EN IMAGES : L’angle mort du Golan occupé
Au détour de quelques virages, un panneau en bord de route marque l’ancienne frontière entre Israël et la Syrie. Nous pénétrons sur le plateau du Golan, un territoire de 1 150 kilomètres carrés situé au croisement des frontières israélienne, libanaise, syrienne et jordanienne.
En venant du territoire israélien, pas de check-point, pas de mur de séparation, pas même de poste de surveillance. Ici, l’ambiance ressemble plus à celle de Haïfa ou Nazareth qu’à des villes de Cisjordanie occupée : les mêmes infrastructures routières sont partagées par les Syriens autochtones, les colons et les nombreux touristes israéliens qui déferlent chaque hiver dans la région, la présence des forces armées israéliennes est extrêmement discrète. Et pour cause : l’occupation du plateau du Golan par Israël depuis la guerre des Six Jours en 1967 – où Israël affrontait la Syrie, l’Égypte et la Jordanie – est totale. Si 7 000 Syriens parvinrent à rester sur place, 130 000 furent déplacés de force et 340 villages furent détruits.
Six ans plus tard, en octobre 1973, lors de la guerre du Kippour, l’armée israélienne est enfoncée par les chars syriens sur le plateau du Golan. L’avant-poste capturé par l’armée syrienne ne sera reconquis par Israël que quinze jours plus tard, au prix de lourdes pertes. Sur le mont Bental (1 142 mètres), les installations militaires israéliennes peuvent aujourd’hui être visitées.
Aujourd’hui, les Syriens vivant sur le plateau du Golan occupé sont environ 25 000, répartis au sein de cinq villes et villages : Majdal Shams, Buq’ata, Mas’ade, Ein Kenya et al-Gager.
Majdal Shams (11 000 habitants en 2019) est la cité la plus peuplée : à flanc de colline, elle est séparée du territoire syrien par une modeste barrière de sécurité, érigée à quelques mètres à peine des habitations.
Côté syrien, quelques mètres à peine derrière la clôture, une tribune. C’est la « vallée des cris » : pendant des années, les familles séparées par la guerre se rendaient de part et d’autre de la ligne de cessez-le-feu, afin de communiquer. Depuis l’apparition d’internet, le lieu est déserté.
En 1981, la Knesset vote l’annexion du plateau du Golan ; une décision condamnée par la résolution 497 des Nations unies en décembre de la même année. Israël tente alors de contraindre les habitants du Golan à prendre la nationalité israélienne, sans grand succès.
Selon les données communiquées par l’ONG Al-Marsad, seulement 10 % des Syriens du Golan possèdent aujourd’hui la nationalité israélienne : « En réalité, seulement 6,5 % l’ont demandée de leur propre chef ; les 3,5 % restant l’ont acquise de manière non consentie, à la suite d’un accord passé avec le chef d’un village », explique à Middle East Eye Wael Tarabieh, porte-parole de l’ONG.
La guerre civile en Syrie a néanmoins ses conséquences : alors que l’espoir d’une rétrocession du plateau du Golan occupé s’amenuise de jour en jour, environ une centaine de personnes demandent la nationalité israélienne chaque année, par pur pragmatisme. Un phénomène à relativiser : l’immense majorité des Syriens du Golan refuse toujours cette option. Ils se sont vu délivrer par Israël un document de voyage – ressemblant vaguement à un passeport –, et qui fait état d’une nationalité « indéfinie ».
Si toutes et tous peuvent se rendre sur l’ensemble du territoire israélien, seule une minorité a pu se rendre en Syrie afin de visiter des proches ou de poursuivre des études, avant le début de la guerre en 2011. Depuis, aucune dérogation n’a été acceptée.
Dans les rues de Majdal Shams, une femme exhibe un drapeau avec les couleurs druzes, religion pratiquée par les Syriens du Golan. Issu de l’islam – et plus particulièrement du chiisme ismaélien –, le druzisme rassemble près d’un million de personne, majoritairement en Syrie et au Liban, mais également en Israël et en Jordanie.
Les druzes syriens du Golan se distinguent toutefois des druzes de Galilée, connus pour leur loyauté à l’État d’Israël, et qui sont nombreux à s’engager dans l’armée israélienne.
Le plateau du Golan est un lieu aussi stratégique que convoité. Riche en eau et surélevé, ce territoire offre un poste d’observation idéal de la région. Sur le mont Hermont, un poste militaire israélien – souvent surnommé « les yeux d’Israël » – a été installé à 2 200 mètres d’altitude afin de contrôler les activités militaires libanaises et syriennes.
Non loin de là, la seule station de ski israélienne (avec une quinzaine de pistes) jouxte des zones minées, à l’accès totalement prohibé. Depuis les télésièges, par beau temps, il est possible d’apercevoir Damas, située à 40 kilomètres à vol d’oiseau seulement. Sur le versant ouest, la frontière libanaise n’est, elle, qu’à quelques dizaines de mètres.
Sur le mont Bental, un guide touristique indique l’environnement géographique à un groupe d’Israéliens. Au plus fort de la guerre en Syrie, des dizaines de personnes se pressaient afin d’observer les combats entre l’armée du régime syrien et des combattants affiliés au Front al-Nosra, mais également les frappes israéliennes, courantes depuis le début de la guerre.
Une guerre qui a divisé les Syriens du Golan au début du conflit : tandis qu’une partie d’entre eux prenait fait et cause pour les révolutionnaires, l’autre restait fidèle au régime de Bachar al-Assad. Des divergences que la militarisation et l’internationalisation du conflit ont progressivement estompées.
Le mont Bental offre une vue imprenable sur des villages syriens ravagés et désertés, dans la région de Quneitra. Tout n’est que désolation.
Dans une plaine du Golan, non loin de la frontière syrienne, l’armée israélienne a construit un village factice – une reproduction supposée d’un village libanais –, afin que ses soldats s’entraînent aux combats rapprochés.
Les années de statu quo semblent pour autant révolues : le 25 mars 2019, l’administration Trump décidait de reconnaître la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan. « Ma première réaction a été : “Mon Dieu, ça va être terrible pour nous”. Mais j’ai ensuite compris que cela n’avait aucun impact pratique sur nos vies », déclarera alors un jeune homme à MEE.
Si les Syriens du Golan se montrent aussi fatalistes, c’est bien parce qu’Israël n’a pas attendu le feu vert de l’administration américaine pour s’installer durablement sur ce territoire. Pour la première fois, des élections municipales et parlementaires – malgré leur caractère illégitime en vertu du droit international – se sont tenues respectivement en octobre 2018 et avril 2019.
Si le plateau du Golan compte aujourd’hui 34 colonies illégales – accueillant 27 000 personnes –, Israël a annoncé en 2019 vouloir multiplier la population israélienne par 10. La colère gronde parmi les rangs des Syriens du Golan occupé : au début du mois de décembre 2020, plusieurs centaines d’entre eux ont manifesté contre la construction d’éoliennes vouées à produire de l’électricité pour les colonies israéliennes. Pourtant, dans un contexte régional bouillonnant, le sort des Syriens du Golan semble plus que jamais voué à l’oubli.
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