EXCLUSIF : Séoul et Pyongyang se rencontrent aussi à Alger
ALGER – Après Jakarta et Pékin, ce serait à Alger que se travaillerait le rapprochement entre la Corée du Nord et la Corée du Sud.
Selon des informations recueillies par Middle East Eye, l’ambassadeur sud-coréen en Algérie, Park Sang Jin, a invité mardi 1er mai son homologue nord-coréen, Choi Hyuk Chul, à sa résidence pour partager un repas. Aucune information n'a toutefois filtré sur cette rencontre.
Après deux années de tensions liées aux programmes nucléaire et balistique nord-coréens, la péninsule est depuis le début de l’année le théâtre d’une spectaculaire détente, illustré par le sommet exceptionnel, le 27 avril entre le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un et le Sud-coréen Moon Jae-in.
Le 1er janvier, Kim Jong-un avait annoncé, à la surprise générale que son pays participerait aux Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang. Depuis, autres signes de détente, la Corée du Nord a rejoint le fuseau horaire de la Corée du Sud et a soumis à l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) une proposition pour l’ouverture d’un couloir aérien vers le Sud.
Si les relations entre la péninsule coréenne et le monde arabe datent de la fin de la guerre de Corée (1950-1953) et la création du mouvement des non-alignés (organisation de pays refusant tout alignement avec ou contre une grande puissance mondiale) en 1961, Le Caire et Alger sont aujourd’hui les deux seules capitales arabes à compter une représentation diplomatique des deux Corées – il en existe aussi deux au Yémen, mais elles sont en dormance en raison de la guerre.
Les liens entre Pyongyang et Alger sont très anciens, la Corée du Nord ayant été un des premiers pays non arabes à soutenir la révolution algérienne et à reconnaître le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) dès l'annonce de sa création fin 1958.
Pendant les années 1990, alors que l'Algérie était frappée d'un blocus sur les armes, Pyongyang a également formé des centaines de militaires aux techniques de combat avancées et fourni des armes pour la lutte antiterroriste.
Après le premier test nucléaire de 2006 en Corée du Nord, de lourdes sanctions ont été prises par la communauté internationale à l'encontre de Pyongyang.
Le train de sanctions, appliqué de manière progressive au fur et à mesure que les tests balistiques et nucléaires se poursuivaient, a poussé de nombreuses capitales arabes à prendre leurs distances. Tripoli et Koweït City choisiront la rupture, Le Caire reverra ses relations à la baisse, et Alger optera pour la manière douce tout en se conformant aux résolutions du Conseil de sécurité.
Intransigeante sur les questions de souveraineté, l’Algérie a en effet refusé de rompre avec la Corée du Nord mais a tout de même appliqué de manière discrète les sanctions économiques, et établi un moratoire sur les visas professionnels accordés aux travailleurs nord-coréens, très prisés sur les chantiers pétroliers et des dans les travaux publics.
Selon une source sécuritaire algérienne contactée par Middle East Eye, des instructions ont même été données à la gendarmerie et à la police pour effectuer des contrôles d'identité sur les chantiers et s'assurer qu'il n'y ait pas de travailleurs nord-coréens avec de faux papiers chinois.
2017, année de crise entre Le Caire et Pyongyang
Parmi les autres pays arabes, le Koweït expulsera le personnel diplomatique nord-coréen dans sa capitale, en septembre 2017, suivi par la Libye. Dans la région, seules trois ambassades nord-coréennes restent donc ouvertes, à Alger, à Damas, et au Caire.
Avec Le Caire, les relations, très bonnes depuis 1952, se détérioreront en 2017. Entre 1979 et 1980 deux Scuds B égyptiens sont envoyés en Corée du Nord, qui s'installe en Égypte pour lancer des lignes de fabrications de missiles balistiques.
Cette relation dans la construction du programme balistique égyptien se poursuivra jusqu'aux années 2000. En 1990, le Caire achètera des Scuds C et finira encore une fois par recevoir l'assistance technique nord-coréenne pour les construire localement.
Hosni Moubarak a visité la Corée du Nord quatre fois entre 1983 et 1990
Hosni Moubarak a visité la Corée du Nord quatre fois entre 1983 et 1990, ce qui a permis d'importants investissements économiques égyptiens au nord du 38e parallèle. Et en 2008, le milliardaire égyptien Naguib Sawiris a décroché l'autorisation d'investir dans l'unique réseau de télécommunications 3G en Corée du Nord : Koroyo Télécom sera créé et comptera très vite 300 000 abonnés.
