialisé sur le Moyen-Orient à l’Université de Haïfa.
Plus tôt cette année, Khaled al-Qaddumi, représentant du Hamas en Iran, a déclaré à Al-Monitor que l’Iran apportait un soutien financier continu au mouvement, malgré la polarisation régionale entre chiites et sunnites, et que des rencontres régulières avaient lieu entre les deux.
Le début de l’année 2017 a inauguré une nouvelle ère pour les relations entre le Hamas et l’Iran, qui peuvent être décrites comme positives et tournées vers l’avenir
- Khaled al-Qaddumi, représentant du Hamas en Iran
« Le début de l’année 2017 a inauguré une nouvelle ère pour les relations entre le Hamas et l’Iran, qui peuvent être décrites comme positives et tournées vers l’avenir », a-t-il assuré.
Ahmed Yousef, ancien conseiller du leader du Hamas Ismaël Haniyeh, a quant à lui déclaré à Maan que la crise du Qatar – ainsi que la coalition entre Israël, l’Amérique et les États sunnites – encouragerait les mouvements islamiques tels que les Frères musulmans à nouer de nouvelles alliances avec des pays puissants de la région, comme l’Iran, afin de se protéger ».
Guzansky et Michael ont observé en outre que le souhait du camp sunnite de voir l’Autorité palestinienne remplacer le Hamas dans la bande côtière n’était pas partagé par Israël, qui, selon ses détracteurs, a cherché à maintenir la séparation entre la Cisjordanie et Gaza.
2. La peur d’une autre guerre
En 2014, Israël a lancé l’opération « Bordure protectrice » contre Gaza, un assaut visant à affaiblir le Hamas qui a duré 50 jours et causé la mort de plus de 2 139 Palestiniens, dont près d’un quart d’enfants, 64 soldats israéliens et 6 civils israéliens.
Un haut fonctionnaire israélien qui a travaillé avec le Mossad pendant de nombreuses années et a demandé à conserver l’anonymat a déclaré à MEE que bien que le gouvernement israélien souhaite que le Qatar cesse de financer le Hamas, « il ne veut pas une vraie crise humanitaire à Gaza, même si nous nous en rapprochons ».
« Cette situation pourrait nous ramener là où nous étions en 2014, lorsque le Hamas a été acculé et que le seul endroit sur lequel il pouvait tirer était Israël. Je présume qu’Israël a peur de ce scénario, il ne veut pas de déstabilisation à Gaza. »
Le chercheur Shaul Yanai a également averti qu’un Hamas désespéré qui aurait perdu son soutien financier, couplé à la possibilité d’élections au sein de la coalition gouvernementale israélienne sous tensions, pourraient se révéler être un mélange toxique. « Cela pourrait constituer une base fertile pour la guerre. Les politiciens désespérés ont tendance à aller en guerre. »
Une autre source des renseignements israéliens – dont le rôle est classé secret – a déclaré à MEE qu’Israël se préparait à une guerre contre Gaza, comme il le fait chaque été, mais qu’il ne s’attendait pas toutefois à ce que celle-ci ait lieu cette année.
Cette situation pourrait nous ramener là où nous étions en 2014, lorsque le Hamas a été acculé et que le seul endroit sur lequel il pouvait tirer était Israël
- une source sécuritaire israélienne
Le Hamas est encore affaibli par la dernière série de combats en 2014. Et Israël ?
« C’est contre nos intérêts », a affirmé la source du renseignement. « Israël souhaite maintenir le statu quo dans la bande ».
Depuis 2004, Israël a mené sept assauts contre Gaza en réponse aux tirs de roquettes sur son territoire. Selon les critiques, ce statu quo de la guerre est alimenté par le manque de solution diplomatique au problème des réfugiés palestiniens et à l’occupation militaire israélienne.
3. La peur de l’Autorité palestinienne
Dimanche, le cabinet israélien a accepté de réduire l’approvisionnement de Gaza en électricité à la demande du président de l’AP, Mahmoud Abbas.
Ce geste est considéré comme une tentative de l’AP, qui contrôle la Cisjordanie, d’affaiblir son rival politique. Tareq Rashmawi, porte-parole de l’AP, a demandé que le Hamas « remette à l’AP toutes les responsabilités des institutions gouvernementales de Gaza », selon Reuters.
Toutefois, Israel Katz, ministre israélien et membre du Likoud, a critiqué lundi cette décision, déclarant lors de l’annuelle Convention israélienne pour la paix qu’« Israël n’a aucune politique envers Gaza ».
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a pour sa part déclaré qu’Israël « ne souhait[ait] pas voir une escalade » à Gaza, et décrit l’incident comme une « dispute palestinienne interne ».
Le fonctionnaire qui a travaillé avec le Mossad s’est fait l’écho de ce sentiment. « Il est difficile pour moi d’expliquer la politique israélienne envers Gaza », a dit la source, « elle ne repose sur aucune logique ».
« Les coupures d’électricité pourraient être une sorte de technique de pression sur le Hamas, pour que le groupe accepte de rendre les corps de soldats israéliens et les trois Israéliens qu’il détient. »
Le Hamas a toutefois émis des avertissements.
Le groupe a déclaré sur Twitter lundi que la décision « accélèrerait la détérioration et l’explosion de la situation dans la bande de Gaza ».
Une source des renseignements israéliens a affirmé à MEE qu’une reprise des combats à Gaza n’était qu’une question de temps.
« Si ce n’est pas cet été, alors ce sera le prochain. Et si ce n’est pas le cas, celui d’après, sans le moindre doute. »
Traduit de l’anglais (original).
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