En janvier 2016, Washington et Séoul s'entendent sur un plan global pour isoler la Corée du Nord et assécher ses rentrées financières. Et le 11 septembre 2017, l'agence de presse sud-coréenne Yonhap annonce la rupture des relations militaires entre Le Caire et Pyongyang. S’ensuivra un « don » par la marine sud-coréenne d'une corvette de classe Pohang à son homologue égyptienne.
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En Égypte, deux scandales ont mis à nu l'importance des relations militaires entre Le Caire et Pyongyang.
En août 2017 d'abord, l'interception d'un navire vraquier à la sortie du canal de Suez, par la douane égyptienne alertée par voie diplomatique par les services secrets américains, a permis la découverte d'une cargaison de 30 000 roquettes antichars destinées à l'armée égyptienne. Prise la main dans le sac à violer l'embargo international sur les importations d'armes nord-coréennes, Le Caire s’est retrouvée dans l'embarras.
En mars 2018, le New-York Times révélait que l'ambassade nord-coréenne au Caire avait été transformée en une véritable usine à devises et plaque tournante du commerce gris nord-coréen. Usine de munitions en Namibie, entraînement de la garde présidentielle angolaise et missiles longue portée pour le Soudan : toutes ces transactions auraient eu, selon les Américains, comme point de négociation, l'ambassade nord-coréenne au Caire.
La Korea Mining and Developpement Trading Corporation (KOMID) qui gère les exportations d'armement, y compris non conventionnel, fera de belles affaires y compris dans les capitales arabes qui ne n'ont pas de relations avec Pyongyang. À l’instar du programme balistique des Émirats arabes unis (EAU) qui s'est approvisionné entre 1990 et 2014 en dizaines de missiles Scud B, Scud C et Scud ER nord-coréens, pour plusieurs centaines de millions de dollars, y compris après l'embargo sur les armes nord-coréennes.
Un marché potentiel
Créée en 1948, la République de Corée met deux décennies à essayer d'établir des relations diplomatiques et à découvrir le monde arabe. Il faut que le marché pétrolier mondial explose pour que les compagnies sud-coréennes investissent dans les pays du Golfe.
Dès la fin des années 1970, les échanges explosent avec l'installation des chaebols (conglomérats économiques sud-coréens) dans la région.
Le gouvernement de Séoul voit dans l'émergence des pays du Golfe un marché potentiel pour son industrie et commence à accorder des prêts, accompagnés d’un soutien diplomatique, pour convaincre les gouvernements que les chaebols peuvent relever le défi des réalisations à moindre coût et avec des garanties officielles de Séoul.
Grâce à cette politique, Séoul fait passer le montant de ses échanges avec les pays arabes de 125 millions de dollars pendant les années 1960 à 15 milliards de dollars dix ans plus tard, puis à 66 milliards de dollars à la fin des années 1990.
Entre 2000 et 2010, rien que pour les pays du Golfe, le volume des échanges avec la République de Corée a avoisiné les 580 milliards de dollars.
L'Algérie pourrait devenir la plaque tournante des investissements sud-coréens dans la région MENA
Les relations entre le Caire et Séoul n'ont débuté qu'en 1995. Mais bien que récentes, elles n'en demeurent pas moins dynamiques. Même chose pour Alger, dont les relations diplomatiques avec Séoul ont commencé en janvier 1990.
Cette décision a été d'ailleurs salutaire pour l'Algérie, embourbée dans une crise économique, politique et une crise d'image. Ce seront des entreprises, qui les premières, investiront dans la distribution automobile et électronique et qui établiront des contrats avec des entreprises algériennes.
Ces relations économiques exceptionnelles en Algérie pour un nouvel acteur comme la Corée du Sud, seront entachées en octobre 1994 par l'assassinat, jamais élucidé mais attribué à un groupe terroriste, du directeur général du groupe Daewoo en Algérie.
Aujourd'hui, le rapprochement entre les deux Corées donne la possibilité à Alger de capitaliser sur cette entente en faisant de l'Algérie, en recherche de sortie de crise économique, la plaque tournante des investissements sud-coréens dans la région MENA et d'ouvrir un marché d'exportation et d'investissement en Corée du Nord.
Aussi, une fois les sanctions levées, la Corée du Nord pourra reprendre ses exportations d'armes conventionnelles et entraîner dans son sillage l'industrie d'armement sud-coréenne de plus en plus dynamique ces dernières années.
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